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Conservatoire de Jean-Philippe Laroche

Publié le 01/10/1998 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Je est un autre

Un film n'existe pas sans les acteurs qui donnent chair aux personnages, qui les font vivre à l'écran et émeuvent le spectateur. C'est donc un métier essentiel dans la réalisation d'un film, un métier qui le porte sur ses épaules, pourrait-on dire. Sans la présence, l'incarnation des acteurs, le cinéma serait réduit à une sorte de Play Station géant.
Dans les magazines (la presse à sensation qui se baptise "d'émotion") ou de programmes télé, on parle beaucoup de la vie privée de quelques-uns et peu d'un métier pourtant passionnant qui demande à celui qui l'exerce un investissement affectif, un choix de vie qui souvent nous font penser à ces mots de Pascal Lainé : "Elle ne se sentait bien qu'en costume de scène. Je crois bien qu'elle n'était elle-même, vraiment, qu'en devenant une autre" (L'Incertaine).

Conservatoire de Jean-Philippe Laroche

Tous en scène

Le film de Jean-Philippe Laroche prend le problème à bras-le-corps en nous faisant vivre, de l'intérieur, le parcours de quelques élèves de classe d'art dramatique pendant une année. D'emblée on est confronté à l'exercice du métier : le rôle, répété par couples de comédiens pour passer l'examen d'entrée.

L'angoisse des examinés et les scrupules des examinateurs, leurs débats : "Elle se dissimule - C'est pas évident! - On la garde en réserve!" Cotation des élèves. "On en retient vingt-trois, pas un de plus !"

Joie et folles embrassades des candidats retenus. Rentrée scolaire et, sans autre préambule, Pierre Laroche explique à un auditoire attentif et amusé qu'ils ont choisi un "métier bouché et sans débouchés". La scène, son pouvoir, la magie, l'ivresse qu'elle procure. Le contact entre le comédien et son public. "L'acteur est là qui laisse échapper la vie, il hume l'auditoire. C'est physique. Tout à coup on sent qu'il y a une qualité de silence ou une qualité d'amusement, de rire, d'éclatement, qui devient tangible. Un agglomérat de personnes si différentes - y compris l'acteur - qui sont concentrées sur un seul point de vie, ce sont des moments qui compensent au centuple les peines, les difficultés."

Pleins Feux

Dédoublement. Je est un autre. Découverte de l'autre qui est en soi. Gérer ça. De la névrose à l'hystérie, Hamlet ou Ophélie. Passion d'un métier qui la plupart du temps n'entraîne aucune considération sociale, où l'on est au mieux un personnage vivant dans la lune, "un artiste" (c'est-à-dire quelqu'un qui vit la survie matérielle : rôle saisonnier/chômage). Rien n'y fait, la passion demeure pleinement. S'investir dans l'immatériel, en faire un langage et lui offrir un corps. Exprimer le dit et le non-dit, l'incarner. Les acteurs habitent le corps mythique des mystiques sympathiques.
Découvertes, explications, répétitions de scènes, du travail que les étudiants vont présenter au concours de fin d'année face à un jury, au public, parents et condisciples. Pédagogie. Conseils. Recommandations. Attention à la psychose : "L'acteur qui s'oublie au point de ne plus savoir ce qu'il fait sur une scène va droit à la catastrophe. Je crois qu'il y a une partie consentante qui accompagne l'abandon. Tout acteur, partout au monde, cherche l'abandon", précise Pierre Laroche qui, en bon adepte du zen, termine sur un éloge du non-dit exprimé par un geste.

 

Jean-Philippe Laroche - à qui l'on doit La dame dans le tram, un court métrage pétillant de 8 minutes, réalisé en 1993 - ne nous montre pas dans Conservatoire que l'initiation d'élèves au métier de comédien. Il nous laisse voir et entendre la passion qui les anime, en évitant les numéros de bravoure (l'exhibitionnisme théâtral) et, mine de rien, en douce, dresse un portrait juste de Pierre Laroche comédien, réalisateur, pédagogue mais comme au billard, par la bande. Le ricochet est d'ailleurs l'une des figure de style de ce film. Exemple : deux comédiens répétent une scène devant leurs examinateurs. Ils sont vus de dos. L'un d'entre eux est assis sur une chaise roulante. Cut. Raccord sur le visage de l'étudiant "handicapé" vu de face qui parle de sa vie. D'un rôle à l'autre. De l'imaginaire à la vie réelle.

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