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De Schaduwwerkers d’Annelein Pompe

Publié le 01/02/2022 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

La contagion des passions

Parmi les petits bijoux qu’on pourra découvrir bientôt, il ne faudrait pas manquer De Schaduwwerkers, une coproduction avec le SIC et le VAF. Un film foutraque, drôle et joyeux, un petit OVNI à la fois modeste et fantasque, l’histoire d’un pigeon qui ne voyage pas, d’un poète pakistanais et d’une bonne à rien néerlandaise… Un vrai régal !

De Schaduwwerkers d’Annelein Pompe

De Schaduwwerkers, ce sont les travailleurs cachés… Lukaku, le pigeon qui se tient toujours la tête à l’envers et ne cesse de réclamer des câlins, les définit ainsi : ce sont ceux qui, en plus de travailler avec leur corps, travaillent avec leur tête… Double travail et ce, d’autant plus que la tête souvent rêve de faire autre chose que le corps. Usman travaille de nuit dans sa boutique. Le jour, il s’en va voir ses pigeons. Colombophile passionné, il écrit de la poésie qu’il aime déclamer à la "Bonne à rien néerlandaise", comme l’appelle Lukaku. Elle, elle vend du miel dans une boutique le jour. La nuit, elle se demande ce qu’elle pourrait bien faire pour ne pas mourir d’ennui, coller à son comptoir, toute sa vie… Quant à Lukaku, il parle et il présente chacun des personnages du film. Il en raconte l’histoire, il décrit ces étranges humains qui traversent son champ de vision... C’est une grande partie de la saveur de ce petit film, ce monde vu par un pigeon (y compris quand la caméra pivote à 180 degrés pour tenter de se rapprocher des perceptions de l’oiseau).

Lukaku non plus n’est pas comme les autres : bien qu’il soit un pigeon voyageur, il ne voyage pas non plus. Il vit avec un homme qui a trois chats et plein de pigeons, dont F16 qui, lui, voyage. Et son hôte, il le colle de toute son âme ronronnante. Car oui, les pigeons roucoulent donc quand on les caresse, comme les chats. On découvre beaucoup de choses dans De Schaduwwerkers à propos des pigeons voyageurs, grande passion belge, mais aussi pakistanaise comme en témoigne Usman. Et beaucoup de ferveur autour de ces volatiles qui peuvent être en or. Le film est un réel documentaire sur l’oiseau, mais il est surtout illuminé par l’émerveillement des colombophiles. Quant à la "Bonne à rien néerlandaise", qui n’arrive pas à prendre son envol, elle rêve de toutes ces passions et va s’en trouver peu à peu contaminée pour se risquer à prendre son envol grâce à son ami et aux pigeons. Cela consistera à décoller de son comptoir pour s’en aller vivre ses rêves ailleurs pour peindre et faire un film, on l’aura compris, celui-là même qu’on regarde.

Drôle et fantaisiste, ce De Schaduwwerkers est une fable existentielle savoureuse où l’on se fiche de la bienséance des plans léchés pour capter des moments de joie, de complicité, d’ennui collant ou de désarroi. Ou les rencontres, les amitiés, les différences sont sources de curiosités et d’enrichissements. Où l’on se met à la place d’un pigeon pour déconstruire nos rapports au travail et à la vie normée. Dans De Schaduwwerkers, tous les personnages sont un peu différents, pas tout à fait attendus. Étonnants et tendres, leur profondeur déborde toutes les cases. Les plans aussi se débordent en quelque sorte, par de petits détails qui les envoient palpiter dans le hors champ juste à côté, parce que le film aspire à l’ailleurs avec ces images du Pakistan qui reviennent ou les cieux immenses traversés par les oiseaux, parce que la caméra se permet les angles étranges comme la tête de Lukaku…. Et l’histoire elle-même virevolte, multipliant l’incongru, les surprises et l’humour décalé. Sans jamais se prendre au sérieux avec ses questions pourtant si profondes, le film nous communique sa joie, celle, modeste, de regarder autour de soi et de s’émerveiller. Et dans cette période sinistre, c’est le désir qui devient contagieux. Ce qui fait grand bien !

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