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Bakolo Music International de Benjamin Viré et Tom Vantorre

Publié le 04/11/2021 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Y’a de la rumba dans l’air…

 

Antoine Wendo Kolosoy, dit « Papa Wendo », disparu en 2008 à l’âge de 83 ans à Kinsasha, était l’un des pères fondateurs de la rumba congolaise, une musique connue aussi sous le nom de « soukous ». Il était l’une des premières grandes stars de la musique africaine et, dès 1948, il avait fondé son propre orchestre, le « Bakolo Music International » (« les pionniers de la musique »), qui, à son apogée, comptait une trentaine de membres et dont le style mélangeait la rumba avec le cha cha, la biguine et le tango. Leur chanson « Marie-Louise » a fait danser toute l’Afrique ! Peu avant sa mort, Papa Wendo avait prédit à ses fidèles musiciens qu’un album et une tournée viendraient récompenser leur longue carrière internationale. Aujourd’hui, les musiciens survivants tentent d’honorer la prédiction de leur leader en revenant sur le devant de la scène.

Bakolo Music International de Benjamin Viré et Tom Vantorre

Bikunda Nzoku Moko Buele, dit « Papa Bikunda », 79 ans, guitariste, est le leader du groupe, un musicien respecté, qui a joué avec les plus grands et qui s’autoproclame le « musicien préféré » de Papa Wendo. Avec son « père » spirituel, il a fait plusieurs fois le tour du monde, notamment aux Etats-Unis et en Europe. Avant d’entamer une tournée internationale et d’enregistrer un nouvel album pour fêter les 70 ans de la formation, il se recueille sur la tombe de Papa Wendo afin de lui demander un peu de sagesse et de veiller sur le groupe. Son aîné lui a fait promettre de prendre soin de son orchestre : « Bakolo Music International » ne doit jamais disparaître ! Papa Bikunda compte tenir sa promesse, quoi qu’il en coûte !

 

Depuis 1948, les lineups ont changé à de nombreuses reprises, avec des va-et-vient souvent dictés par les troubles historiques du Congo. Beaucoup de musiciens ayant fait partie du groupe sont morts depuis belle lurette. Bakolo Music International compte désormais six membres principaux (secondés par des session players plus jeunes), âgés entre 60 et 80 ans : outre Papa Bikunda, il est constitué de Michel Missy Diankatu (guitare), de Willy Makonzo Nzofu (chanteur), d’Isabelle Masamboda Anoda (chanteuse), de Jean-Pierre Bulantulu Ndangi (batteur) et de Paul Mayena, dit « May-Plau » (saxophoniste), qui, à 80 ans, est leur aîné, ce qui ne l’empêche aucunement de sortir toutes les nuits pour faire la tournée des clubs de rumba de Kinshasa et de danser sur scène comme s’il avait encore 20 ans t qu’il était sponsorisé par Duracell.

 

Aucun d’entre eux n’est riche ou célèbre individuellement, ce sont des gens modestes qui ont eu la chance de faire partie d’une aventure extraordinaire qui les dépasse un peu. Même le studio où ils enregistrent leur nouvel album brille par son manque de sophistication. A eux six, ils sont les témoins d’une grande époque musicale qui disparaît petit à petit, les passeurs d’un art toujours populaire, mais qui se dilue un peu plus à chaque fois qu’un ancien disparaît et doit être remplacé au sein du groupe. Leur tournée, qui passera par Diksmuide, Toulouse, Prague et Genève, ne se fera pas sans heurts. Ainsi, pour de sombres problèmes de visas, Isabelle devra rester au pays, interdite de voyage. Un coup dur pour le reste du groupe, qui regrettera donc dès le départ leur impossibilité de se produire au complet. Une fois sur les routes d’Europe, certains vont s’avérer plus fatigués que d’autres, leur état de santé n’étant pas toujours au beau fixe. Ainsi, le batteur, Jean-Pierre, devra un temps être hospitalisé pour des problèmes cardiaques. Papa Bikunda, quant à lui, est aujourd’hui un vieux monsieur très fragile. Mais une fois sur scène ou en studio, tous ces pépins de la vie quotidienne, et la Mort qui pèse comme une épée de Damoclès, semblent s’effacer momentanément pour laisser la place à l’énergie, à la joie, aux sourires, notamment lorsqu’ils entonnent leur tube « Philosophie », qui risque bien de vous rester en tête pendant des jours après avoir vu ce joyeux documentaire.

 

Déterminés à jouer et danser la rumba jusqu’à leur dernier souffle, les membres du Bakolo Music International, plus attachants les uns que les autres, font un doigt d’honneur à la Faucheuse qui réclame déjà certains d’entre eux. Monter sur scène pour perpétuer un art qui se perd et une tradition qui leur tient à coeur leur permet de retarder l’inévitable et, à chaque fois, de rallonger leur vie, telle une cure de jouvence. Leur humilité, leur dignité face à l’adversité, leur bonne humeur communicative, leur sagesse et leur sens de l’humour font chaud au cœur.

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