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Desert Haze de Sofie Benoot

Publié le 15/09/2014 par Sylvain Gressier / Catégorie: Critique

Traversant le grand Ouest à la recherche des traces fondatrices du mythe américain, Desert Haze nous plonge dans un jeu de piste dessinant une certaine histoire des États-Unis. À la fois profond et subtilement décalé, contemplatif et d'une grande densité, le nouveau documentaire de Sofie Benoot clôt avec talent sa trilogie américaine.

desert hazeL'histoire dans le désert semble se bâtir à la manière des stratifications rocheuses qui le composent, chaque époque, chaque événement se superposant sur les précédents, cachant aux vues des gens l'ensemble des couches qui la composent. Partant à la recherche des traces ensevelies du passé, Desert Haze plonge dans un Far West iconique pour mettre à jour à travers une série d'espaces et de rencontres certains événements que d'autres avaient préféré cacher sous un tapis de poussière.

Porté par une superbe photographie, ce documentaire prend le meilleur d'un paysage désertique époustouflant. La caméra va sans cesse de l'avant semblant s'aventurer à la conquête du désert, tandis qu'un zoom arrière vient régulièrement créer un travelling compensé sublimant les perspectives arides. L'espace et les cadres singularisent les êtres et les objets, les rendant tantôt cocasses tantôt mystérieux. Des colons en baskets rejouent à force de charrettes à bras et de katy cabines la traversée du Grand Ouest, tandis que d'amers indiens glosent sur l'absurdité du monde qui a remplacé celui de leurs ancêtres. L'on passe rapidement sur des astronautes rétros, comme oubliés là depuis des lustres pour survoler tout aussi subrepticement d'étranges courses de vitesse au beau milieu d'un espace tant immaculé qu'infini. Une ville qui n'existe pas, de meurtrières radiations, la mer disparue et pourtant omniprésente, Sofie Benoot filme le singulier et l'invisible. Au travers de fragments d'images et de récits, la réalisatrice disperse son film à la manière d'un puzzle éclaté. Laissant le loisir au spectateur de chercher à relier les différentes séquences pouvant s'agencer, formant à terme une peinture d'ensemble.

La force du film tient dans ce parti pris de composition plutôt que de décomposition analytique. L'on traverse les lieux et les rencontres au gré de cette déambulation cinématographique, les thèmes et les protagonistes apparaissant et réapparaissant par pointes plus ou moins marquées, selon que la réalisatrice décide d'en accentuer ou non la présence.

Sans chronologie ni spatialité arrêtées, ces histoires affluent au cours du documentaire à la manière d'autant de découvertes qu'effectuerait un voyageur parcourant ces terres arides. Le film laisse de côté toute prétention informative pour nous plonger dans un univers sensible où le discours scientifique tient la même place que le conte amérindien.

Si on y apprend le nom de ces espèces de buissons traversant le cadre de tout western qui se respecte, on ne saura que très peu de choses de cet ancien camp de concentration pour japonnais ou rien du tout de ce tank perdu au milieu de nul part. Sofie Benoot ne lève que partiellement le voile sur les mythes qu'elle défleure, nous laissant jouir d'une part de mystère fécondant notre imagination.

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