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C'est déjà l'été de Martijn Smits, le tournage

Publié le 06/05/2009 par Dimitra Bouras / Catégorie: Tournage

Nos amis de Tarantula nous invitent sur le plateau du film qu'ils coproduisent. Au départ de la gare des Guillemins, nous sommes conduits sur les hauteurs de Seraing. Le tournage a lieu dans une petite maison ouvrière, dans une rue à pente raide. De là, la gigantesque structure arachnéenne des aciéries de Cockerill se laisse contempler sous notre regard médusé de citadins. Au seuil de la maison, un sentiment de malaise nous empare. On ne comprend pas si cette maison est habitée ou abandonnée; les cendriers pleins trônent sur la table du salon où canettes vides et tétines de bébé se côtoient. Dans la cuisine, des assiettes où pourrissent des restes de pâtes à ce qui fût une sauce à la tomate encombrent l'évier aux côtés de biberons et de restes de panades. C'est avec soulagement que la régie nous apprend que nous nous trouvons dans un décor, totalement créé pour le film. Que cela soit le poster du chat sur la cheminée et qui camoufle un trou de la tapisserie, ou la lampe dans laquelle une espèce de masse gélatineuse grandit, éclate, et se recompose sans cesse sous l'effet de la chaleur électrique, ou même, la reproduction d'un jeune garçon à la mine triste, clouée au mur. 
C'est déjà l'été est un film de fiction aux allures de documentaire dans lequel Martijn Smits capte des plans créés par lui. 



Avant de rencontrer le réalisateur, intrigués par le travail de la déco, nous demandons à Laurie Colson, chef déco’ sur ce film, de nous immiscer dans les secrets de ses installations.

Cinergie : Comment fait-on pour construire un intérieur comme celui-ci. J'imagine que ce n'est pas un quotidien qui t'est familier ?
Laurie Colson : Aurore Benoît est venue avec beaucoup d'idées de ses repérages. Lors des préparations, je suis moi-même entrée chez les gens. Je me suis inspirée de ce que j’y ai vu pour construire un décor qui n'a absolument rien d'esthétique, évidemment, mais qui est plutôt réaliste. L'esprit du film est entre la fiction et le documentaire. Martijn Smits, le réalisateur, avait déjà vécu quelques mois ici, à Seraing avant le début du tournage. Il avait fait ses propres repérages. Seraing, c'est un certain univers qui a donné le fil conducteur esthétique du film.

C.: Comment fais-tu pour que les éléments de décors de cette maison ne bougent pas. Quand on voit un cendrier plein sur le coin d'une table, je suppose que certains ont envie de le vider ?
L. C.: C'est effectivement compliqué. L'accessoiriste surveille le plateau et veille à remettre les choses en état ou les faire évoluer avec le scénario.

C. : Où as-tu trouvé les accessoires du décor ?
L. C. : Le budget étant restreint et par facilité, je me suis fournie auprès des Petits Riens de Droixhe et du magasin du CPAS de Seraing. Ce qui m'a surtout permis de ne pas devoir donner artificiellement du vécu aux objets. Ce qui représente un gain de temps et de moyens considérable !

Martijn Smits, réalisateur

 

C.: C'est ton premier long métrage. Tu as fait des documentaires auparavant ?
Martijn Smits :
 Oui, je suis sorti en 2006 de la Film Academie d'Amsterdam. Durant mes études, j'ai réalisé beaucoup de documentaires et de courts métrages. Pour mon film de fin d'étude, j'ai voulu faire un documentaire en Allemagne, mais je n'ai pas eu la permission alors, j'ai dû me tourner vers la fiction. Finalement, le film s’est donc situé entre les deux genres.

C.: Qu'as-tu voulu faire en Allemagne ?
M.S.: Je suis fasciné par tout ce qui est machinerie industrielle. Au départ, je voulais faire un film où les humains sont comme des machines bien rodées qui se lèvent, mangent, dorment et forment ensemble la plus grande machine au monde. Et puis, j'ai voulu faire un film sur une machine gigantesque de 200 mètres de long et de 150 mètres de haut qui sait écrire, c'est... fascinant ! Le village, vieux de 80 ans, construit autour de la machine, devait disparaître de force avec le déménagement de l'industrie. J'ai voulu raconter l'histoire de deux enfants, un garçon et une fille, qui vivaient dans ce village leurs derniers jours ensemble avant leur expulsion.

C.: Et te voilà à Seraing ?
M.S.: Oui. J'ai été ébahi par ce lieu. Je me suis installé ici pendant quelques mois pour écrire mon scénario. J'ai lu, j'ai rencontré ses habitants, j'y ai respiré l’air, et voilà le résultat !

C.: Qu'est-ce qui t’a plu à Seraing ?
M.S.:
 J'aime entendre les travailleurs parler de leurs machines. J’aime leur esprit d'équipe, leur nostalgie, leur passé de travailleurs. Dans ce contexte de fraternité qui s'effiloche avec le temps, j'ai voulu raconter l'histoire d'une famille qui vit sous le même toit mais qui est totalement disloquée. Chacun recherche la même chose, l'amour, mais en dehors de la maison, sans se préoccuper des autres membres de la famille. Il va falloir un événement grave pour les forcer à se réunir. J'ai vécu une expérience similaire. Mon frère et moi avons été séparés, et je n'ai pas souvent vu mes parents. Un jour, on m'annonce que ma mère a un cancer.
À l'hôpital, c'était la première fois que ma famille était réunie. J'ai voulu raconter cette émotion très forte que j'ai vécue.J’ai pensé que l'environnement de Seraing se prêtait particulièrement bien pour l'exprimer. Comme ces ouvriers qui ont la nostalgie de leur boulot, moi j'ai la nostalgie de la vie familiale que j'aurais voulu vivre. J'ai voulu raconter une histoire touchante dans un monde de ferraille, de murs, de fumée et de métal et aussi cette volonté qu'ont les gens de se battre même si tout semble perdu, ce désir de ne pas se laisser effacer. C'est dans cette misère que j'ai ressenti une tendresse et une solidarité énorme, comme dans le Resto du cœur que j'ai fréquenté, j'y ai vu des gens généreux et combatifs malgré tout ! Je n'aurais jamais pu trouver ce genre d'endroit aux Pays-Bas où tout est trop propre, trop ordonné !

C. : Dans cette famille, plusieurs histoires s'entrecroisent. Il y a aussi celle de la jeune fille, Marie, si jeune et déjà mère !
M. S. : C'était le personnage le plus difficile à créer pour moi parce que j'ai eu du mal à imaginer comment une fille ressent la vie ! J'ai voulu lui faire vivre ce que j'ai vu ici, à Seraing, des mères très jeunes, souvent seules ou avec leur propre mère, mais rarement avec un homme qui pourrait être le père de l'enfant. Déjà mère mais avec des envies de jeune fille : s'amuser, rencontrer l'amour de sa vie, etc.

C. : Seraing, comme chez les frères Dardenne ?
M. S. : Quand j'ai décidé de filmer à Seraing, je ne savais pas que c'était l'endroit où ils avaient tourné tous leurs films. Au début, j'étais hanté par eux. Je faisais attention de ne pas cadrer tel pont, ni telle cheminée, ni ceci ni cela ! Mais c'est impossible, tout Seraing a été pris sous tous les angles! Et puis, je me suis dit, New York a été filmé par Martin Scorsese, mais il n'est pas le seul réalisateur à avoir fait des films sur cette ville mythique, alors pourquoi m'empêcher de faire le film que je veux sous prétexte qu'on a déjà vu ces rues ou ces maisons ? Mon film ne sera pas comme les leurs, c'est tout !

C. : Comment as-tu choisi tes comédiens ?
M. S. : Leur qualité principale c'est qu'ils sont de Liège ou de Seraing. Aux côtés de Bernard Descamps, il y a Julie Anson, une jeune comédienne liégeoise qui joue avec son propre bébé et Benjamin Willem, un gamin que j’ai rencontré lors d'un repérage dans une école d’ici. La plupart des figurants dans les lieux publics sont des personnes qui jouent leurs propres rôles. On a tourné une séquence dans un café où les clients sont filmés : j'ai demandé aux comédiens professionnels de faire ou de dire quelque chose. Selon la tournure des événements, je demande à mon chef op’ de filmer telle scène ou telle autre.
J'adore filmer dans l'urgence, quand l'équipe doit improviser, ne rien contrôler ! Je suis toujours heureusement surpris, le hasard vous donne souvent de beaux cadeaux !

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