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Nos Batailles de Guillaume Senez

Publié le 03/10/2018 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Après Keeper, son premier long-métrage déjà très abouti, Guillaume Senez affine sa mise en scène avec le portrait d'un homme qui doit faire face à un bouleversement de sa vie. Romain Duris y donne une des ses plus belles interprétations. Après un accueil enthousiaste à la Semaine de la Critique au dernier festival de Cannes, Nos Batailles vient d'être présenté au Festival International du Film de Namur.

Dès l'ouverture, Olivier (Romain Duris) s'impose comme un personnage en mouvement, marchant avec détermination dans un entrepôt de vente en ligne où il travaille comme chef d'atelier. Attentif aux ouvriers, il est très engagé au sein de l'entreprise pour la défense des droits des travailleurs. Investi dans son combat, il laisse souvent sa femme, Laura (Lucie Debay), vendeuse dans un magasin de vêtements, s'occuper de leurs deux enfants, Elliot et Rose. Un jour, Laura disparaît sans prévenir.

Après le récent En Guerre de Stéphane Brizé, Guillaume Senez fait également le constat d'un monde du travail, en Europe, implacable, soumis à des règles de rentabilité inhumaine. Derrière ces entrepôts où s'emballent à la chaîne les désirs des consommateurs, on reconnaît évidemment Amazon et sa politique effroyable en matière de ressources humaines, les rêves des uns se font sur le labeur épuisant des autres. Mais s'il filme la crise et ses contingents tragiques, le réalisateur n'est ni dans le larmoyant, ni dans le vindicatif. La dénonciation se fait subtilement, sans fioritures ; la scène où une cliente de Laura refait en vain son code de carte bancaire qui sonne désespérément vide, dit beaucoup sur cette précarité qui prend de plus en plus de place dans notre société.

Au plus près de son personnage principal, Guillaume Senez suit le va-et-vient incessant entre lutte collective et combat personnel, public et privé, à partir du moment où Laura disparaît. Alors que cette disparition soudaine et inattendue aurait dû conduire Olivier à arrêter cette marche obstinée, à prendre le temps du recul pour mieux comprendre son couple, il tente de mener de front ses vies familiale et professionnelle. Rageur et intense, le jeu de Romain Duris se met aussi au diapason de cette mise en scène qui malgré les colères et les incompréhensions, recèle toujours une douceur à l'égard de ses personnages. La présence des enfants et leur rôle dans la reconstruction et, finalement une forme d'abandon de soi d'Olivier sont particulièrement réussis. L'idée d'une disparition qui dure instille dans le récit une atmosphère énigmatique et permet réellement la confrontation d'Olivier avec ses ennemis intérieurs.

Si Nos Batailles est parcouru d'ombres et de tourments, le cinéaste le zèbre de moments lumineux et légers grâce à une direction d'acteurs et un ensemble de rôles secondaires épatants dont l'incroyable Laeticia Dosch (déjà présente dans Keeper) et donnent au film des contrepoints subtils qui contribuent à l'équilibre de l'ensemble.

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