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Chez Jolie Coiffure de Rosine Mbakam

Publié le 22/07/2020 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

À chaque jour suffit sa pain

Chez Jolie Coiffure. En plein cœur de Matongé à Bruxelles. Un salon de coiffure de 8m2. Ouvert du lundi au samedi de 9 heures à 20 heures. Et, Sabine, la maîtresse des lieux. C’est dans ce décor exigu que Rosine Mbakam plante sa caméra pour réaliser son deuxième documentaire après Les deux visages d’une femme Bamileke, tous deux coproduits par le Gsara.

Chez jolie coiffureChez Jolie Coiffure raconte la migration de Sabine, une Camerounaise. D’abord recrutée comme femme de ménage au Liban, Sabine traverse les eaux, les forêts, les frontières pour fuir sa condition de femme migrante devenue esclave. Un calvaire. La Syrie, La Turquie, la Grèce et enfin, la Belgique. Véritable parcours de combattante. À refaire, Sabine ne le ferait pas. Cela fait maintenant 8 ans qu’elle n’a pas revu son pays, 8 ans qu’elle est illégale, 8 ans qu’elle passe ses journées à survivre, en cachette. Un destin qu’elle partage avec ses clientes, logées à la même enseigne.

 

Chez Jolie Coiffure raconte la féminité. Plantureuses, Sabine et ses copines exhibent leurs formes sans complexe. Petit havre de paix où les doigts agiles tressent sans discontinuer. Quelle dextérité, quel art. Les clientes de Sabine, devenues amies, viennent se faire belles. Et, elles parlent. Mon Dieu, quel débit. Leurs histoires de cœur, leurs histoires d’argent, leurs histoires de régularisation, leurs douleurs.

 

Chez Jolie Coiffure raconte Matongé, sa galerie, terrain de débrouille et de survie de beaucoup d’Africains, parc d’attractions des touristes « white » qui dévisagent, scrutent avidement ce monde qu’ils ne connaissent pas. « Au zoo, on paie ! » qu’elle dit Sabine. La caméra de Rosine, placée ça et là dans ces 8m2 capte ces regards furtifs, curieux, désireux (parfois). Un pain quotidien pour elle(s) qui devient vite nauséabond pour nous.

 

Chez jolie coiffure

Chez Jolie Coiffure raconte la solitude et le silence mais aussi les rassemblements et la cacophonie. Rosine alterne judicieusement ces deux extrêmes constitutifs de leur vie à chacune. Sabine est seule, sa famille est au pays. Parfois, elle repense à avant. Parfois, son salon est vide. Parfois, elle n’a pas de travail, n’a pas d’argent, ne peut pas aider au pays. Et, elle s’ennuie. Puis, à d’autres moments, Sabine est entourée, elle papote, elle crie, elle accueille chaleureusement ses clientes fidèles. Comme un rayon de soleil, un néon qui scintille dans ce tunnel, cette galerie.

 

Chez Jolie Coiffure, c’est la parole de ces Africaines sur l’Europe, sur ceux qui n’ont pas dû quitter leur pays, sur ceux qui ne doivent pas vivre cachés. C’est coloré, ça pétille au Fanta et ça dégouline de gésiers. C’est une langue qui chante, c’est une langue qui prie, c’est une langue que beaucoup n’entendent pas.

 

Rosine s’est fondue dans ce décor et nous aussi. Tout serrés, dans un coin, à observer ce microcosme comme si la caméra n’était pas là. Les filles se confient sans pudeur, la police en arrière fond qui monte la garde. Un documentaire qui nous dévoile les ficelles de ce monde souterrain aux mille reflets.

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