Effets de serres d’Olivier Vandersleyen
Raisins amers
Effets de serres, le documentaire d’Olivier Vandersleyen, retrace l’histoire de cette culture sous serres du raisin de table, produit de luxe hautement apprécié en Belgique comme à l’étranger, et qui débuta dans le Brabant flamand, au sud de Bruxelles, à la fin du dix-neuvième siècle. Cette activité, et le commerce qu’elle entraîna connurent une expansion considérable suivie d’un déclin lent et inexorable.
Entreprise particulièrement rentable jusqu’à la fin des années trente, la culture du raisin débute modestement sous l’impulsion de Félix Sohie. En 1870, avec une centaine de serres, il crée un véritable marché autour de la production d’un fruit qui, jusqu'alors, s’inscrit marginalement dans une culture maraîchère très diversifiée.
Le raisin de table de Sohie connaît très vite le succès, et nombreux sont ceux qui suivent son exemple. Telle une marée de verre, la commune d’Hoeilaart puis celles d’Overijse et de La Hulpe se couvrent de serres.
En 1900, la région en possède quelque trois cents. Vingt ans plus tard, plus de cinq mille, pour atteindre le chiffre impressionnant de trente-trois mille avant la deuxième guerre mondiale. Puis, l’évolution des techniques, l’apparition du raisin de table bien meilleur marché, et d’autres facteurs économiques liés à l’apparition de normes internationales et autres lois d’un commerce en voie d’européanisation, vont progressivement rétrécir les marges bénéficiaires de cette activité et faire péricliter, une à une, les entreprises de la région. Aujourd’hui, quelques survivants, à peine une vingtaine, continuent de produire ces raisins hors du commun, et survivent vaille que vaille, ayant conscience d’être les héritiers d’un passé prestigieux qu’il faut à tout prix préserver.
Le film d’Olivier Vandersleyen se présente comme une enquête historiquement bien documentée. En compagnie d’un spécialiste en la question, Michel Erkens, il retrace les différentes époques, montre les enjeux et les difficultés rencontrés par ces producteurs viticoles, et dresse un portrait autant social qu’économique de leur vie et de leur inscription dans celle de la Belgique.
Démarche ancrée dans la défense d’un patrimoine, Effets de serres conjugue didactisme et journalisme d’investigation, jouant le jeu des interviews et témoignages en un montage efficace et sobre, retrouvant, après le récit historique, un présent qu’il interroge avec beaucoup de finesse. L’amertume des producteurs actuels, mais aussi leur volonté de continuer, de ne pas céder à la facilité, sont saisies et rendues avec justesse. Et si Effets de serres évite la question d’un point de vue et d’une forme cinématographique originale débouchant sur une aventure narrative, ses qualités sont dans son travail de recherche, d’analyse et d’érudition.
On pourra lui reprocher sans doute quelques maladresses de réalisation : du chromos un peu lourd du dernier tram, au folklore apprêté, ou l’anecdotique des marchés saisonniers et son côté micro-trottoir, mais l’histoire de ces raisins mythiques, du Royal au Léopold trois, reste passionnante. De plus, la situation des derniers producteurs est tellement méconnue, qu’il est parfois agréable de s’abandonner aux règles d’une écriture plus conventionnelle et de ne pas bouder un aspect culturel du documentaire quand il est instructif autant qu’attachant.