Cleo (Anna Franziska Jaeger), 17 ans, a survécu à un accident de la route dans lequel ses parents sont décédés. Sa grand-mère, ou plutôt sa « bobonne » (Yolande Moreau), comme elle la surnomme, essaie tant bien que mal d’offrir un nid confortable à la jeune fille et à son petit frère, Bruno (Ishaq El Akel), 8 ans, à Bruxelles. Mais « Bobonne » doit faire face à une adolescente rebelle, tantôt agressive, tantôt dépressive, qui passe ses nuits dehors et sèche les cours. Entre deux crises d’angoisse, ses notes scolaires en dégringolade, Cleo n’a pour réconfort que sa meilleure amie Myra (Martha Canga Antonio), avec qui elle fait les 400 coups. Un soir, dans un bar mal famé, Cleo est sauvée des mains baladeuses d’un malotru par le ténébreux Léos (Roy Aernouts), 30 ans, dont elle tombe immédiatement amoureuse. Elle le ramène à la maison, mais, à son grand désarroi, leur relation reste platonique. Car Léos, de son côté, en couple avec Jeanne (Lucie Debay), a un secret beaucoup trop lourd à porter.
Cleo de Eva Cools
Portrait d’une adolescente en crise, qui tente de se reconstruire après un traumatisme d’une rare violence, Cleo est le premier long-métrage de l’ancienne directrice de casting Eva Cools. Souffrant de stress post-traumatique et d’une culpabilité terrassante, Cleo erre dans l’existence, effrayée à l’idée de se noyer (elle a pu sortir in extremis de l’automobile familiale, tombée dans un canal, mais fut incapable de sauver ses parents) et rejetant l’affection de sa grand-mère. Sa première motivation, six mois après le drame, est de plaire au beau Léos. Leur rencontre la stimule à se remettre au piano, un domaine autrefois réservé à son père, pianiste de renommée mondiale.
Si l’interprétation d’Anna Franziska Jaeger, entre insolence et fragilité, s’avère convaincante, Eva Cools ne cherche que rarement à nous rendre l’adolescente sympathique. À l’exception de Léos, Cleo n’accorde d’importance à personne d’autre qu’à elle-même, se moquant de l’inquiétude de « Bobonne » et ignorant la détresse affective de son frère, lui aussi anéanti par la mort de leurs parents. Cleo peut se montrer cruelle, monstrueuse même. Le récit souffre de certains défauts typiques des premiers films : on y trouve bon nombre de redondances narratives et la caractérisation du personnage principal s’avère trop explicative. Craignant les envolées émotionnelles, la réalisatrice refuse catégoriquement de rendre son film chaleureux. Sous l’œil de sa caméra, Bruxelles, ses bars branchés et ses appartements vieillots deviennent glauques, suintant l’ennui, le malaise et la grisaille.
À bien y réfléchir, « Cleo » (le film) aurait gagné à s’appeler « Léos », tant il transparaît très vite que son histoire à lui est la plus complexe et la plus réussie. Poignant dans la peau d’un alcoolique repenti, prisonnier d’un mensonge qui le ronge, Roy Aernouts, sosie flamand de Cillian Murphy, s’avère être la bonne surprise du film. Son interprétation touchante, subtile et délicate est le cœur du film.
On appréciera également la détresse et l’impuissance de Yolande Moreau, plus fragile que jamais, dans le rôle d’une vieille dame dépassée par la situation, à qui on n’a pas donné le temps de faire son deuil ni le mode d’emploi de l’adolescence. On regrettera que Lucie Debay et Natali Broods, étoiles montantes de notre cinéma national, ne fassent que passer, dans des rôles très secondaires.
Malgré ses indéniables maladresses d’écriture, Cleo reste un premier essai convaincant, qui a le mérite de révéler deux jeunes acteurs dont nous risquons d’entendre parler à nouveau dans les années à venir.