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CLARA SOLA de Nathalie Álvarez Mesén

Publié le 19/05/2022 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Celle qui murmurait à l’oreille des chevaux

Dans un village reculé du Costa Rica, Clara (la danseuse Wendy Chinchilla Araya, dont c'est la première apparition au cinéma), une femme de 40 ans simple d’esprit, vit dans une ferme avec sa vieille mère, Fresia (Flor María Vargas Chavez), et sa nièce de 14 ans, Maria (Ana Julia Porras Espinoza), qui en ont la charge et la surveillent en permanence. En effet, Clara n’a pas le droit de s’aventurer hors d’un périmètre de sécurité délimité par des petits drapeaux. Elle souffre de la colonne vertébrale et ses poumons comprimés par une scoliose sévère provoquent des douleurs quotidiennes. Mais sa mère, fervente religieuse, refuse qu’on l’opère - une opération pourtant simple -, car « Dieu l’a faite comme ça ». Dieu, pour se faire pardonner, a aussi donné certains dons à Clara, qui est capable de ressusciter des insectes, voire de les faire changer de couleur, et de sentir arriver les tremblements de terre. Sa mère, qui la considère comme une « émanation de la Sainte Vierge », l’exploite sans vergogne : les habitants de la région viennent visiter « la Vierge Clara », la faiseuse de miracles, lors de grotesques « messes de guérison » auxquelles Clara s’adonne avec lassitude. 

CLARA SOLA de Nathalie Álvarez Mesén

Ayant l’esprit d’une fille de 12 ans, Clara n’a que deux obsessions : communier avec la nature luxuriante qui l’entoure (elle aime se coucher dans l’herbe, toucher la terre, se baigner dans la rivière, sortir sous la pluie et caresser sa jument) et séduire le beau Santiago (Daniel Castañeda Rincón), le petit ami de Maria, qui provoque en elle un désir intense. La formation de danseuse et le physique particulier de Wendy Chinchilla Araya confère un aspect fascinant au moindre mouvement de Clara. Jalouse de la beauté et de l’attention portée à sa nièce, Clara pousse régulièrement de terribles colères, se roulant dans la boue avec une nouvelle robe et fuguant dès qu’elle en a l’occasion. C’est lorsque sa mère décide de vendre sa jument que Clara va se rebeller, tenter de s’émanciper et fuir ces conventions religieuses et sociales répressives qui dominent sa vie et la maintiennent dans un obscurantisme inacceptable. Clara veut garder son cheval, cesser de jouer au messie et enfin être considérée comme une femme ! Mais son émancipation - spirituelle et sexuelle – est-elle vraiment possible ?

Pour son premier long-métrage (après une série de courts), la Suédoise d’origine costaricienne Nathalie Álvarez Mesén privilégie une approche sensorielle et poétique, guettant les moments de grâce inhérents au réalisme magique en décrivant le lien fusionnel entre Clara et la faune, les animaux et les éléments (la terre, l’air, l’eau et le feu jouent un rôle important dans son évolution). Ce sont des moments de magie furtifs qui viennent contaminer un réel glauque et oppressant. Dieu n’est pas dans des cérémonies religieuses idiotes, mais dans des détails infimes : le battement d’ailes d’un insecte, les battements de cœur d’un cheval, une goutte d’eau qui coule sur une épaule… Ces vignettes témoignent de la richesse intérieure inouïe de Clara, qui ne vit que pour être transcendée par la beauté du monde. C’est bien malgré elle que Clara devient un symbole du combat des femmes contre l’oppression, car le film est tout le contraire d’un pamphlet féministe revendicateur. C’est une œuvre rafraîchissante, qui ne juge et n’accuse personne, qui vise plus haut que des considérations microcosmiques, qui trouve de la poésie dans la laideur et la misère, un peu à l’instar de ce que filmait Terrence Malick dans The Tree of Life. Un plan joyeux, digne d’un conte de fées pour adultes, résume tout le projet : adossée à un arbre, Clara se masturbe sans avoir peur d’être découverte, entourée de lucioles fluorescentes qui la suivent partout. Le merveilleux terrasse le sordide dans ce beau premier film minimaliste et austère - mais non dénué d’humour - d’une cinéaste dont le point de vue et la singularité annoncent une carrière brillante.

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