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Algorithms of Beauty de Miléna Trivier

Publié le 16/11/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

De la beauté dans l’artifice ? 

Les fleurs, quand on les représente, manquent de vie : dessins, modèles, peintures : rien ne parvient à restituer leur beauté. Pour tenter de fabriquer l’image vivante d’une fleur, la narratrice (jouée par Isabelle Dumont) est aidée d’une Intelligence Artificielle (IA) représentée de manière amusante par une sorte d’entité couinant dans un drôle d’aquarium et avec laquelle elle converse comme on le ferait avec un animal de compagnie. Cette IA, qui n’a ni regard ni point de vue sur les choses et qui ne peut pas reconnaître la beauté, il faut la nourrir, lui fournir des images…

Algorithms of Beauty de Miléna Trivier

À travers son film, Miléna Trivier tisse un lien avec Mary Delany (1700-1788). Les fleurs artificielles créées il y a 300 ans par cette botaniste anglaise sont étrangement en résonance avec celles créées par les algorithmes. « Beauté » et « Algorithme », voilà bien deux termes a priori aux antipodes l’un de l’autre : d’un côté, un phénomène arbitraire relevant du divin. De l’autre, des formules mathématiques complexes qui ne tarderont plus à déshumaniser complètement nos rapports sociaux et à nous priver de notre libre arbitre. Comment réconcilier l’un et l’autre ? Mary Delany, en son temps, avait déjà tenté une telle expérience : frappée par les similitudes de couleurs entre un bouquet de fleurs fraîchement cueilli et les motifs d’une nappe, elle découpa celle-ci pour fabriquer un bouquet. Suite à cette découverte, la botaniste, devenue artiste, assembla 985 fleurs avec des mosaïques de papier.

Entre technologie et émotions, Algorithms of Beauty questionne les limites de notre regard face aux images créées par IA. Or, dans l’IA, ce n’est pas une image qui se matérialise, mais un flux d’images qui dansent éternellement. Nombre de romanciers (Philip K. Dick, Isaac Asimov) et réalisateurs de films de science-fiction (Ridley Scott, Steven Spielberg, les sœurs Wachowski) ont abordé la question du réel en mettant en scène des intelligences artificielles : comment appeler l’expérience acquise au fil des ans par des créations synthétiques? Emotions? Vie? Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Une fleur dans la « Matrice » n’en reste-t-elle pas moins une fleur? Une pensée synthétique a-t-elle moins de valeur parce qu’elle n’est pas humaine? Et d’ailleurs, que signifie être humain? Et Dieu dans tout ça? Nous a-t-il créés avec un savant algorithme?

La forme d’une fleur est si gracieuse qu’elle dépasse toutes les louanges. Et ce que la narratrice veut rendre visible avec ses fleurs en images de synthèse, c’est la vie qui les traverse. Mais la représentation, quoi qu’il arrive, est différente de l’objet réel et ces images, imparfaites, semblent avoir plus de rapport avec la mort, avec la mémoire de ce qui a disparu, qu’avec la vie. Comment se sortir de cette impasse?

C’est une réflexion abordée de manière ludique dans un court-métrage qui s’inscrit dans la droite lignée thématique et poétique du précédent film de Miléna Trivier, La mémoire des lieux qui nous habitent.

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