Famille, je vous haime
En 2011, l’étudiante Sarah Hirtt tournait son premier film, Legba, dans le cadre du projet « Regards croisés » de l’INSAS, à Montréal. Forte de cette expérience à l’étranger, un an plus tard, la jeune cinéaste signait un court métrage de fin d’études sobre et tenu qui a retenu l’attention des sélectionneurs de la Cinéfondation, à Cannes. 18 films choisis pour concourir, sur 1550 courts venant des écoles du monde entier, c’est déjà une assez jolie reconnaissance.
En attendant le dégel de Sarah Hirtt
En attendant le dégel de Sarah Hirtt est un film de fin d’études, certes. Il n’a pourtant rien à envier aux courts métrages dits « professionnels ». Ce petit film de moins de 20 minutes est, avant tout, un film d’acteurs pour qui la cinéaste affiche une franche inclination. François Neycken, emmitouflé et embonnetifié, traîne sa lourde carcasse de loser près (très très près) à devenir père. Jean-Jacques Rausin traîne la sienne, alourdie par une fraîche rupture amoureuse et la jolie Claire Beugnies, légère ou l’air de l’être, ne sort pas de chez elle sans ses cartes de tarot dans la poche, histoire de savoir peut-être si elle va rencontrer l’amour. Ces trois-là sont frères et sœur, et leurs parents, pour une mystérieuse raison, leur ont donné des prénoms qui commencent par V, un V qui semble plus vraisemblablement résonner avec Vicissitudes qu’avec Victoire. S’ils se sont réunis, c’est que Victor déménage de chez Odile… définitivement semble-t-il. Valéry et Vincianne sont donc venus aider leur frangin à transbahuter meubles et cartons. Il neige, et la camionnette avance en rase campagne jusqu’à ne plus avancer du tout. Quand le GPS se met à parler espagnol, que le GSM ne trouve plus aucun réseau et qu’on se retrouve en panne sèche au milieu de nulle part, les tensions déjà latentes ont tôt fait d’éclater.
Sur un scénario sobre et sans effets superfétatoires, le film de Sarah Hirtt avance aux côtés et du côté de ses personnages, les dessine par touches délicates, marche à leur rythme, sans se presser. Et la caméra, de filmer leurs visages comme pour y déceler l'écho lointain de leur enfance, et le malaise diffus provoqué par des retrouvailles contraintes.
Avec un matériau de départ plus que ténu, une situation familiale banale, la cinéaste parvient à captiver en installant, dans les corps de ses acteurs et leurs silences, une incroyable tension dramatique. Et lorsque le naturalisme se mâtine d'une nature baignée d'aube et de crépuscule sur le bord d’une route enneigée, de ciels wallons voluptueux,l'ensemble prend alors une intensité mélancolique et méditative qui accompagne les voyages à rebours et vogue du côté du road-movie.
On le sait d’expérience, la métaphysique n’est jamais loin du road-movie, même lorsqu’il fait du surplace, et le voyage qu’ils devront faire les uns vers les autres est bien plus aventureux qu’un vaste tour du monde.
En attendant le dégel se trouve sur la dernière compilation Short Film de Wallonie Bruxelles Images éditée en février 2013 à l'occasion du dernier Festival de Clermont-Ferrand.