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Dossier Numérique 3 - Numérique et esthétique

Publié le 01/03/2003 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Dossier
Dossier Numérique 3 - Numérique et esthétique

Aucune technique n'est neutre. Elle implique de nouvelles conceptions esthétiques. Celle du dispositif numérique est en accord évident avec le minimalisme qui prévaut dans d'autres disciplines artistiques de la postmodernité bien que ses effets puissent aller dans des sens divers. Nous vous avons parlé d'une définition plus grande dans les basses lumières, de rapports différents entre le net et le flou, d'une équipe réduite qui implique une plus grande mobilité de l'usage de la caméra un minimum de pression sur le tournage et une plus grande proximité du réalisateur avec ses interprètes. On peut y ajouter l'avantage de pouvoir opérer un plus grand nombre de prises et de son désavantage qui est le manque de rigueur et l'absence de structure lorsqu'on est inondé de points de vue différents ou de prises qui se ressemblent l'une l'autre. Par ailleurs rien n'empêche un réalisateur de tourner en HD-Cam (et Hollywood ne s'en privera pas) de la même façon qu'avec la pellicule 35mm, c'est-à-dire avec une équipe où tous les postes sont occupés et en utilisant diverses grues, des dolly sur des rails de travelling. Le cinéma sera toujours l'art du bricolage.

 

À l'âge de la mondialisation, c'est sans doute ce qui différencie le cinéma des industries de la communication. Ce n'est pas par hasard si l'exception culturelle s'est focalisée autour du septième art. Economie de prototype, celui-ci résiste au cousinage de la télé-réalité, du clip, du jeu vidéo, de la pub. Il coûte cher. Certes. Mais c'est là qu'interviennent les dispositifs numériques qui rendent la parole aux créateurs par leur coût de fabrication inférieur au 35mm mais surtout (sachant que celui-ci, ne fera, à l'avenir que diminuer) dans un rapport au temps qui annule le fameux : time is money.

 

L'émergence de cinémas venus d'autres continents nous le montre. En Iran, le numérique donne un mélange original de cinéma néo-réaliste et bressonien. Abbas Kiarostami utilise le dispositif minimaliste de la DV-Cam dans ABC Africa. Expérience plus radicale encore avec Ten qui l'amènera, nous dit-il, à "éliminer autant que possible la présence de la caméra et celle de l'équipe qui l'entoure".

 

Les chinois qui ont une expérience certaine du grand bond en avant le pratique vis-à-vis du numérique grâce à dame censure. La Chine qui vit une croissance économique de 7% est en pleine mutation sociale sans pour autant que son système sociopolitique ne change. Les cinéastes qui veulent rendre compte de ces événements n'ont pas le droit d'en faire des longs métrages de fiction. C'est précisément ce qui intéresse les jeunes réalisateurs Ce blocus de la production est détourné par l'utilisation de la DV-Cam numérique. Nous avons donc jusqu'ici une quinzaine de longs métrages de fiction et une vingtaine de documentaires qui circulent. Comment les faire connaître ? Rien de plus simple. À l'extérieur, le Japon et l'Europe s'occupent de la postproduction (notamment du kinescopage en 35mm, pour la projection en festival) et quant à la diffusion en Chine --les salles leur ayant été interdites -- ces films sont diffusés en DVD (1 quarter, le DVD) dans tous le pays . C'est ainsi que la population chinoise a pu découvrir: Plaisirs inconnus de Jian Zhang Ke  qui montre l'actuel bouleversement socio-économique de cette Chine qui entre dans la société de consommation a des rythmes différents selon les régions, la campagne ou la ville.

 

Jian Zhang-ke, grand admirateur de Hou-Hsio-Hsen, est un peu le chef de file de cette new wave néo-réaliste, ancien élève de la Bejing Film Academy, il a créé le Youth Experimental Film Group, une structure de production indépendante.

 

En Europe, Dogma, a imposé et diffusé une série de règles esthétiques morales et techniques. L'un d'entre elles était l'obligation d'utiliser la DV-Cam. Nous avons donc pu en apprécier le résultat avec une série de films comme Les Idiots, Breakings the waves, Dancer in the Dark de Lars Von Trier, Festen de Thomas Vindenberg ou Strass de notre compatriote Vincent Lanoo. En Belgique deux réalisateurs (outre Joachim Lafosse avec Folie privée et Gilles Daoust avec Last night on earth) viennent d'achever un long métrage sur un support numérique. Ce sont Olivier Smolders avec Nuit Noire, en HD-Cam et Philippe Blasband avec La Couleur des mots tourné en DV-Cam, dont on vous parlera longuement le mois prochain avec le réalisateur.