Le constat est dramatique. La presse papier spécialisée en cinéma est de plus en plus menacée par les nouvelles habitudes des lecteurs se tournant davantage vers les sites d’information tenus pour la plupart par des amateurs passionnés ou des professionnels quasiment bénévoles.
DOSSIER : la presse cinéma écrite bat de l’aile.
Chez Cinergie, nous n’avons jamais eu l’impression de marcher sur les plates-bandes économiques de magazines disponibles chez les marchands de journaux. La plupart des articles édités sur le net n’auraient tout simplement pas existé autrement.
Or, au niveau des critiques de films qui sortent en salles, elles se retrouvent largement relayées sur la toile. Cela va du site spécialisé en genres à celui qui, généraliste, traitera de toute l’actualité avec rubrique people à l’appui.
Le drame a également trouvé un complice en la personne des pouvoirs subsidiants qui ont supprimé leurs apports et condamné des périodiques à disparaître ou à vivoter chichement.
En Belgique, exit le Moniteur du film, seul magazine professionnel regroupant des informations à destination de toutes les professions du cinéma. Il fut arrêté en pleine déperdition parce que vivant uniquement sur ses acquis sans promotion ni relance digne de ce nom. Ce format véhiculait quelques articles générés par Cinergie. Il s’est transformé en plusieurs envois courriels « feuilles » de chou numériques traitant tantôt des résultats des Commissions de Sélection, tantôt des résultats de fréquentation des salles.
Côté néerlandophone, Filmmagie, publication plus grand public est fortement mise en péril en raison de l’arrêt pur et simple d’une partie de ses subventions.
Un autre périodique professionnel davantage technique, AV Industrie, s’en est allé, laissant un vide qu’aucun site digne de ce nom n’a véritablement comblé à l’heure où ces lignes sont écrites.
Evidemment, il n’y a pas qu’ici que la situation est critique. En France, les grands magazines se serrent la ceinture. Première et Studio Ciné Live vont mal. Repérages, magazine initié en 1998 par Nicolas Schmerkin, également producteur audacieux chez Autour de Minuit, fait partie de nos regrets sincères. Grâce à cette édition couplée avec un DVD principalement de courts métrages, le lecteur s’est fait une collection rare de films. On y a fêté des anniversaires de Festivals ou d’écoles célèbres : les 30 ans de Clermont-Ferrand, les 20 ans de Supinfocom, les 20 années de Brest,…
Dans ce contexte, lors du dernier festival du court métrage de Clermont-Ferrand, nous avons rencontré Jacques Kermabon, le rédacteur en chef du magazine BREF, véritable miraculé de cette descente aux enfers.
Cinergie : BREF est un périodique spécialisé dans le court métrage. Il bénéficie d’une édition quasiment luxueuse accompagnée d’un DVD de courts soigneusement sélectionnés en fonction d’une thématique, d’un auteur, avec toujours une grande pertinence qualitative. Comment expliquez-vous votre résistance au déclin ?
Jacques Kermabon : Le Magazine Bref est le seul dans le monde sous cette forme en tout cas. Globalement, les revues cinéma papier sont, en France, dans une situation exceptionnelle parce qu'il n'y a pas d'équivalent dans un autre pays au monde. Fatalement, il n'y a jamais eu autant de revues dans un même pays qui sont mortes depuis. Il en reste encore malgré tout et c'est même étonnant quand on voit l'importance qu'a pris le Net. Mais on sent bien quand même qu'il y a quelque chose à trouver par rapport à l’avenir du papier. Studio a fusionné avec Cinélive. Première est en difficulté. Repérages a vécu une vie intense, mais courte. On sent que cela ne va pas bien du tout du côté de toutes ces revues. Et il n'y pas de raison que BREF soit un miraculé. On est également dans une situation difficile.
Notre avantage est d’être dans une niche, celle du court métrage.
Les abonnements se maintiennent. À peu près… et en même temps, cela ne suffit pas. Il faudrait qu'on parvienne à les augmenter. On a créé un site Internet, mais le gros problème pour des revues de notre taille, c'est que nos ressources tiennent essentiellement à l’apport de la pub et des abonnements. Sur Internet, il n’y a que la gratuité. C'est donc un peu compliqué.
C. : Il y a eu le passage à la version DVD. Moins de parutions mais toutes accompagnées d’un florilège de courts.
J.K. : Au début, on a senti la différence. Néanmoins, on aurait cru à un sursaut plus conséquent. Cela ne l'a pas été. D’un autre côté, le DVD apporte quelque chose et si on le supprimait ce serait pire.
C. : N’y aurait-il pas eu quelque chose à faire du côté de l’e-book quand on s’aperçoit que certaines œuvres uniquement disponibles par ce biais sont tellement plébiscitées qu’elles finissent par être éditées en version papier ?
J.K. : C’est une alternative… C’est surtout complémentaire, je pense. Il y a peut-être une formule qu'on pourrait faire par e-Book et une publication annuelle sous forme papier qui relierait les deux... Mais cela prend du temps, de l'énergie, et nous devons déjà parvenir à nos fins avec le site.
Cette expérience concerne surtout la littérature, je ne sais si quelque chose de similaire existe sous forme de magazine. Ce qui serait bien, c'est d'avoir un e-Book qui permettrait d'avoir des liens vers les films dont on parle. Ou une application...Il y a des choses à creuser.
C. : Est-ce qu’une présence à Clermont-Ferrand influence le nombre d’abonnés ?
J.K. : Je me rends compte qu'ici les gens sont intéressés par les DVD.
Les années précédentes, on avait toujours des offres spéciales et on faisait beaucoup plus d'abonnements parce qu'on offrait un DVD. Je m'en suis rendu compte en étant en contact avec les gens qui passaient.
C. : Quel est ton appréciation de la presse Internet ?
J.K. : Côté revue critique, il y a des choses formidables. Et honnêtement, on est tous pareils, on n'arrête pas de découvrir des choses. On veut aller les revoir et puis souvent on n’a pas le temps. On est saturé d'infos. Je lisais régulièrement les revues quand j'étais étudiant, je les avalais, mais c’est devenu difficile d’absorber tout ce qui m’intéresse. Alors maintenant avec les sites en plus... De temps en temps, j'y vais, mais il y a plein de choses qui m'échappent. À mon grand regret.
En conclusion, nous pouvons ajouter que la publication sur le Net ne répond pas au même modèle économique que l’édition papier. Ni pour l’éditeur, ni pour les auteurs des articles. Ainsi, il faut savoir que la rémunération sur la copie privée provenant du d’Internet reste extrêmement dérisoire en rapport avec celle de l’édition papier. Avec la gratuité liée à ce média, le journaliste risque fort bien de ne plus écrire qu’aux heures creuses d’un autre métier.