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Déjà s’envole la fleur maigre.

Publié le 19/01/2017 par Serge Meurant / Catégorie: Sortie DVD

"Des branches déjà s’envole la fleur maigre et moi, j’attends la patience de son vol irrévocable"
Les vers du grand poète sicilien Salvatore Quasimodo ouvrent le film de Paul Meyer et leur lumière a la fragilité d’un espace menacé, le Pays noir.

Déjà s’envole la fleur maigre.

Œuvre unique, longtemps occultée, reniée par ses commanditaires, elle invite le spectateur à percevoir la beauté d’une terre abandonnée. Sa modernité nous paraît aujourd’hui évidente. Le film n’est ni réaliste ni didactique. Il touche à la poésie pour évoquer la vie des immigrés du Borinage, de ceux-là qui arrivent à la recherche d’un travail et de celui qui s’en va rejoindre son village natal en Italie. C’était au départ une commande sur l’intégration des étrangers et ce qui nous est montré des conditions de la vie des mineurs, à une époque où les charbonnages ferment l’un après l’autre, nous persuade de l’inhumanité de celles-ci : les baraquements, les puits aux ascenseurs archaïques, les gueules noires des forçats du charbon. La catastrophe du Bois du Cazier dont les victimes sont, pour la plupart, italiennes endeuille cette communauté. Malgré cela, le premier jour d’école du jeune garçon fraîchement arrivé d’Italie évoque la volonté d’intégrer les enfants en leur donnant à prononcer , chacun dans sa propre langue, le nom de leur mère.

C’est le personnage de Domenico , mineur retraité, qui transmet aux enfants la mémoire de l’histoire ouvrière et de son paysage . Il établit avec eux une belle complicité , née de l’expérience de la pauvreté. C’est ce qui fait écrire à Marc-E Melon, que « ce film est à l’image des bonbons invisibles que Domenico offre aux enfants en leur disant qu’ici , ce qui ne peut servir est sans valeur, mais ce qui ne sert plus à rien est précieux. Telle est la vraie subversion du film, là où le travail fait défaut, il reste toujours la poésie. »(1)

Il est aussi des images inoubliables, celles des glissades vertigineuses des enfants sur les pentes du terril , celui d’un adolescent accidenté dont la silhouette se découpe au sommet d’un bâtiment en ruines. C’est aussi le vieil homme qui apprend à un gamin les mots qui déclinent le désastre social et humain que vit la région : Borinage- Charbonnage- chômage .

Si l’on a pu comparer Déjà s’envole la fleur maigre aux œuvres du néo-réalisme italien, j’y verrais aussi des affinités avec le cinéma portugais des années 70, par la pauvreté des moyens de tournage, par la modernité du film où Meyer regarde le monde comme s’il n’avait jamais été filmé. Il s’agit de ce que Pasolini appellera plus tard « le cinéma de poésie. » L’intégration des enfants issus de l’émigration n’a rien perdu de son actualité, bien au contraire, il est au centre des recommandations et des ukases populistes , sans prise en compte, souvent d’un travail de mémoire ouvrière. C’est en cela qu’il est urgent de montrer dans les salles et en milieu scolaire sous la forme maniable d’un DVD, ce chef d’œuvre universel , précurseur d’un cinéma wallon.

La restauration du film par la Cinematek restitue à Déjà s’envole la fleur maigre la beauté de ses noirs et blancs. Le livret d’Emmanuel Massart situe l’œuvre dans son contexte. Trois courts métrages complètent l’édition DVD . On en retiendra essentiellement Klinkaart (La briqueterie) qui raconte la première journée d’une ouvrière adolescente dans une briqueterie de la région anversoise où elle subit «  le droit de cuissage exercé par son patron ». C’est un film social, émouvant et fort.


Dic Doc. Le dictionnaire du documentaire, 1999 et Regards sur le Réel, Yellow Now/ Côté cinéma, 2013.
Déjà s’envole la fleur maigre, Paul Meyer,1960, 80’, DVD édité par CINEMATEK

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