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Ceux qui restent d'Anne Schiltz et Charlotte Grégoire

Publié le 11/10/2020 par Marine Bernard / Catégorie: Critique

Mâlăncrav, quelque part en Roumanie. Le paysage est brumeux, l’atmosphère pesant et les sentiers déserts. Au cœur des collines sauvages qui encerclent le village, des gens sortent d’une maison, deux d’entre eux portent un sac sur l’épaule. Ils s’apprêtent à quitter leur famille pour quelques mois. Après de brèves embrassades, ils prennent la route en direction de l’Allemagne pour trouver un travail. Conscients des conditions déplorables qui les attendent, leur seule motivation est d’offrir une vie meilleure à leurs proches. Dès le début du documentaire, le contexte est donné. D’un bout à l’autre, Anne Schiltz et Charlotte Grégoire vont interroger le phénomène migratoire tel qu’il est vécu par ceux qui restent. Que font les familles des travailleurs quand leurs proches sont à l’étranger ? Quelles conséquences entraînent ces périodes de transition ? En tissant une trame narrative qui évolue au fil des quatre saisons, les deux réalisatrices portent un regard neuf sur le pendant de ces départs précipités.

Ceux qui restent d'Anne Schiltz et Charlotte Grégoire

Depuis quelques temps, la Roumanie est extrêmement touchée par la migration, tous les milieux sociaux confondus. Les deux réalisatrices avaient déjà abordé cette problématique en 2012 avec Stam – Nous restons là parallèlement à celles liées à l’appartenance sociale et ethnique, mais également à l’enracinement et à l’exode. Lorsqu’elles ont décidé de revenir à Mâlăncrav, elles se sont heurtées à un contexte très différent de ce qu’elles avaient connu. Le paysage rural du village était en train de se transformer, se vidant progressivement de ses habitants et de son bétail. En effet, alors qu’elle a été la principale activité du village pendant 700 ans, l’agriculture n’est désormais plus assez rentable pour satisfaire les besoins de toute une population. Il fallait trouver rapidement une alternative. Si certains s’accrochent à leurs traditions et préfèrent vivre de leur passion, d’autres choisissent de partir à l’étranger, tout en éprouvant un désir profond de rester. S’étalant sur des périodes courtes, les départs saisonniers bouleversent profondément l’équilibre social et économique du village. Pour en rendre compte, Anne Schiltz et Charlotte Grégoire choisissent de suivre Natalia, Ioan, Nicolae, Alina et Andreï. Elles placent la caméra au centre de leur foyer, tant au moment des repas que lorsqu’ils travaillent, dans la bergerie ou sur les hauteurs. Nous avons l’impression d’être plongé dans leur quotidien, d’emboîter chacun de leurs pas. Elles jouent sur une certaine proximité et créent des moments intimes avec les différents protagonistes. Cela nous amène à mesurer leurs insécurités, à prendre conscience de leurs doutes et surtout, de la violence de cette séparation. Ceux qui restent souffrent de solitude, sont constamment dans l’attente et éprouvent des difficultés à entrevoir un futur car ils voient leurs différentes relations se fragiliser. L’entraide se raréfie, chaque famille palliant économiquement à ces nombreux moments d’absence

À côté de cette réalité, nous suivons celle d’Andreï qui, malgré les départs répétés de sa mère, s’accroche à son rêve de devenir un éleveur, à la tête de sa propre bergerie. S’il poursuit son rêve, il sera sans doute l’un des derniers bergers de Transylvanie.

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