Bilan Cinématographique et Audiovisuelle 2001
Anguilles sous roche
La matinée du 29 janvier était consacrée au bilan de la production de la diffusion et de la promotion cinématographique du Centre du cinéma et de l'audiovisuel de la Communauté française. D'emblée Henry Ingberg, secrétaire général de la Communauté française, a rappelé une série de chiffres encourageants pour le développement de notre cinéma dans le monde. Le Huitième Jour a été vu par près de 6 millions de spectateurs dans le monde, Ma vie en rose par 1 600 000 et Une liaison pornographique par 1 350 000. No Man's Land de Danis Tanovic a obtenu - comme Ma vie en rose en son temps -, le Golden Globe du meilleur film étranger aux États-Unis. Par ailleurs, l'année passée aura été bonne du point de vue des recettes cumulées grâce au succès du Hutième Jour, Rosetta, Farinelli, la Promesse, Les Convoyeurs attendent et Ma vie en rose. Chiffré, cela donne près de 30 millions d'entrées sur cinq ans. Donc "cela prouve que tous les films aidés par Communauté française n'ont pas nécessairement un total succès mais que la politique d'investissement mise en place commence à porter ses fruits", précise Henry Ingberg, qui ajoute un bémol à ses propos rassurants en déplorant que "le public francophone n'ait pas le même réflexe d'adhésion, vis-à-vis de son cinéma que les Québécois ou les Flamands, il attend d'abord une reconnaissance internationale."
En 2001, la commission a accordé des aides à 17 longs métrages ,10 majoritaires et 7 minoritaires. Ce qui est peu par rapport au nombre de projets présentés (une proportion de un tiers), mais représente en 2001la somme de 20 millions d'euros (en comptant les aides annexes : l'apport des chaînes de télévision et des câblodistributeurs). Il faut y ajouter Wallimage en Wallonie ainsi que le nouveau contrat de gestion négocié entre la RTBF et Richard Miller, notre ministre de l'Audiovisuel (montants doublés). À quoi viendra s'adjoindre dans un avenir proche un financement privé via la loi sur les "tax shelters", incitant fiscal qui est de compétence fédérale et donc suivi par le ministre des Finances Didier Reynders, dont le projet de loi a été déposé. "Certains avaient émis des doutes à ce sujet et je me souviens d'un débat télévisé avec André Delvaux qui avait conclu sur ce thème en nous lançant un "chiche !" retentissant. Un groupe de travail de professionnels francophones et flamands du secteur s'est constitué. Le projet est actuellement à la Chambre des représentants et fait l'objet d'un assentiment de toutes les parties concernées. Il va donc continuer son parcours normal et Didier Reynders m'a confirmé le lundi 28 janvier que les montants nécessaires sont d'ores et déjà prévus dans les paramètres du prochain conclave budgétaire du gouvernement fédéral. A son stade actuel, le projet prévoit donc une série de modifications des dispositions relatives à l'impôt des sociétés. Celles-ci devraient permettre à des sociétés résidant en Belgique de conclure une convention cadre destinée à la production d'oeuvres audiovisuelles en bénéficiant d'une exonération des sommes affectées dans la mesure où ces sommes ne dépassent pas un certain seuil de bénéfice imposable à l'impôt des sociétés. Les bénéficiaires du système devront être des films de long métrage cinématographiques ou télévisuels de fiction, d'animation ou de documentaire, qui correspondent à la définition d'un film européen tel qu'elle est établie par la directive "Télévision sans frontière", ou s'il est produit dans le cadre d'un accord bilatéral entre une des communautés et un autre État. Les communautés seront chargées d'agréer l'oeuvre pour qu'elle puisse prétendre au bénéfice du tax shelter et de contrôler si les dépenses sont bien effectuées en Belgique [...]. J'espère pouvoir dans quelques semaines répondre à André Delvaux : "pari tenu"."
Richard Miller annonce la création d'un troisième collège à la commission de sélection, destiné à aider les réalisateurs ayant plusieurs longs métrages à leur actif (l'une des revendications du collectif 2001) et dont il espère garantir le financement prochainement (via une dotation annuelle de 1,25 millions d'euros qui y seraient prochainement consacrés). "Pour l'année 2002, le financement de ce deuxième collège peut être assuré et pratiquement pour l'année 2003 mais il est vrai qu'il va falloir garantir son financement pour les années ultérieures. C'est tout le débat et l'enjeu autour du refinancement de la Communauté française qui a lieu maintenant", ajoute le ministre.
Après cinq années de présidence, Dan Cukier cède la place à Marion Hänsel. Martine Barbé, vice-présidente de la commission de sélection, précise que le documentaire a obtenu une reconnaissance cinématographique à la hauteur de l'ambition de ses défenseurs (le Cas Pinochet, Made in USA, Sur la pointe du coeur).
Ce qui permet à Luc Jabon, président de la SACD de demander, outre le rappel du problème récurrent en Belgique de la diffusion et de la promotion des films, pourquoi il n'y a pas eu d'aide, l'an dernier, aux films de télévision. Sur le deuxième, point nous ne pouvons qu'amplifier la question. Pourquoi, la chaîne américaine HBO parvient-elle à produire des films de télévision originaux qui se moquent des standards hollywoodiens que nous ne faisons nous-mêmes qu'imiter, augmentant la dose moyenne de Prozac de nos populations ?
Quant à la promotion Henry Ingberg, qui mène un combat inlassable que nous ne pouvons que relayer pour la diffusion de nos films, ainsi qu'il nous l'avait expliqué (link interview, webzine 57), nous devons nous battre pour que l'Europe dégage des moyens afin d'assurer la diffusion de son cinéma et pas seulement sur le vieux continent mais dans le monde entier. Face au manque d'écrans, Richard Miller envisage quant à lui des aides à la création d'un réseau de salles d'art et d'essai en Communauté française, par l'augmentation des aides à la distribution où que ce soit, au niveau international, en permettant à un organisme de promotion du film à l'étranger d'effectuer de nouvelles prospections. L'aide à la diffusion des courts métrages souhaitée par les professionnels a été rencontrée "pour autant que les producteurs respectent les buts poursuivis : à savoir la projection en salles dans les meilleures conditions qui soient". Et Richard Miller d'enfoncer un clou sur lesquels nous-mêmes ne cessons de taper (modestement avec notre website et notre webzine mensuel, en essayant de faire connaître les richesses d`un cinéma, le nôtre, qui continue malgré quelques réussites à être largement méconnu) : " Il me paraît pertinent de ne pas tout miser sur la production et d'assurer un équilibre dans l'affectation des budgets publics sur toute la phase d'exploitation des oeuvres. Il serait illusoire d'assurer à de nombreux films une existence purement théorique et de ne pas leur permettre d'arriver jusqu'à leur public potentiel." Et, enfin, utopie ? (dans ce cas, vive l'utopie) la création d'une chaîne européenne destinée à diffuser le cinéma européen.
Le ministre se déclare un ardent défendeur du service public pour autant qu'il ne soit pas la décalcomanie du privé. D'autant qu'en Italie, les choses se dégradent d'une manière dont on n'a pas idée (le cinéma français, par le biais de l'ARP, la SFR, l'Acid ainsi que la Fédération internationale de la presse cinématographique, vient de réagir vigoureusement en "s'engageant aux côtés des cinéastes italiens entrés en résistance"). On ne peut que donner mille fois raison à notre ministre lorsqu'il défend le service public, surtout lorsqu'on constate ce qui se passe depuis plus d'un mois en Italie, dans le service public, en ce qui concerne la culture et le cinéma en particulier. Rappelons les faits : destitution de Lino Micciché, directeur du célébrissime Centro sperimentale di Roma (l'INSAS-IAD de la péninsule) ; à la tête de la Biennale de Venise, le "Cavaliere" a placé un spécialiste des hydrocarbures, sans doute pour huiler la prestigieuse Mostra (à quand la marée noire sur la lagune ?). Les départs des responsables de Cinecitta Holding sont à l'ordre du jour, et pour couronner le tout, la directrice d'Italiacinema, (le WBI italien) écoeurée par tant d'incompétence (chez un homme qui a été élu pour ses compétences de gestionnaire), a démissionné.
Donc plus que jamais, défense du service public pour défendre des oeuvres culturelles dont le souci, pour être diffusées, n'est pas d'être transformées en marchandises formatées livrées avec le Lexomil comme bonus. L'année nous réservera peut-être quelques surprises et, qui sait, quelques aventures singulières !
Pour plus d'infos, consultez le site officiel du Service Audiovisuel de la Communauté Française