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Cette nuit là de Safia Kessas

Publié le 08/03/2023 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Est-il réellement possible de se remettre d’un tel drame ? Comment a-t-on pu en arriver là ? Qu’est-ce qui se cache derrière cet assassinat, et que dit-il sur notre pays soi-disant si accueillant ? Telles sont les questions que Safia Kessas pose en compagnie de sa protagoniste Kenza Isnasni, orpheline de ses parents assassinés il y a 20 ans lors d’un crime raciste perpétré dans un immeuble de Schaerbeek.

Cette nuit là de Safia Kessas

Ramenant le récit à la hauteur de son âme d’enfant à jamais blessée, Kenza nous entraîne rapidement dans les événements qui ont changé sa vie pour toujours, un triste soir de mai 2002. C’est au 121 rue Vanderlinden qu’un sympathisant de l’extrême droite, raciste notoire, descend à bout portant le père et la mère de Kenza, avant de blesser grièvement ses deux frères. Un moment de terreur absolue, que l’on ressent dans les paroles et témoignages de Kenza. Qu’ils émanent d’elle-même, ou de ses deux frères, les mots sont glaçants et nos poils se hérissent alors que le "méchant monsieur" pénètre dans leur appartement, sorte de "boogeyman" terriblement ordinaire. Une créature d’horreur du genre que l’on a vu venir à des kilomètres, mais que personne ne nous a aidés à arrêter, alors même que les familles du quartier criaient à l’aide face à un silence assourdissant.

Comment a-t-on pu en arriver là ? Interrogée par les médias à de nombreuses reprises depuis, Kenza le dénonce avec raison : les choses n’étaient pas roses, et elles n’ont pas forcément changé depuis. Preuve accablante par l’image, alors que l’on redécouvre les archives finement sélectionnées par la cinéaste, dépeignant l’atmosphère schaerbeekoise derrière les masques de la tolérance. Ou même parfois, sans aucun masque, alors que l’on pouvait croiser dans les rues de Schaerbeek l’affreux Roger Nols en pleine campagne politique à tendance sécuritaire, et le non moins sordide Johan Demol, chantre du Vlaams Blok. Quand on offre une tribune au racisme, celui-ci ne peut que se sentir légitime, jusqu’à l’acte de perversion ultime. En témoigne l’effrayant montage par lequel Safia Kessas répond aux politiques du dimanche qui oseraient proférer un “oui mais tout ça, c’était avant.” Le racisme est toujours présent, il tue toujours, et ce n’est pas en l’ensevelissant sous les tapis de l’hôtel communal que celui-ci disparaîtra.

Comment s’en remettre et comment aller de l’avant ? C’est l’autre question que pose le film. Autant pour Kenza en tant que personne meurtrie mais vivante, que pour notre société. Comment vivre avec l’héritage de violence et travailler pour que celui-ci ne se reproduise plus sans pour autant être oublié ? Au travers de la fondation Isnasni, pour plus de tolérance et de travail sur le respect de l’autre, et la transmission de la mémoire. Et, à l’instar de Safia Kessas, par plus de visibilité pour ces sujets qui ne doivent pas être oubliés, car ils sont malheureusement toujours aussi actuels. La vraie question que pose le film, c’est peut-être celle-ci : qu'est ce que nous, en tant que citoyen.nes d’aujourd'hui, pouvons prendre comme responsabilité pour que demain soit meilleur ?

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