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Brak de Laurent Van Lancker

Publié le 13/09/2016 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Entre deux rives

Documentariste et militant engagé sur la situation des réfugiés, notamment à Calais, Laurent Van Lancker propose, avec son premier long-métrage de fiction, une fable tendue et intense sur les questions de migration et de solidarité.

BrakQuelque part sur une plage du nord. Lucas, flamand moyen, est coincé dans un village côtier. À la recherche d'une traversée en bateau qui lui permettrait de trouver un ailleurs plus prometteur, il va devoir faire face à un dilemme moral. Adapté du roman « De Ontelbaren » du Belge Elvis Peeters, Brak est une plongée particulièrement subjective dans le parcours torturé de ce personnage perdu, râpé par une vie dont on ne saura pas grand-chose. « Au départ, il s'agissait d'un projet de court-métrage. J'avais adoré le livre de Peeters, structuré en trois parties, et je souhaitais adapter la partie qui voit l'Europe submergée par des millions de réfugiés et dont les frontières rompent. Afin de pouvoir développer le projet, ma productrice m'a demandé de réaliser un court-métrage. Du coup, j'ai écrit Brak à partir d'une autre partie de ce roman. J'ai travaillé avec Elvis Peeters que j'avais rencontré entre temps. Au moment où je travaillais sur l'écriture, il y avait l'occupation du Béguinage et Calais qui commençait. Comme je viens du documentaire et que j'aime ce qui est hybride, j'ai pensé que ce pourrait être intéressant d'intégrer la réalité à cet espèce de film d'anticipation, de ce qui pourrait arriver en Europe. J'ai donc contacté les mouvements d'aide aux réfugiés pour d'abord simplement passer du temps avec eux et petit à petit, le projet a pris de l'ampleur pour devenir un long-métrage. »

Si l'on reconnaît ces décors de campement de fortune mille fois vus dans les médias et peut-être mille fois ignorés, le cinéaste refuse toute explication et toute psychologie, laissant au spectateur une grande part active. La caméra portée épouse entièrement le point de vue de Lucas, sa trajectoire faite de doutes et d'angoisses. Les rapports entre les personnes sont sinon brutaux, très secs; la parole est rare et l'environnement souvent très peu lisible. « Effectivement, c'est un cinéma que je défends. Je parle de cinéma « haptique », à savoir que c'est très important pour moi d'intégrer le spectateur. Il faut que le spectateur soit actif, qu'il cherche. Au départ, il est désorienté, il ne comprend pas tout de suite ce qui se passe et il va devoir faire appel à sa mémoire, à ses propres sensations. C'est une manière de l'interpeller tout comme le regard-caméra final est une question à son attention : « Et toi qu'aurais-tu fait ? ».

BrakBrak mêle habilement cette approche sensorielle, souvent abstraite à une approche plus narrative. « J'ai essayé de faire une synthèse entre mon point de vue de documentariste, où je travaille beaucoup sur la désorientation, la poésie et les impressions et entre un cinéma narratif où une intrigue est développée, notamment dans la relation que Lucas va entretenir avec Amine (Aurora Marion). » Cette relation mystérieuse et évolutive se noue dans une mise en scène très proche des personnages, de leurs gestes, de leurs mains. Le non-verbal participe à cette volonté de mettre le spectateur sur le qui-vive, de le faire participer.

Porté subtilement par Tibo Vandenborre, ce conte cruel et souvent étouffant est une expérience troublante dont le personnage, incarné par Sam Louwyck, représente une autre voie possible et sans doute plus humaine à celle de la corruption et de l'exploitation généralement à l’œuvre.

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