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A Gaza, de Catherine Libert

Publié le 23/09/2025 par Drossia Bouras / Catégorie: Critique

« Une image, ça ne se tue pas »

Catherine Libert est Belge, réalisatrice de nombreux documentaires, monteuse, étalonneuse, professeur de cinéma.
Catherine n’est pas palestinienne, elle ne vit pas à Gaza. Face aux atrocités qui se déroulaient à Gaza en 2023, et amplifiées depuis, elle contacte quelques semaines après le 7 octobre plusieurs Gazaouis qu’elle suit sur les réseaux sociaux. Elle leur demande si elle peut utiliser leurs images. Elle constitue un stock avec 300 heures de vidéos enregistrées depuis le début du conflit et les témoignages envoyés par des Palestiniens de Gaza, devenus des amis. Son désir est de redonner du temps aux évènements qui se déroulent sous nos yeux, d’une inhumanité totale, qui nous déconnectent de la réalité, fragmentée, horrible, mais qui ne rend pas compte du réel. Elle interroge notre regard d’Occidentaux face à ces reportages courts, ces vidéos de quelques secondes , d’une extrême violence , diffusés sur les réseaux sociaux.

Le film sera présenté au cinéma Nova, le 4/10 à 20h.

A Gaza, de Catherine Libert

Son long métrage d’une heure trente,  A Gaza,  poursuit l’objectif de crier au monde ce qui se passe à Gaza. Elle désire que leur parole, leur réalité soit entendue. Elle questionne ces images fragmentées, décontextualisées , et nous plonge dans le quotidien des Gazaouis, fait de destructions, de souffrance et de résistance, de décembre 2023 à avril 2024.

On suit principalement Mahmoud et Motaz, mais aussi d’autres habitants de Gaza qui risquent leur vie tous les jours, veulent témoigner de leur résistance, laisser un message pour la postérité, une trace de leur existence, nous demandent de sauver la Palestine et crient au monde entier  « Priez Dieu pour qu’il nous sauve ».

Mahmoud, jeune chirurgien, témoigne en direct de la destruction de l’hôpital dans lequel il travaille comme urgentiste à Khan Younés, il filme son évacuation, la peur des habitants de la ville de Gaza de sortir de leur abri, les tirs des snipers qui visent principalement les enfants.

Coupée du monde depuis le 8 octobre 2023, la presse internationale n’est plus autorisée à rentrer dans l’enclave. Alors Motaz, dans son lourd gilet pare-balle bleu marine dont les inscriptions blanches «  press » ne le protègent en rien dans ce conflit, sillonne Gaza dévastée, caméra au poing, en larmes, pour témoigner en temps réel.

D’autres personnes, avec leur téléphone portable, filment les villes fantômes, les explosions, les corps déchiquetés, les charniers… Massacre d’un peuple en direct, lassitude d’être encore en vie, mais malgré l’absence d’ électricité, d’ internet, sans eau et nourriture suffisantes, sous les bombardements et l’extrême souffrance, on pleure et on danse quand même pour conjurer le sort, on prie, on rêve, on aime.

Le film de Catherine Libert est un film collectif.  Elle le dit et le redit, elle est une passeuse, un médium, un fil conducteur pour témoigner de ce que vivent les Gazaouis au jour le jour.

C’est un film contre l’oubli, un devoir de mémoire, pour alerter le monde que ce qui se passe à Gaza  peut survenir ailleurs aussi. Au-delà de l’urgence, de l’extermination d’un peuple, c’est un révélateur du fascisme mis en place, de ce qui peut arriver dans d’autres zones du monde.

Ce n’est pas un film d’actualité, le contenu est devenu déjà obsolète. Catherine appelle à relayer les infos en provenance de Gaza. Envoyer des fonds, leur écrire, prendre contact avec eux… Ils en ont besoin pour leur survie, pour qu’ils puissent exister aux yeux du monde. Elle continue à archiver elle-même tous les jours, pour ne pas oublier, pour qu’on puisse s’en servir, pour l’histoire.

C’est aussi un formidable témoignage d’amour pour le peuple palestinien.

Une voix off, celle de Catherine Libert, et les poèmes de Refaat Alareer, assassiné à Gaza le 7 décembre 2023, accompagnent le film pour qu’on sache d’où l’on parle, mais aussi bercent ces hommes, ces femmes, ces enfants, abandonnés de tous, dans une ultime tentative de consolation.

Film totalement autoproduit, aidé par Hana Albayaty qui avait travaillé sur le génocide en Irak, pour la traduction et la compréhension des enjeux politiques et historiques liés à Gaza.

Le prochain film de Catherine Libert  Your life really matters for me, où il est question de retrouvailles avec un palestinien parvenu à quitter Gaza, est en cours de production.

Ce texte est dédicacé à Mariam Ryad Abu Daqqa, qui dans le film brandissait devant l’objectif de son téléphone portable la clé de sa maison, détruite sous les bombardements. Décédée il y a quelques semaines, nous dédions ces quelques mots à sa mémoire, pour qu’elle vive éternellement.

« Gaza, ce n’est pas seulement Gaza, elle est la pierre de touche, le point d’entrée des pires fascismes à venir » Catherine Libert.

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