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Didier Lechien, régisseur

Publié le 12/09/2007 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Métiers du cinéma

Rendez-vous aujourd’hui avec Didier Lechien dans un endroit de la ville qu’il aime bien. Mais, au moment de partir, plus de clés, et me voilà bloquée à la maison. Je me décide et l’appelle : heureusement, car il avait "un peu" oublié le rendez-vous, comme quoi perdre ses clés n’est pas totalement négatif. Je lui propose de venir faire l’interview à la maison. Il est gentil, Didier et répond tout de go : "Pas de problème mais j’aurais du retard" !
Pas de problème, je suis de toute façon coincée à la maison…
Didier Lechien, c’est Monsieur Solution, alias Géo Trouve Tout, alias Mister débrouille… Didier est régisseur. Un métier de l’ombre que Cinergie a décidé de mettre ce mois-ci en pleine lumière.

Didier Lechien, régisseur

Cinergie : Didier, tu es donc régisseur, il y a des écoles pour ça ?
Didier Lechien :
Non. On peut devenir régisseur de différentes façons. Ce qui s’est passé en ce qui me concerne, c’est que j’ai fait une école qui s’appelle l’IHECS, l’Institut des Hautes Etudes des Communications Sociales, une école qui prépare les gens aux métiers de la communication, qui forme des journalistes, des relations publiques et les métiers de la publicité. C’est une formation en 4 ans…enfin, moi j’en ai fait 6 parce que j’étais un peu paresseux.
J’ai fait publicité, et j’étais un peu désoeuvré en sortant parce que j’avais fait un stage dans une agence de pub…enfin, un stage, je faisais les photocopies quoi ! Ce qui ne me plaisait pas, c’était le côté un peu hypocrite, s’emballer pour rien, et donc je n’étais pas très attiré par ce métier-là.
Mais c’est quand même grâce à ça que j’ai pu faire une belle rencontre, celle de Jacques Calvaer. Jacques était régisseur pour une boîte de pub qui n’existe plus maintenant, Banana Split. J’ai commencé à l’aider.
Je faisais du transport, de l’intendance, les courses, je réservais les hôtels… Quand tu travailles, tu fais la connaissance de gens qui te font confiance, qui donnent ton nom à des directeurs de production… Ça s’est fait un peu comme ça, de fil en aiguille. Le patron de Banana, c’était Jean-Luc Van Damme, qui est aujourd’hui producteur de long métrage et qui vient de produire Goodbye Bafana de Bille August. Jacques Calvaer est devenu directeur de production chez Jean-Luc, et il m’a pris comme régisseur.
Les quatre cinq premières années, je ne faisais que de la publicité, pas de fictions. Après, j’ai fait des téléfilms, et au bout d’un certain temps, j’ai commencé à faire la régie générale sur des long métrages de fiction.

C. : Un travail de régisseur dans la publicité, c’est équivalent au travail sur un long métrage ?
D.L. : Le principe est le même. Le travail concret, obtenir les autorisations de tournage, faire le lien entre l’extérieur et l’équipe tout ça reste, mais les moyens ne sont pas les mêmes et le but n’est pas le même. L’aventure "humaine" sur un long métrage est quand même différente.

C. : C’est aussi important pour un régisseur que pour un acteur d’avoir un bon scénario ?
D.L. :
Non, peut-être pas, mais ça fait quand même plaisir d’être sur un projet qu’on aime. Il est rare qu'un régisseur refuse un projet. Entre 1995 et 2000, par exemple, il y avait un marché énorme du téléfilm français en Belgique parce que c’était moins cher de tourner ici. Souvent, les téléfilms, ce sont des scénarios un peu légers, pas très profonds, mais le travail de régisseur reste intéressant. Être régisseur, c’est avant tout faire le lien entre les différents techniciens, travailler en équipe. Donc, le plus important, ce sont quand même les gens avec lesquels on travaille.
Et puis, bloquer une route pour un petit téléfilm ou un film merveilleux, ça reste bloquer une route !

C. : C’est ça ton quotidien donc, bloquer les routes ?
D.L. :
Oui…(Rires) Enfin, une grande partie de mon boulot, c’est d’obtenir des autorisations. Sur le dernier film que j’ai fait, Formidable de Dominique Standaert, on a tourné de nuit sur Schaerbeek, j’avais prévenu tout le monde, mais on a quand même eu des plaintes. Moi, je passe toujours par la commune pour garder les places de stationnement et je mets un avis dans chaque boîte à lettres des riverains pour qu’il sache ce qui se passe. Certains régisseurs ne le font pas, mais  je trouve qu’il faut trouver des compromis et pas considérer que parce qu’on tourne un film, alors tout est permis.
Je me souviens qu’un jour la police est venue dépanner une voiture qui gênait et le propriétaire a porté plainte… contre moi !
Bon, ça c’est arrangé, heureusement ! Et puis on n’est pas à Paris ou à Londres : ça arrive très très rarement ici. À Bruxelles, il y a toujours moyen de trouver des solutions. 90% du temps, les gens sont ravis qu’on filme leur rue, le quartier qu’ils voient tous les jours.
Le nombre de fois où on m’a demandé : « Ça passe quand ? C’est qui les acteurs ? », je ne les compte plus !
Et puis, le métier de régisseur ce n’est pas que ça.
Le régisseur s’occupe aussi de tout ce qui est intendance : organiser les transports, réserver les hôtels, aller chercher du matériel, prévoir un lieu pour la cantine, savoir combien de repas seront servis, prévoir l’endroit pour les maquilleuses… Bref, l’équipe régie organise ce que j’appelle la petite vie de tous les jours, beaucoup de choses différentes, en fait.


C. : Tu ne fais pas les repérages ?
D.L. :
Ça m’est arrivé d’en faire, mais les trois quarts du temps, quand un régisseur arrive sur un projet, les repérages sont faits. Il y a plusieurs sociétés qui s’occupent de ça. Par exemple, pour le film sur lequel je travaille en ce moment, les décors vont être assez compliqués parce qu’on va tourner des séquences genre Sissi Impératrice, genre western etc. Là, il faut de vrais pros. C’est un métier très important et très intéressant. Quand il m’est arrivé d’en faire, j’ai vu des villas incroyables avec des œuvres d’art partout, piscine, sauna….enfin, tu imagines. Des lieux un peu insolites aussi, la Tour de Contrôle de Zaventem, le musée de Tervuren désert…

C. : Quand des séquences sont tournées dans différents pays, le régisseur suit l’équipe ?
D.L. :
En principe non. Ça m’est arrivé une fois, mais en général, c’est un autre régisseur qui prend le film en charge, et c’est normal : moi, je sais comment ça se passe à Bruxelles, mais je ne sais pas du tout comment on demande des autorisations au Canada ou en Allemagne…Je serais perdu ! La façon dont s’organise le travail de régie est très différente d’un pays à l’autre.

C. : Ton premier long, c’était quoi ?
D.L. :
Le premier, c’était en 1996, sur le film de Pierre Grimblat, Lisa. Pierre Grimblat, c’est un grand Monsieur qui a beaucoup de prestance. Il est très fier de dire qu’il a organisé la rencontre entre Jane Birkin et Serge Gainsbourg dans Slogan en 69. Quand je l’ai rencontré, il tournait un long métrage qui était un peu son cadeau de fin de carrière avec Jeanne Moreau, Marion Cotillard, Benoît Magimel, Sagamore Stévenin. C’était un film un peu autobiographique, très romantique, qui n’a pas eu beaucoup de succès. C’était mon tout premier et le plus compliqué que j’ai jamais fait ! C’était une expérience très difficile. Je l’ai assez mal vécu. Je n’étais pas encore prêt je crois…
Après, avec l’expérience, on vit ça un peu mieux. Maintenant, je travaille à peu près sur 4 fictions et une dizaine de pubs par an, je pense. Avec le temps, on anticipe mieux. On est là pour aider, et le tout, c’est de ne pas prendre de retard. C’est un métier où il faut donner beaucoup et puis c’est plus calme, ce n’est jamais un effort continu.
C’est comme ça pour les projets, mais c’est aussi comme ça pour le métier en général. Il y a des creux et des vagues. Quelquefois, on dit oui à un projet, et deux heures plus tard, on a une proposition beaucoup plus intéressante qui tombe. On peut aussi rester quelques temps sans rien évidemment. Il n’y a pas vraiment ce qu’on pourrait appeler une sécurité d’emploi.
En fait, le régisseur est payé en forfait semaine sous contrat d’emploi, mais quand on ne tourne pas, on bénéficie quand même du statut d’artiste, une sorte de chômage plus élevé, un peu comme le statut des intermittents du spectacle en France.


C. : C’est le producteur qui engage le régisseur, pas le réalisateur ?
D.L. :
En principe oui, mais ça peut arriver. C’est assez valorisant d’être choisi par le réalisateur. Maurice Barthélemy par exemple, un des larrons des Robin des Bois m’a récemment demandé d’être son régisseur pour une publicité qu’il doit tourner, mais je n’étais pas libre malheureusement. On s’est rencontré sur son dernier long, Casablanca driver, un très chouette film et un de mes meilleurs souvenirs de tournage. Le contact a été très bon entre lui et moi et on est devenu ami. Il y a des moments, où une réelle relation s’installe.
L’année passée, j’ai fait un film avec Bernard Campan, un des Inconnus, et ça a été aussi une très belle rencontre. C’est un métier où on n’oublie pas les gens.
J’ai dû travaillé au moins 5 ou 6 fois sur des pubs avec Sergio Honorez, un des Snuls, Sergio Snuls comme je l’appelle, mais en général on travaille avec les mêmes directeurs de production plutôt qu’avec un même réalisateur.


C. : C’est drôle ! Tu dis que tu as noué une vraie relation avec Barthélemy des Robins des bois, Campan des Inconnus, un des Snuls maintenant…
D.L. :
Oui ! (rires) Et je suis aussi un ami, pas intime, mais on se connaît assez bien, de Yolande Moreau…

C. : Qui faisait partie des Deschiens !!!
D.L. :
Voilà… (rires) Va savoir pourquoi !


C. : Le nombre de personnes qui travaillent directement avec toi, j’imagine que ça dépend du film.
D.L.
: Oui, ça dépend de l’ampleur du projet. Pour Palais Royal de Valérie Lemercier, par exemple, il y avait 15 personnes qui travaillaient en Régie. Il fallait gérer 1000 figurants dans la cathédrale de Malines, et ça, ça suppose beaucoup de logistique. Il y avait 20 ou 30 maquilleuses, une salle communale remplie de miroirs…

C. : Qu’est ce que tu préfères ? Être sur un gros projet avec plein de moyen ou sur un petit film sans budget ?
D.L. :
Ben… C’est beau de travailler dans la difficulté parce que ça crée de la solidarité. On se serre tous les coudes, on essaie de trouver des solutions ensemble. Avoir un gros budget, c’est un peu à double tranchant, je trouve, même si ça facilite certaines choses  ! Je pense par exemple au tournage de Dikkenek d’Olivier Van Hoofstad. J’étais régisseur adjoint et on devait tourner une scène au cinéma Nova. On arrive là pour savoir si c’est possible, et Olivier fait un peu… son "Dikkenek" d’ailleurs, et balance que son film est financé par EuropaCorp, donc par Luc Besson. Pas vraiment la même philosophie que le Nova, quoi... Donc ça a posé problème, le Nova ne voulait pas qu’on tourne chez eux.
On a dû mettre plus d’argent pour pouvoir tourner.
Moi, je trouve que c’est très bien que Besson donne de l’argent au Nova ! L’inverse me paraît plus compliqué (Rires).


C. : Quel est le film avec le plus gros budget que tu aies fait ?
D.L. :
Je pense que c’était La vérité si je mens 2. Il y a eu deux jours en Belgique avec la séquence dans la synagogue et celle dans la grande surface. Il y a aussi Les anges gardiens avec Depardieu et Clavier, ça c’était énorme ! D’après ce que j’ai pu comprendre, le producteur devait absolument utiliser l’argent généré par Les Visiteurs. C’était très impressionnant. La cantine, par exemple, avait été imposée par Gérard Depardieu et c’était un camion avec semi-remorque qui se déployait… Un truc monstrueux au niveau logistique !


C. : Tiens, tu parles de cette cantine, et je pense à
La Nuit américaine de Truffaut, la scène où l’actrice principale déprime totalement, pleure, tape du pied et veut à tout prix une "motte de beurre"…
D.L. :
Oui bien sûr, je vois très bien…(rires) On ne m’a jamais demandé une motte de beurre, Dieu merci, mais on m’a déjà demandé des choses très…précises. Le plus impressionnant, c’était peut-être la loge de Catherine Deneuve pour Palais Royal. J’ai reçu par fax une liste de choses qui devaient absolument se trouver dans la loge :  des bougies parfumées de la marque diptyque, une eau minérale que j’ai dû faire venir de France, impossible de la trouver en Belgique, un bouquet de fleurs chaque jour, mais sans Lys, parce que l’odeur est trop poivrée, des thés de je ne sais pas où... Mais bon, une fois qu’on sait, ça va, et là, c’est encore raisonnable.
Jeanne Moreau aussi veut des fruits rouges… En juillet, ça va, mais en plein mois de février, on a intérêt à faire les épiceries très fines ! Des exigences comme celles-là, on ne les trouve pas en Belgique. Il n’y a pas de phénomène de starification comme en France, même si certains Belges font de très belles carrières, comme Cécile de France ou Benoît Poelvoorde, ce ne sera jamais la même chose qu’une Catherine Deneuve ou un Gérard Depardieu.

C. : En ce moment, tu es en plein projet pour un film avec Poelvoorde justement ?
D.L. :
Oui, je suis adjoint d’une très grande régisseuse, Marianne Lambert. On prépare le dernier film de Yann Moix avec Benoît Poelvoorde et Jean-Paul Rouve, la même équipe que dans Podium. Ça va s’appeler Ciné Man et c’est une sorte d’hommage aux différents genres cinématographiques, un très chouette projet !
On est en train d’essayer de trouver des véhicules. Comme c’est un film qui rend hommage à d’autres films très connus, on doit trouver les deux motos de Easy Rider, la voiture de Mad Max, la Batmobile, la soucoupe volante de La Soupe aux choux, la coccinelle…. Enfin, c’est « un peu »... compliqué ! (rires)
C’est un gros film et on va être occupé jusqu’à la fin de l’année.
Poelvoorde joue le rôle de Raoul, un prof de math qui a la faculté de voyager, de se retrouver dans les films…un peu dans le même esprit que La Rose pourpre du Caire de Woody Allen.


C. : Un autre projet en vue ?
D.L. :
Je suis en train de faire la préparation du film de Nicolas Barry, Les Enfants de Timpelbach, mais je m’arrête avant que le tournage ne commence parce que je suis sur le Yann Moix. C’est un très joli projet produit par le fils de Carole Bouquet, Dimitri Rassam. Depardieu et Bouquet ont d’ailleurs accepté d’être les guest stars pour aider un peu le film.


C. : Tu trouves qu’il devrait exister une formation pour être régisseur ?
D.L. :
Oui, je trouve qu’en effet, ça manque vraiment. Je pense qu’il serait très utile que des gens qui se dirigent vers la réalisation ou vers la technique sachent un peu ce que c’est d’être tributaire du bon vouloir des gens. J’ai quelquefois des demandes impossibles parce que justement, ils ne se rendent pas compte de ce que c’est que de jouer sur le monde extérieur, et combien c’est compliqué parfois d’être régisseur !

 

Pour information, nous avons reçu ces précisions:

Bonjour,
En lisant avec intérêt votre interview de Didier Lechien, nous nous permettons de compléter/corriger la fin.
En effet des formations de régisseur et aide-régisseur existent en Communauté Française, notamment en formation PME de chef d'entreprise, à Bruxelles et Liège, mais aussi en régie de costumes.
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