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Été 85 de François Ozon

Publié le 14/07/2020 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

L’amour à la plage…

La côte normande, juillet 1985. Lors d’une sortie en mer en plein orage, Alexis Robin (Félix Lefebvre), 16 ans, est secouru de la noyade par David Gorman (Benjamin Voisin), 18 ans. Entre les deux jeunes hommes, l’attirance est immédiate. L’aura de sauveur providentiel de David le rend immédiatement irrésistible aux yeux de l’impressionnable Alexis, dont c’est le premier amour. Leur union consommée, Alexis commence à voir en son amant un modèle, un idéal et un avenir. La mère excentrique de David (Valeria Bruni-Tedeschi) l’engage pour l’été dans leur boutique d’articles de navigation, l’occasion pour les deux garçons de batifoler à la moindre occasion. Mais David est un séducteur volage et imprévisible, du genre à ne jamais rester en place. Presque tout les oppose : Alexis est poli et effacé ; David est viril et dominant. Alexis n’aimerait rien d’autre que profiter du moment présent à deux ; David ne pense qu’au lendemain, à vivre à toute vitesse, sans se soucier des conséquences de ses actes. Passionnelle, leur romance est vouée à l’échec, mais Alexis ne le sait pas encore. Naïf comme tous les jeunes amoureux, il tente de s’accrocher, jusqu’à l’obsession, jusqu’au drame...

Adaptation du roman La Danse du Coucou d’Aidan Chambers, Été 85, le vingtième long-métrage de François Ozon, nous est conté en flashbacks et s’ouvre sur un mystère : Alexis est emmené en prison et, en sa qualité de narrateur, nous parle de David comme du « cadavre ». Ozon rembobine ensuite pour nous expliquer comment le jeune homme en est arrivé là et comment un pacte entre les deux amis – « Celui de nous deux qui survivra devra aller danser sur la tombe de l’autre » - est à l’origine de ces problèmes judiciaires. Cette narration en flashbacks, franchement inutile, montre les limites du film, le réalisateur nous laissant croire à un récit policier, à un mystère, alors qu’il n’en sera finalement rien. Il insiste également sur la pulsion de mort qui anime Alexis, qui se reflète dans ses études, dans ses écrits et ses lectures, mais, malgré une scène finale dans un cimetière assez poignante, ce thème est oublié en chemin ou illustré de manière maladroite, notamment dans une scène de morgue qui vire subitement au slapstick alors qu’elle aurait gagné à être émouvante.

Le cœur du film est à chercher ailleurs que dans ces maladresses : dans l’exploration d’une passion naissante entre deux amants aux sentiments opposés. Ozon filme les scènes intimes avec une grande pudeur, l’âge des protagonistes ne lui permettant pas d’aller aussi loin en la matière que dans Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, L’Amant Double ou Jeune et Jolie. Lors de leur première nuit d’amour, la caméra s’arrête devant la porte de la chambre, qui se referme, la voix off d’Alexis nous assurant qu’il s’agissait de « la plus belle nuit de sa vie »… Ozon préfère se concentrer sur des baisers volés à l’arrière de la boutique, qui suffisent à montrer l’affection sincère qu’ils ont l’un pour l’autre.

Été 85, œuvre la plus autobiographique à ce jour du cinéaste, c’est également l’évocation d’une époque flamboyante qu’Ozon a bien connue, puisqu’il avait lui-même 18 ans cette année-là. Le cinéaste la recrée avec un niveau de détail quasi-fétichiste : coupes « mullet », panoplies vestimentaires ad hoc avec chemises trop larges et Doc Martens, une B.O. qui convoque des talents de la variété aussi divers que Rod Stewart, The Cure et même Jeanne Mas, des boîtes de nuit éclairées aux néons. La reconstitution est si méticuleuse qu’on se croirait par moments dans un film de Jean-Jacques Beineix tourné dans ces années-là ! Selon les goûts, on sera happé par un fort sentiment nostalgique pour cette époque plus simple, plus insouciante, plus joyeuse, ou attristé par la médiocrité de la vie quotidienne de ces jeunes garçons dans cette station balnéaire où l’homosexualité était encore vue comme scandaleuse. Un thème abordé de manière discrète via le père d’Alexis (Laurent Fernandez), patriarche aimant mais un peu homophobe sur les bords, qui s’imbrique parfaitement à l’une des préoccupations majeures du cinéma d’Ozon : l’affrontement entre l’intime et les normes sociales, qui se joue, comme souvent chez le cinéaste, dans un décor idyllique.

 

Pour parfaire son tableau vintage, Ozon a fait appel à deux jeunes acteurs qui sont autant de révélations. Félix Lefebvre (vu dans L’Heure de la Sortie de Sébastien Marnier) s’avère terriblement attachant dans le rôle d’Alexis, cet ado différent qui rêve de transcender son train-train grisâtre et d’échapper à l’emprise de parents qui ne sont pas loin d’être Les Tuche, puisque c’est Isabelle Nanty elle-même, une fois de plus excellente, qui joue sa mère. Malgré le fossé générationnel, la tendresse de cette femme sans envergure (elle passe son temps à passer l’aspirateur et à éplucher des pommes de terre) pointe dans quelques sourires maternels emplis d’un amour inconditionnel. Ozon filme Lefebvre comme une version gay du jeune Alain Delon dans Plein Soleil, prenant le film de René Clément pour inspiration… Quant au charismatique Benjamin Voisin (découvert récemment dans La Dernière Vie de Simon), avec ses faux airs de Bernard Giraudeau, il incarne un personnage complexe et provocant, dont la carrure, la gouaille, l’énergie destructrice, le caractère retors, voire agaçant, évoquent irrésistiblement le personnage qu’incarnait Patrick Dewaere dans Série Noire, ce qui n’est pas le moindre des compliments.

Evocation fascinante et tendre des passions de jeunesse éphémères, Été 85, sans être l’un des opus majeurs d’Ozon, conjugue trip nostalgique, récit initiatique forcément douloureux et incitation à redescendre sur terre après l’extase, à apprendre à mettre de côté ses premières chimères (sans pour autant les renier) afin d’aller de l’avant et d’éviter la déception d’une réalité qui ne saurait se montrer à la hauteur.

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