Le plus souvent, les humains ne vivent pas la nuit. Ils dorment dans des lits. Paradoxalement, ils ne vivent pas le jour non plus. Ils font bonne figure, se plient aux conventions. Font ce qu’il faut pour survivre en société. Comme Philémon, finalement, ils attendent que la nuit tombe. Car c’est ce monde de fantasmes, de rêves qui, le plus souvent, leur permet d’être qui ils sont vraiment, de déployer leurs ailes (de vampires).
En attendant la nuit de Céline Rouzet, 2024
Dans En attendant la nuit, Philémon (Mathias Legout Hammond), ses parents (Élodie Bouchez et Jean-Charles Clichet) et sa sœur s’installent dans une banlieue pavillonnaire pour recommencer à zéro. Mais Philémon n’est pas un garçon normal. Grandes dents, peau diaphane sensible au soleil, amateur de viande saignante (sans la viande)... Il dispose de tous les attributs d’un certain Comte Dracula. Pour se fondre dans le décor, la discrétion est donc de mise. C’était sans compter sur l’amour, sous les traits de Camila (Céleste Brunnquell), qui va venir tout chambouler.
Bien loin de la Transylvanie, Philémon est né différent. C’est cette différence qui est au cœur du premier long-métrage de la réalisatrice Céline Rouzet… et de sa vie personnelle. Directement inspiré par le drame qui a touché son frère, En attendant la nuit est un récit fictionnel qui, tout en touchant à l’intime, se fait à la fois universel et politique. Il pointe du doigt le rejet de l’autre. Le fait que notre société a peur de ce qui ne lui ressemble pas, ce que le contexte politique actuel ne fait que confirmer.
Cette différence, Céline Rouzet y a été confrontée en partant découvrir le monde. Pendant plus de dix ans, la cinéaste qui a commencé par le journalisme et le documentaire a arpenté la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Passionnée par cette terre à des milliers de kilomètres de notre monde, dont elle tirera un long-métrage documentaire intitulé 140 km à l’ouest du paradis, la cinéaste nous parle déjà de la perte et du deuil bien présent dans En attendant la nuit : mais ici celui d’une culture pillée par l’exploitation capitaliste et le tourisme de masse. Elle nous parle déjà des conventions sociales, produit cosmétique qui dissimule la sauvagerie de notre société face à l’altérité. Une expérience d’un monde dur, qu’elle reproduit ici avec l’aide de son co-scénariste William Martin, à l’échelle d’un petit village.
Pour autant, En attendant la nuit n’est pas qu’un drame. Il est aussi un moment de vie touchant, parfois lumineux, que le chef opérateur Maxence Lemonnier a su parfaitement rendre palpable en proposant des images oniriques, à l'esthétique chaleureuse et mystérieuse à la fois… voire un brin surnaturelle. Comme pour nous rappeler aussi que si le vampire n’existe pas, les images que l’on consomme tous les jours sur Instagram ne sont elles aussi que des fantasmes où les filtres et la retouche sont rois.
La figure mystique du vampire se fait alors symbole. De la fragilité, de l’incompréhension, de la peur de l’autre qui n’est pas comme nous. Mais aussi d’une certaine forme de passion, de sensualité particulièrement prégnante à l’âge où, comme Philémon, on désire plus que tout croquer la vie à pleines dents. Avant d’être confronté de plein fouet, à la violence sans bornes d’une réalité cruelle et sanguinaire.