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À Liège, la comédie belge s’organise

Publié le 12/11/2025 par David Hainaut / Catégorie: Dossier

Au Festival International du Film de Comédie de Liège (FIFCL), trois journées professionnelles ont réuni le meilleur du cinéma et de la télévision belges. Retour sur les échanges d’un événement désormais structurant pour le genre. 

Pour sa dixième édition – la cinquième des rencontres pros –, plus de 300 accrédités se sont retrouvés à la Mosa Ballet School, une école de danse transformée en agora du rire, autour du financement, de la production et de la diffusion du genre.

À Liège, la comédie belge s’organise

Moment fort de ces journées, le Forum de coproduction a permis à sept projets belges d’être présentés à un parterre de producteurs, de diffuseurs et d'investisseurs. À des stades d'avancement différents, on y a ainsi découvert Chez Nadette (Iota Production), présenté par Christelle Delbouck et Laura Fautré ; Le Jour du mouton, produit par Yves Ringer (Ring Prod) ; 1972 (Versus Production), défendu par Basile Vuillemin ; ou encore Toutes les filles s’appellent Jean-Pierre, signé Véronique Jadin (Iota, encore). Mordue (Octopods, pitché par Christophe Bourdon), L’Amour à la fin du monde (Manuel Poutte) et Souvenir de Barcelone (Roue Libre, Christophe Prédari) complétaient la sélection.

L'occasion de rapprocher producteurs et partenaires, dans une logique de coproduction francophone. En parallèle, des auteurs français ont présenté des projets dans le cadre du CineComedies Lab, une résidence d’écriture organisée avec le Festival CinéComédies de Lens. Soutenue par Wallimpact (bras de développement de Wallimage), cette initiative transfrontalière permet à un producteur belge de bénéficier d’une aide de 50.000€. 

Les investisseurs plaident pour une légitimité du genre

Plus tard, un panel d'investisseurs a réuni Stéphanie Hugé (screen.brussels), Virginie Nouvelle (Wallimage), Sybille Seys-Smet (TaxShelter.be), Sarah Vanberg (Film Fund Luxembourg) et Thierry Vandersanden (Fédération Wallonie-Bruxelles), sous la modération de Domenico La Porta (Cineuropa). Tous ont reconnu que la comédie restait minoritaire dans les dépôts, car “le ton comique est difficile à évaluer, ce qui fait rire les uns peut agacer les autres,” résumait Vandersanden. “Wallimage est enclin à financer plus de comédies, mais on en reçoit très peu,” ajoutait Virginie Nouvelle. Même constat chez Stéphanie Hugé : “Chez screen.brussels, on reçoit très peu de projets comiques, alors que le public les réclame.”

Sybille Seys-Smet soulignait la neutralité du tax shelter : “Nous ne faisons pas de choix de genre. Si les producteurs amènent davantage de comédies, par exemple familiales, nous les soutiendrons volontiers.” Et Sarah Vanberg notait qu’au Luxembourg, “la comédie reste l’exception : une ou deux par an tout au plus.” Vandersanden insistait sur le besoin d’assumer le rire comme moteur de diversité : “La comédie parle à tous. Il faut cesser de la considérer comme une facilité.” La Porta concluait en saluant “une envie partagée de rééquilibrer les soutiens entre drame et humour.” 

Les diffuseurs prônent des formats agiles et des plumes neuves

Un panel avec des diffuseurs réunissait Valérie Berlemont (Proximus), Tanguy Dekeyser (RTBF) et Philippe Logie (Be TV). Tous constatent que la comédie marche dès qu’elle trouve sa sincérité. “Quand c’est une comédie, les audiences suivent,” notait Dekeyser. Les intervenants ont rappelé l’attachement du public belge à ses grands succès comiques - de Dikkenek à C’est arrivé près de chez vous, en passant par Les Barons - pourvu qu’on rie de lui avec affection. “Mais il faut aussi créer des œuvres populaires sans tomber dans la caricature,” ajoutait Logie. Il plaidait pour un meilleur accompagnement des jeunes : “Nous avons d'excellentes écoles, mais peu forment à la comédie! Trop peu osent en écrire. Il faut les aider à trouver leur ton, leur rythme, leur point de vue.” Il ajoutait : “Le rire belge peut être une marque à part entière, s’il assume sa différence.”

Valérie Berlemont insistait sur la question des formats : “Les formats courts sont un bon moyen de tester de nouvelles choses et d’aller chercher des talents différents.” Elle notait que “les publics changent, ils zappent vite. C’est pour ça qu’on cherche des formats plus souples, plus courts, adaptés aux nouveaux usages.” Et de rappeler que, pour une plateforme, “ce qui compte, c’est l’univers et les personnages. Peu importe la durée, si on a envie de les retrouver.” Dekeyser estimait que “la comédie demande souvent plus de travail que le drame : chaque détail compte, du rythme de jeu au montage.” Logie insistait sur la nécessité de faire confiance aux équipes : “Le public belge aime qu’on lui parle de lui. L’authenticité, c’est ce qui fonctionne.” Les trois diffuseurs s’accordaient enfin sur le besoin d’une production régulière. “Nous manquons d’une offre comique identifiable,” notait Dekeyser. “Ce serait un vrai signal de maturité pour le secteur.” Philippe Logie a rappelé que Be TV soutenait le développement de scénarios via la bourse Orange – 220 (!) candidatures sont analysées en ce moment -, dédiée une année sur deux aux comédies. Du côté de la RTBF, Tanguy Dekeyser a cité des séries comme Trentenaires (“Elle a touché deux millions de Belges francophones”) ou Les Beaux Malaises (tout juste tournée avec Kody) pour illustrer les formats comiques déjà produits, tout en appelant à des propositions plus “grand public.” 

Des échanges techniques et inspirants

Une session Europe Créative (modérée par Stéphanie Leempoels) a exploré les stratégies pour convaincre les partenaires internationaux et mieux exporter la comédie, suivie d’un échange intitulé Rire sans frontières, réunissant producteurs français, belges (Jean-Yves Roubin de Frakas, Bastien Sirodot d'Umedia) et luxembourgeois autour des défis de la coproduction trifrontalière. Une présentation sur la blockchain et le cinéma a montré comment de nouveaux outils financiers redéfinissent les modèles d’investissement. Et une démonstration sur le bruitage dans la comédie a été menée par Didier Falk (Will Studio), illustrait comment un son peut renforcer un gag sans le surligner. Autant de moments confirmant la volonté du festival de faire dialoguer tous les métiers du rire. 

Des séries plus libres… mais plus surveillées

Enfin, une table ronde sur les séries rassemblait Sylvain Daï (Baraki), Camille Didion (Quiproquo), Mathieu Donck (Des gens bien), Stanislas Ide (RTBF) et Stéphane Liberski (Les Snuls), sous la modération de Philippe Reynaert. Daphné Huynh, chroniqueuse pour la RTBF, a ouvert les débats sur un ton ironique : “Ras-le-bol du drame social !” Sylvain Daï, co-créateur de Baraki, qu'il va transformer en film, a évoqué la liberté nouvelle du format : “Notre série n’aurait peut-être pas existé il y a dix ans. Aujourd’hui, on ose un peu plus rire de nous-mêmes, mais il faut savoir jusqu’où aller sans moquerie.” Liberski prolongeait : “Nous, il y a plus de trente ans, on écrivait sans se demander si quelqu’un allait être vexé. Aujourd’hui, on réfléchit avant chaque réplique.”

Mathieu Donck a rappelé, pour lui, “le vrai politiquement incorrect, c’est d’être sincère dans un monde qui cherche à plaire à tout le monde.” Ses métaphores ont marqué l'auditoire : comme celle d’un autobus qu’on arrête à chaque arrêt pour consulter les passagers, d’un showrunner qui doit garder le volant quand tout le monde veut toucher au tableau de bord, ou encore d’une sauce bolognaise qu’on allonge jusqu’à en perdre le goût. Autant d’images pour dire qu’à force de vouloir ménager tout le monde, les séries risquent de perdre leur personnalité. Donck plaidait ainsi pour une liberté de ton assumée, loin de la provocation gratuite, mais fidèle à une parole d’auteur.

Camille Didion insistait sur la dynamique collective : “La comédie, c’est un sport d’équipe. Et en Belgique, on commence enfin à travailler comme ça.” Ide pointait la frilosité du milieu : “On a peur de ce qui pourrait déranger, alors qu’une série, c’est justement fait pour ouvrir des discussions. Si tout le monde est d’accord, c’est qu’on n’a rien dit.” La discussion s’est élargie à l’influence des plateformes. Plusieurs intervenants ont noté un “resserrement des lignes éditoriales.” Ide observait que “les séries sont devenues des produits premium, donc plus surveillés,” tandis que Liberski concluait : “Le politiquement incorrect n’a pas disparu, il a juste changé de visage.” 

Un salon et des ateliers pour relier formation et industrie

La dernière journée s’est conclue par le Salon des métiers du cinéma, toujours à la Mosa Ballet School. L’événement a réuni 440 inscrits, venus à la rencontre d’écoles (Cours Florent, ESRA, IAD, HELB...) et de structures du secteur (Amplo, Siep). Étudiants, formateurs et professionnels ont échangé autour des besoins du marché, des pénuries de main-d’œuvre et des passerelles entre enseignement et industrie. Ce moment de clôture, à la fois concret et convivial, illustrait aussi la volonté du festival de relier réflexion, formation et emploi. 

Liège, laboratoire du rire belge

Au fil de ces trois journées, un sentiment a dominé : la comédie semble s’organiser. Les institutions écoutent, les diffuseurs dialoguent et les auteurs assument leurs envies. Le festival s’affirme ainsi comme bien plus qu’un rendez-vous, mais un laboratoire où la Belgique repense son humour, entre ancrage local et ambition européenne. Ce n’est pas un hasard si l’événement veut aller plus loin encore, pour devenir, à l’horizon 2030, un centre névralgique de la comédie sur le continent.

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