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Olivier Gourmet : Congorama

Publié le 12/01/2007 par Anne Feuillère et Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

« Le plus dur n’est pas d’avoir trois étoiles mais de les garder »

Coproduction entre le Québec et Tarantula Congorama, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes cette année, sort sur les écrans belges le 17 janvier, une comédie des origines loufoque et farfelue, entre le Congo, la Belgique et le Québec autour d’un inventeur un peu raté qu’interprète Olivier Gourmet. En décembre, le premier long métrage de Laurent Lherbier, Mon colonel, coproduit avec les Belges des Films du Fleuve, sortait en France. Pour ce rôle, l’acteur fétiche des frères Dardenne a perdu 27 kilos en trois mois. Un tour de force ! 

Cinergie : Vous avez l’air d’avoir souffert pour le tournage de Mon colonel. Vous avez subi une réelle transformation physique.
Olivier Gourmet : Ah ! On ne perd pas 27 kilos dans le plaisir ! Alors oui, il y a une certaine forme de souffrance mais aussi une certaine forme de plaisir à voir le résultat ! Mais ce n’était pas un régime protéiné en sachet où on perd tout plaisir à manger. Et ma vraie chance, c’est que j’aime tout ! J’ai donc mangé des légumes !

 

C : Vous aviez déjà réalisé une transformation physique aussi…
O. G. : Radicale ? Oh non ! Bien souvent, j’opère de petites transformations, légères, … une barbe, des lunettes différentes, qui font que les gens me disent « tiens, je ne t’ai pas reconnu ». Un "pas grand-chose" peut suffire. Il ne faut pas forcément aller dans la démesure pour sembler différent. Mais là, le personnage nécessitait cette transformation. A la lecture du scénario, on ne pouvait pas imaginer un personnage aussi rond que ce que j’étais avant. C’est un homme de terrain, un vrai guerrier, qui part au combat avec ses hommes. C’est un athlète et non pas un officier sorti de l’école militaire. Enfin… il ne s’agit pas vraiment d’une transformation, c’est plutôt le résultat qui en est une. On ne savait pas ce que cela donnerait, j’aurais pu être maigre avec la peau qui tombe…

 

C : On dit de vous que vous êtes le De Niro belge. Cela vous évoque quoi ?
O. G. : C’est flatteur ! J’aime bien que l’on dise ça. C’est tout de même l’un des acteurs qui a été à la base de mon envie de faire ce métier. Sa façon de jouer a été une référence à l’époque où il se mettait encore à l’arrière de ses personnages pour les servir. Mais il est guetté par le danger qui guette tous les acteurs : celui de finir par se répéter et de se rendre plus présent que ses personnages.

 

C : N’est-ce pas aussi une question d’école et de méthodes de travail ? Vous disiez que pour préparer un personnage, vous aviez besoin de l’aborder dans ses plus modestes gestes, dans son quotidien ?
O. G. : On dit d’un personnage qu’on l’incarne. Si on prend le mot dans son étymologie, il s’agit d’« entrer dans la chair de ». Ensuite, il y a bien une histoire de formation. Je suis entré sans le savoir dans une école où on abordait le travail de l’acteur selon les méthodes de Stanislavski. A partir du moment où l’on comprend suffisamment bien ce qu’il a voulu faire passer, je trouve cela vraiment très très important. Il suffit de regarder autour de vous, quand vous êtes touché par un événement, même banal, une porte qui ne s’ouvre plus par exemple, inévitablement, le corps exprime quelque chose. Avant même les commentaires, cela se trahit physiquement par le corps. Dans vos yeux, sur votre visage, je peux lire des choses qui sont inconscientes chez vous mais qui sont là, qui font que ce sont les événements que vous avez vécus dans votre vie qui vous façonnent, vous transforment, qui font que vous avez des rides ou pas, que vous avez ou pas une étincelle dans le regard… Voilà, c’est comme sur une photographie, on peut s’imaginer des tas de choses sans les mots, uniquement à partir de la présence physique. Lorsqu’on essaie de vivre profondément les choses, qu’on essaie de trouver ce que peut ressentir le personnage dans telle situation et qu’on s’interroge - qu’est ce que je peux chercher dans ma vie qui me donnerait la même intériorité, la même humeur que ce personnage à ce moment-là - si on fait l’effort de ressentir cela, alors, inévitablement, le corps suit : la respiration va être différente, le corps va bouger différemment… Lorsque tout est subtilement dans le corps, presque indicible, presque pas vu, ça devient magique et c’est ce qui pour moi, avec plein d’autres détails, fait la magie du cinéma. Sinon, on reste dans l’anecdote.

 

C : Est-ce que ce prix d’interprétation à Cannes a fondamentalement changé quelque chose pour vous ?
O. G. : Pour moi, ça n’a « fondamentalement » rien changé du tout ! Dans le regard des autres, beaucoup : la considération ou l’envie de certains réalisateurs. Cela ouvre aussi certaines portes en terme de production. Notamment pour des films d’auteurs auxquels mon nom, un peu plus connu ou médiatisé, donne peut être un peu plus de chance. Mais pas dans le domaine du cinéma grand public, « bancable ». On ne se sent pas plus à l’aise grâce à un prix, non. J’essaie toujours de l’être sur un plateau de tournage. Si vous êtes tendu, les choses se passent moins bien, sont moins fraîches, moins inattendues. Il faut être disponible. Mais quand vous commencez un tournage avec des gens que vous ne connaissez pas, une certaine tension se crée toujours sous le regard de l’autre. Cela peut parfois même donner la pression : « Putain, on m’a donné un prix, il faut que je reste à la hauteur maintenant ! ». C’est comme les cuisiniers, quand vous obtenez trois étoiles au guide Michelin, le plus dur ce n’est pas de les avoir mais de les garder !

 

C : On vous associe évidemment aux frères Dardenne. Bien qu’on imagine qu’elle va dans le même sens que votre formation, est-ce que leur méthode de travail, très particulière, vous a pour autant marqué, est-ce qu’elle vous poursuit quand vous travaillez avec d’autres réalisateurs ?
O. G. : Oui, inévitablement, ça vous poursuit et vous transforme. Que ce soit les frères Dardenne, ou d’autres réalisateurs, cela vous construit différemment. Peut être pas radicalement différemment, mais vous êtes de toute façon plus riche d’une expérience. Je dis toujours qu’on ne peut se construire qu’à travers les autres et d’abord à travers ce que leur regard vous renvoie de vous-même. Si vous êtes un tant soit peu attentif à l’autre, non pour savoir égoïstement si vous lui plaisez ou pas, mais pour savoir si vous vous inscrivez dans sa façon de vivre et si vous n’êtes pas en train d’empiéter sur ses plates-bandes, vous vous construisez vous-même. La différence de l’autre fait que, tout à coup, vous pouvez remettre certaines choses en question. Ceci dit, sur le travail de fond des frères Dardenne et sur ma manière d’aborder les personnages, il y avait bien sûr des affinités qu’ils ont senties au départ. Ils ne m’ont pas choisi par hasard à l’époque de La Promesse – et je le sais puisqu’on en a parlé. Mais ce n’est pas eux qui m’ont donné envie d’aborder mes personnages de cette manière. Cela vient plutôt de ma formation. Quant à leur façon de travailler, oui, ils m’ont appris beaucoup de choses : comment d’une manière simple, efficace et sensible, traiter de certains sujets qu’il est nécessaire pour moi de traiter aujourd’hui dans notre société. Cela m’a procuré beaucoup de plaisir et cela m’a ouvert dans ma vie d’acteur, dans ma façon d’aborder le cinéma ou le théâtre, à d’autres envies.

 

C : Vous voulez dire par rapport à un cinéma engagé, éthique ?
O. G. : Oui, en tous cas, par rapport à un cinéma qui interpelle les gens, simplement, sans leçon de morale, juste pour tirer des constats. Je pense qu’il est important aujourd’hui de profiter du cinéma, de cet espace encore privilégié, pour s’exprimer sur des sujets douloureux. Même si de fait, le cinéma est aussi pour moi un moment important de distraction, et j’y vais pour passer un bon moment. Je viens de voir Babel d’Inárritu par exemple : cela m’intéresse de voir le point de vue de quelqu’un, ici un mexicain, qui m’interpelle sur des choses que je vis tous les jours, sur le monde d’aujourd’hui, sur différentes cultures. Il faut continuer à faire ça et ne pas abandonner cet espace.

 

C : De là aussi votre envie de vous investir dans un film comme Mon colonel ?
O. G. : Oui. Parce qu’au-delà des événements historiques de 1956, de l’invasion de l’Algérie par l’armée française et de la guerre pour l’indépendance du FLN, on vit dans une époque où Georges Bush veut légiférer sur la torture, ce qui se passe à Guantanamo ou Abou Ghraib. C’est terrible qu’aujourd’hui on puisse encore dire qu’il faut torturer des gens. La France est sur la même voie puisqu’un décret est en préparation. Cela veut dire que 50 ans après ces événements et les premiers actes terroristes, on n’a pas vraiment évolué. Il faut parler de certaines choses de manière objective, non pas provocante ni rédemptrice, mais constater la monstruosité de certains hommes. Ce colonel a, au départ, une vision du colonialisme qui n’est pas dictatoriale. Il reconnaît, dans le soulèvement algérien, une forme de légitimité parce que le colonialisme n’a été qu’une entreprise pour enrichir les colons alors que pour lui cela devait aider un peuple à s’élever au-dessus de lui-même. Je ne défends pas cette opinion-là. Et puis tout à coup, pour défendre les intérêts républicains de l’époque, parce que le gouvernement français a permis que tous les moyens pour ramener l’ordre en Algérie soient utilisés, cet homme va pratiquer la torture. Comment va-t-il glisser là-dedans ? Comment expliquer aujourd’hui l’horreur de manière honnête et sensible ?   

 

C : Qu’est-ce qui vous a fait embarquer dans l’aventure si différente de Congorama ?
O. G. : C’était un film qui m’amusait énormément dès le scénario. D’emblée, il y avait une singularité humoristique. Il n’y avait pas les canevas ou les clés du genre, tout ce qui fait que si l’on écrit comme ça et comme ça, on va vers la comédie. C’était tout à fait singulier et personnel. C’est vraiment ce qui m’a, moi, amusé. Et l’on me propose peu de rôles de ce style. C’est gai, la comédie, j’aime ça. Je suis quelqu’un de plutôt jovial et qui aime bien rigoler dans la vie donc pourquoi pas dans des films si cela rencontre aussi ce qui m’intéresse au cinéma. En même temps, je crois que l’humour, la comédie, partent toujours de l’âme humaine, ce qu’est un être humain. On développe ses qualités et ses défauts dans le drame ou on les étire pour les rendre monstrueusement drôles dans la comédie.

 

C : La cocasserie est aussi dans ce Congo qui fait le lien entre le Québec et la Belgique.
O. G. : Oui, c’est une idée farfelue. Pourquoi le Congo ? Philippe Fallardeau serait lui-même bien embêté de devoir répondre à cette question, sinon que cela fait partie d’une certaine identité de la Belgique. Je crois qu’il s’agissait pour lui de trouver un point de départ farfelu. Il est tombé par hasard sur des images d’archives de l’Exposition Universelle de 1958 qui l’ont beaucoup fait rire. Il trouvait le mot « congorama » amusant et il avait envie de l’inclure dans le film. Congorama est en fait un clin d’œil à la quête d’identité de ces deux hommes. Après, il y a tout leur vie intime et quotidienne, leur famille, leur travail, leur fonction.

 

C : Oui, c’est aussi l’histoire d'un choc culturel. Quelle a été votre expérience du Québec ?
O. G. : Amusante, amusante… on découvre une façon de vivre, une culture francophone totalement différente parce qu’influencée par l’Amérique. C’est un peuple chaleureux et c’est aussi le sujet du film, l’histoire de ce personnage qui, à 43 ans, découvre qu’il n’est pas de là où il croyait et tombe des nues en découvrant une culture qui n’est pas du tout celle à laquelle il s’identifie. Ce qu’il n’est pas prêt à accepter puisqu’il abandonne sa quête assez rapidement. C’est ce qui crée tout l’antagonisme, les quiproquos, la démesure et le burlesque du film. Congorama parle aussi de la difficulté et de la peur de faire face à d’autres cultures. Mais c’est un film drôle et farfelu dans sa réalisation, assez ludique et interactif. Il se construit petit à petit. Le spectateur sait à l’avance ce que les personnages ignorent.  On ne comprend la première histoire qu’à partir de la seconde et tout se résout dans la troisième. C’est tellement singulier. Les gens sont très surpris. J’étais à Paris pour l’avant-première et les spectateurs sortaient de la salle étonnés, avec des sourires et des étincelles dans les yeux, en disant « Mais qu’est ce que je viens de voir ? C’était drôle ! ».

 

C : Et vous interprétez encore un rôle de père ! Car si c’est un film sur la filiation, c’est aussi un film sur la paternité puisque votre personnage va finalement apprendre à être père.
O. G. : Oui, absolument, il va ouvrir les yeux sur sa responsabilité de père et sur ses manques jusque là… C’est vrai, j’ai souvent ces rôles mais c’est un hasard. On me pose souvent la question mais ce n’est pas un choix personnel. Bien souvent, quand je lis un scénario, je ne me dis pas « Oh, tiens, encore un rôle de père ». Enfin, maintenant, ça m’arrive ! Mais chaque réalisateur a sa propre vision de la paternité et la raconte d’une manière différente. Ce n’est jamais deux fois la même chose, cela ne me dérange donc pas. Mon colonel est d’ailleurs aussi une histoire, entre autres, de filiation.

 

C : Congorama c’est aussi un type banal dont la vie bascule tout à coup. Vous avez aussi souvent ces rôles de monsieur tout le monde, non ?
O. G. : C’est vrai et ça, c’est un choix. Je vais plus vers des personnages qui me parlent humainement et concrètement, auxquels je peux m’identifier, dont je peux comprendre la bêtise, la monstruosité ou la drôlerie plutôt que vers des personnages caricaturaux ou archétypaux. C'est beaucoup plus amusant pour un acteur de jouer des personnages complexes humainement que des personnages caricaturaux. C’est vraiment une question de plaisir, et pas du tout une démarche intellectuelle. Le travail sur ces personnages est plus important, demande plus d’implications, d’interrogations. C’est plus difficile de se poser des questions sur des gens banals dans leurs vies quotidiennes que sur des personnages fait sur mesures, qui n’ont qu’une couleur. Qu’est ce qui fait qu’on est pervers, qu’est ce qui nous rend jaloux, gourmand ou triste ? Je trouve plus amusant de me poser ces questions-là et de les développer dans un personnage que de jouer des émotions préfabriquées. Je préfère la magie.

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