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Congorama de Philippe Falardeau

Publié le 10/11/2006 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Transatlantique Blues

Mai 2006 : La Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes programme un étrange objet filmique. Une coproduction belgo-québécoise qui narre les aventures d'un ingénieur belge en recherche de lui-même, qui se découvre une filiation québécoise et y gagne les plans d'une voiture électrique révolutionnaire. Son réalisateur, Philippe Falardeau, dont c’est le deuxième long métrage était venu quelques années plus tôt présenter son projet dans un forum de production au Festival de Namur. Il y avait convaincu la société liégeoise Tarantula de se lancer dans l'aventure.

Septembre 2006 : retour au Festival de Namur où le public découvre, à son tour, cet étrange mélange avant sa sortie sur nos écrans. Une partie belge, bien ancrée dans son terroir liégeois, est montée en parallèle avec une partie québécoise plus vraie que nature, tournée à Sainte-Cécile, une petite communauté rurale perdue à plusieurs centaines de kilomètres de Montréal. Difficile d'échapper au syndrome du "Pudding" pour cette coproduction qui, en outre, ne tient ensemble que grâce à un scénario des plus alambiqués. On a toutes les raisons de craindre le pire. Et pourtant, au final, on doit bien constater que ce puzzle surréaliste tient plutôt bien la route. D'une manière difficilement explicable logiquement, le charme opère. Grâce, entre autres, au talent du conteur qui nous livre l'histoire, au travail remarquable des comédiens et à la foi d'une équipe qui transcende les images.

Congorama de Philippe Falardeau

La quarantaine débutante, Michel Roy est ingénieur. Il travaille dans une PME où il s'est installé un petit laboratoire qu'il utilise pour mettre au point des inventions aussi géniales qu'inadaptées au monde réel. Michel est marié à Alice, une réfugiée congolaise qui tient un restaurant dans la banlieue liégeoise. Ils ont un fils, Jules, 10 ans, qui rêve de devenir champion de tennis. Hervé, le père de Michel, paralysé suite à une attaque cérébrale, est un écrivain reconnu. Aujourd'hui, on lui décerne un prix pour l'ensemble de son œuvre et Michel est particulièrement fier. Aussi, quel n'est pas son désarroi lorsque le soir même, Hervé lui apprend qu'il est en fait un enfant adopté. Il est né à Sainte-Cécile (Québec), dans une grange, et a été confié à ses actuels parents par une religieuse. Quelques années plus tard, en mission d'affaires au Québec, Michel en profite pour rejoindre Sainte-Cécile à la recherche de ses vrais parents. C'est, pour lui, le début d'une aventure pleine de péripéties avec au bout la vérité sur … lui-même.

Congorama, en fait, c'est cela. Un voyage initiatique aux sources de la filiation, la famille, les racines. Qu'est-ce que c'est qu'être le fils de…, d'être de quelque part ? Et la famille? Et moi dans tout ça ? Des questions qui marquent, en filigrane, le parcours de Michel Roy, mais qui s'adressent autant au spectateur. Le héros sera d'ailleurs, au final, le seul à passer à côté d'une vérité que tout le monde, et le public en premier, a depuis longtemps devinée. Mais le scénario (écrit avec la collaboration d'un 'script doctor' bien connu de nos services : un certain Pierre Paul Renders) noie cette trame essentielle dans un fatras de problématiques secondaires, de voies de garage, de pistes annexes, de détails pittoresques. Finalement qu'importe ? Le thème, de toute façon, est un peu bateau, n'est-il pas ? Et puis la magie est ailleurs...
Ce qu'on vous a raconté de l'histoire est peu de choses. Mais comment expliquer la rencontre avec l'expo '58 de Bruxelles et l'expo '67 de Montréal, la présence d’une tondeuse à gazon solaire qui travaille toute seule, un vieux break antédiluvien qui est en fait une voiture électrique qui doit changer la face du monde, deux inventeurs brindezingues, mais pas tant que cela, une sombre histoire d'espionnage industriel, un curé canadien un peu cowboy, un diamant dans l’œil, une boîte à souvenirs remplie d'objets hétéroclites et… un émeu ? Entre autres. Et pour corser le tout, le scénariste-réalisateur nous balance au fil de son histoire sans aucun souci de la continuité de temps ou de lieu. On passe de Liège à Montréal, de Montréal à Sainte-Cécile, puis retour à Liège : deux ans en arrière, six mois en avant, on répète la même histoire selon le point de vue de chacun des protagonistes, et ainsi de suite. Ce foisonnement narratif, qui part un peu dans tous les sens, nuit sans doute à la lisibilité du film. Pourtant, et on le répète tant cela ne paraît pas évident : ça fonctionne. Voir prendre cette incroyable mayonnaise est même un des charmes du film. 

Ce jaillissement continu aide, sans doute, à faire passer le côté "pudding", toujours  indigeste dans les coproductions internationales. On veut parler de cette juxtaposition culturelle rendue nécessaire par le travail dans plusieurs pays, avec des équipes et des méthodes différentes. Du travail sur le scénario, pour expliquer que l'on passe d'un pays à un autre, d'une société à une autre, qui présente toujours un côté un peu fabriqué, artificiel. Ici, l'histoire peu vraisemblable de cet homme né dans une grange au Canada, élevé au Congo, vivant en Belgique et qui retourne au Québec à la recherche de sa famille naturelle, passe finalement comme un détail dans tout le reste.
Et le cinéaste réussit ce qui est potentiellement intéressant dans un tel sujet : la mise en parallèle de deux sociétés différentes, avec ses mentalités, ses us et coutumes, sa manière de vivre ensemble.
Enfin, pour qu’une comédie dramatique comme Congorama fonctionne, le spectateur doit réagir au niveau émotionnel. Ici, l'émotion est assurée par un vrai travail sur les personnages, bien dessinés, attachants, avec un réel ancrage social. Travail prolongé par la performance des comédiens. Olivier Gourmet, bien sûr. On se rend compte film après film qu'il a la stature d'un grand : une présence physique, une aura, une technique qui lui permet de tout jouer, ou presque. Jean-Pierre Cassel a un rôle très difficile, mutique, d'une personne physiquement diminuée. Il l’incarne avec respect, sans tomber dans la caricature. Le fils et la femme de Michel : Arnaud Mouithys et Claudia Tagbo, sont justes et naturels. Sans oublier les québécois Paul Ahmarani, Gabriel Arcand et Lorraine Pintal. Tous contribuent à donner une réelle dimension humaine à un film qui, sans eux, aurait eu bien plus de peine à garder la tête hors de l'eau.  
Congorama n'est pas un film exempt de défauts. Mais l’équipe du film réussit à passer au-dessus avec de l’humour, de l’audace, un sens aigu de l’observation, et beaucoup d’enthousiasme. Car on sent à l’évidence que l’équipe s’est attachée à ce projet, et cette ferveur, qui a aussi son revers (la surabondance dont question plus haut) se communique au spectateur par une mystérieuse alchimie qui est, peut-être, tout simplement celle du cinéma.

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