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When the day had no name de Teona Strugar Mitevska

Publié le 10/11/2017 par Adrien Corbeel / Catégorie: Critique

Présenté en compétition officielle du FIFF, et dans la sélection Panorama de la Berlinale, When the day had no name est le quatrième long-métrage de la réalisatrice et scénariste Teona Strugar Mitevska. Dans cette co-production belgo-slovéno-macédonienne, l’auteure de The Woman Who Brushed Off Her Tears et de Je suis de Titov Veles nous propose un regard cru et dur sur la vie de quelques adolescents égarés.

À l’origine de When the day had no name, il y a un fait divers : le meurtre de 4 jeunes hommes en avril 2012, dont les corps ont été retrouvés près d’un lac, une balle logée dans la tête. L’événement a secoué la société macédonienne, mais comme nous le précise le texte d’ouverture, le film ne parle pas des victimes de cet acte, ou du moins pas vraiment. Ce crime sert surtout à Teona Strugar Mitevska de point de départ à une méditation sur l’adolescence, la masculinité et la place de la femme dans son pays.

Le récit qu’elle développe se concentre sur 24 heures de la vie de 6 amis, originaires du même quartier de la banlieue de Skopje. Âgés d’environ 18 ans, ils sont à une période charnière de leur existence, où il est de plus en plus nécessaire pour eux d’abandonner leurs comportements immatures. Ce que l’on verra d’eux est tout le contraire d’individus prêt à rentrer dans la vie adulte : ils errent à travers leur banlieue et ses environs, s’occupant à des bagarres sans motifs, se vantant d’exploits sexuels qu’ils ont généralement inventés, se jouant mutuellement de mauvaises blagues, s’injuriant, bref, se montrant le plus clair du temps déplaisants les uns envers les autres. Le long-métrage ne nous donne qu’un échantillon de leurs vies, mais il ne fait pas de doute que la plupart de leurs journées sont ainsi faites.

En adéquation avec ce surplace adolescent, les plans du film sont le plus souvent fixes et inscrits dans une durée assez longue, qui soulignent la stagnation des personnages. C’est seulement lorsque le racisme ou la violence d’un d’entre eux émerge, et provoque des remous dans leurs vies monotones, que la caméra se met en mouvement. On ne peut que saluer la directrice de la photographie du film, Agnès Godard (connue surtout pour son travail avec Claire Denis) : avec ses images crues mais évocatrices, elle démontre tout son talent pour le naturalisme. When the day had no name n’est bien sûr pas un documentaire, mais par son dispositif cinématographique et l’authenticité du jeu de ses acteurs (pour la plupart des amateurs), l’illusion du réel y est présente.

Le point de vue proposé sur cette réalité s’avère assez lugubre. Mitevska, en collaboration avec sa co-scénariste Elma Tataragic, dissèque la manière dont les disparités économiques parasitent durablement les relations entre ses personnages. Elle touche aussi au racisme que cette jeunesse nourrit à l’égard de la population albanaise, se gardant bien de le justifier ou de le comprendre : elle l’observe, avec une certaine froideur, comme la majorité des événements du film.

S’il fallait identifier le sujet central de When the day had no name, ce serait celui de la masculinité toxique, et la manière dont il étouffe l’évolution de ses personnages. L’un n’assume pas d’être en couple avec une fille parce qu’elle ne répond pas aux canons de beauté fixés par ses amis, l’autre ne vit son homosexualité qu’en la présentant comme une plaisanterie. Tous subissent la peur de l’autre et de son jugement, se comportant à maintes reprises de façon déplorable pour prouver leur virilité. Les quelques rares actions de décences dont les personnages font preuve frappent d’autant plus  : ces actes nous révèlent que certains d’entre eux ont la capacité d’être de meilleurs êtres humains. Mais d’une manière ou d’une autre, leur condition de vie, et plus largement l’état de la société, se placeront en obstacle. C’est le glaçant message avec lequel nous laisse cet âpre, mais saisissant portrait d’une jeunesse en dérive, qui agit comme s’il n’y avait pas de lendemain. Peut-être n’y en a-t-il pas.

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