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Fadila Laanan, Ministre de la culture, de l’Audiovisuel et de la Jeunesse

Publié le 08/03/2007 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

L'expression "première fois" pourrait la caractériser : ministre pour la première fois, première fois qu’un ministre a en charge l’audiovisuel et la culture réunis, première fois qu'un mandat en audiovisuel est aussi long !

Cinergie: Quelle a été votre réaction quand vous avez reçu, il y a plus de trois ans, votre premier mandat ministériel ;   l’audiovisuel, la culture, et la jeunesse réunis ?
Fadila Laanan : Lorsqu’on m’a annoncé les matières que j’allais gérer, j’étais vraiment ravie.Les deux premiers cabinets ministériels dans lesquels j’ai travaillé touchaient la culture, l’éducation permanente et la politique de la jeunesse, et j’avais une expérience de cinq ans au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. L’audiovisuel et la culture ont toujours été scindés, suite à une expérience malheureuse. Regrouper ces trois matières au sein d’un même ministère, c’est simplement revenir à plus de stabilité juridique. Elles touchent nos talents de Wallonie et de Bruxelles et nos artistes, il y a plus de raisons de les mettre ensemble que de les séparer.
Aussi, dès mon arrivée, j’ai voulu décloisonner ces matières et faire en sorte que les publics et les partis concernés puissent trouver leurs interlocuteurs au ministère avec des fonctionnaires de services différents qui travaillent ensemble. L’expérience nous prouve que ce n’était pas une mauvaise idée.
D’un point de vue personnel, mes origines culturelles sont peut-être considérées aujourd'hui comme un atout, mais au moment de ma désignation, elles ne m’ont pas servie ! « Comment, une ministre d'origine arabo-musulmane qui va s'occuper de la culture des belges francophones ! Mais qu'est-ce qu'elle connaît à la culture, qu'est-ce qu'elle connaît à notre culture ! Sera-t-elle le porte-drapeau de sa communauté d'origine ? ». J’ai dû convaincre que j’étais à ma place !

C. : C’est un ministère considéré comme ingrat…
F. L. : Oui ! C’est un ministère ingrat dans la mesure où les moyens sont toujours trop faibles. Même si tout le monde considère (je m’en rends compte dans le cadre des réunions internationales que j’ai avec mes collègues de la culture) que la culture est une priorité, qu’elle participe au développement de l’individu, qu’elle le rend responsable dans la démocratie etc. Mais dans les faits, c’est l’un des secteurs les moins financés !
C’est un secteur difficile parce que les interlocuteurs du ministre sont des personnes qui participent à la création, à la vivacité d’une nation ou d’une communauté. Ils ont souvent l’impression que, sans eux, il n’y aurait plus cette richesse. Si on ne les aide pas, ou pas suffisamment, c’est comme si on les attaquait personnellement. Quand on n’arrive pas à financer le projet comme il faut, ou qu’on ne peut pas le faire pour des raisons légales (parce qu’il y a des règles à respecter si on veut gérer correctement les deniers publics), ils le prennent comme une offense.Portrait de Fadila Laanan, Ministre de la culture, de l’Audiovisuel et de la Jeunesse
Mon travail, c’est d’aider les acteurs culturels à réaliser leurs projets et le but, c’est qu’un jour, ils puissent se développer et se réaliser sans l’aide de la Communauté française et qu’ils deviennent nos ambassadeurs en Belgique ou à l’étranger parce que c’est aussi valorisant pour nous de dire « on a produit des choses de qualité qui plaisent à nos publics ».

 C. : Une chose est de créer, l’autre est de montrer et amener le public à voir…
 F. L. : Bien sûr, et c’est pour ça que dans le cas des "Etats Généraux de la Culture" on a établi des priorités : être transparent dans la manière dont on dispense les moyens grâce à la publication sur http://www.culture.be/ des budgets alloués, faciliter l’information, faire en sorte que le public puisse voir, aimer, apprécier, ou non, la réalisation des projets culturels.
Pour attirer le public, il faut aussi faire un travail de médiation, un travail d'éducation, et aussi un travail d'accueil, d'hospitalité. Les acteurs culturels ont compris aujourd'hui, qu'il faut soutenir des actions qui visent un public le plus large possible !
Par exemple, je ne connais pas très bien l'art contemporain, mais je suis toujours très heureuse d’être amenée à découvrir une œuvre contemporaine. En compagnie de l’artiste, du commissaire de l’exposition ou d’un autre membre du personnel qui me transmet ou m'explique la raison d'être de cette œuvre, il me la rend accessible. Le travail d'apprentissage, de transmission du savoir et de transmission du plaisir doit accompagner une œuvre si on veut qu’elle soit comprise par un public plus large que le public averti. Je pense que c'est un travail conjoint qui doit s'opérer : le spectateur doit être ouvert à tous les domaines et, en même temps, il faut qu'on ait un interlocuteur qui soit capable de transmettre.

C. Quelles sont les conclusions des "Etats Généraux de la Culture" ?
F. L. : Il est apparu qu’une gestion plus rigoureuse est nécessaire. Il ne faut pas disperser nos moyens, il faut vérifier la pertinence des actions soutenues sur le terrain. Ensuite, la Communauté française doit continuer à défendre la convention sur la diversité culturelle à l'UNESCO. Ce principe doit être reconnu par notre Gouvernement, mais aussi par les acteurs culturels. La culture n'est pas quelque chose d’aseptisé, c'est une culture qui évolue en fonction du paysage citoyen. L'interculturalité est une des priorités des "Etats Généraux de la Culture", ainsi que l'accessibilité du public avec des politiques tarifaires simplifiées.
Au-delà des objectifs fixés, nous avons refinancé le secteur culturel de manière conséquente. Nous avons mis des moyens nouveaux, et j'en suis vraiment ravie, parce que c'est rare et exceptionnel qu'un gouvernement puisse soutenir à ce point le secteur. Tous les ministres y ont contribué. Les budgets à la culture seront augmentés à raison de cinq millions la première année, dix millions l'année d'après, vingt l'année suivante. Il est clair que ce sont des montants qui sont revus selon la situation budgétaire.
Suite aux "Etats Généraux de la Culture", nous avons entrepris des actions conjointes avec d’autres ministres. Par exemple, avec Marie Arena. Nous avons adopté le Décret culture-école qui permet de vérifier la pertinence d’un projet culturel proposé aux écoles. Nous avons mis en place une commission, composée à la fois de fonctionnaires de la culture et de l'enseignement, qui vise à examiner la valeur pédagogique de tous les projets déposés par les acteurs culturels ou par les établissements scolaires eux-mêmes. Ce décret a été mis en œuvre dès la rentrée 2006 avec la réalisation de projets ponctuels (un artiste qui propose un projet pour une ou deux semaines) ou des contrats à long terme. Cela permet alors de stabiliser ces opérateurs qui peuvent monter des projets avec les élèves. Une autre collaboration interministérielle s’est développée avec Dominique Simonet, qui gère les relations internationales. Dans sa note de politique internationale, un volet sur la politique internationale culturelle était inclus. C'est le fruit d’un travail commun, mené par nos deux cabinets et nos deux administrations. Le CGRI et le Ministère de la Culture ont uni leurs efforts pour soutenir encore plus l'action de nos artistes à l'étranger, même dans les pays où le CGRI n’a pas d’accords de collaboration ou de coopération.
Nous avons également mis en place un guichet internet unique entre l'administration du Ministère de la Culture et le CGRI. Il permet à quiconque de trouver plus facilement des informations portant sur le même domaine, mais gérées selon la territorialité par l’une ou l’autre entité. Le Ministre du budget, Michel Daerden, au-delà du fait qu'il a soutenu mes demandes d'augmentation tout en me demandant de calmer mes ambitions, a mis à ma disposition le Fond Ecureuil. C’est un fond que la Communauté française peut utiliser en cas de difficulté majeure ou inattendue. Le premier secteur à en bénéficier, c’est les Arts de la scène. Il faut savoir que la procédure de liquidation des moyens pour un projet accepté est souvent très longue. Par exemple, un théâtre qui reçoit une subvention annuelle de 5 millions, et qui a une centaine d’employés à payer, devait emprunter le montant de la subvention avant qu'elle ne lui soit versée. Depuis le 7 janvier 2007, grâce au Fond Ecureuil, les opérateurs culturels ont reçu une avance sur leurs subventions, qui sera récupérée au moment de la liquidation, rendant les emprunts et les frais bancaires inutiles.
Ces différentes décisions prises de manière collégiale sont une nouveauté en soi, et prouvent que nous nous trouvons dans le cadre d'une nouvelle gouvernance. Je suis très enthousiaste de faire partie d'un premier gouvernement qui fonctionne de cette façon, utilisant l'argent public d’une manière plus intelligente !

C. : Avez-vous le sentiment d’avoir redorer le blason de la culture auprès du reste du gouvernement ?Portrait de Fadila Laanan, Ministre de la culture, de l’Audiovisuel et de la Jeunesse
F. L. : Auparavant, la situation était ambiguë, parce qu’entre le politique et le culturel on ne se parlait pas ou mal, on ne se comprenait pas.
Ce que j'ai essayé de faire, et notamment à travers les "Etats Généraux de la Culture", c’est de me mettre à l’écoute des artistes. Ça a été une expérience très éprouvante. Pendant sept mois, je me suis tue, j'ai écouté encore et encore. Je me suis faite interpeller, insulter, ça a été un moment très difficile à vivre.
"Les Etats Généraux de la Culture" ont été conçus ainsi, en trois phases ; on écoute, on débat et on synthétise pour voir les priorités. Les sept premiers mois, je ne pouvais pas m'exprimer, je n'étais là que pour écouter et ramasser, ramasser ! J’ai entendu combien les acteurs culturels ne se sentaient pas pris en considération, pas estimés, pas soutenus par les politiques. Il a fallu que je commence par rétablir la confiance entre nous et leur exprimer mon respect. Si j'ai pu contribuer à renouer le dialogue entre politiques et culturels, j'en suis ravie. J’ai beaucoup d’estime pour les acteurs culturels, je ne supporte pas qu’on puisse les mépriser, les traiter de mendiants. Je trouve que grâce à leurs talents, à leurs créations, ils font vivre notre société, ils nous font rire, réfléchir, pleurer, grandir. Nous leur devons du respect ! Nous devons trouver une relation équilibrée. Les moyens mis à ma disposition doivent être distribués le mieux possible avec de la rigueur, des règles, et c'est pour ça que j'aime m’appuyer sur des textes précis qui permettent à chacun de savoir s'il entre ou non dans les critères.

C. : Vous avez également la jeunesse dans vos attributions.
F. L. : Oui, et j'ai été très heureuse d'avoir cette compétence de manière explicite, même si dans la culture, on retrouve les politiques de jeunesse. Je me sens très proche des jeunes et donc, plus attentive. Je suis issue du secteur associatif, c'est un domaine que je trouve essentiel, parce que moi, il m'a construit, il m'a donné envie de me rebeller, de me révolter, pacifiquement bien entendu ! Je sais que les jeunes s’intéressent à la société dans laquelle ils vivent, qu’ils sont capables de se mobiliser ! C’est important que les jeunes se regroupent dans des centres, des maisons de jeunes... Ce sont des lieux de démocratie où l'on peut rêver à un monde meilleur. En tout cas, c'était mon expérience !

C. : Et en ayant la jeunesse et la culture ensemble, j'imagine qu'il y a des pôles que vous avez envie de créer ou de renforcer par « l'éducation à la culture ».
F. L : Il faut en effet commencer très jeune. Dans le cadre du décret culture-école avec Marie Arena, on a vraiment essayé de mettre en place des projets culturels qui touchent déjà la maternelle : il est primordial d'initier les enfants dès leur plus jeune âge. J'étais terrifiée à l’idée que mes enfants puissent ne pas aimer lire, et j’ai essayé de les initier au plaisir de la lecture. Quand j’ai appris qu’une des institutrices de mon fils, pour punir les enfants, les isolait de la classe en les envoyant dans le coin livre... Il ne fallait pas s'étonner qu'après ça les enfants n'aiment pas lire ! Non seulement la punition ne marchait pas, car il y a des enfants qui aiment lire, comme mon fils, mais ce n’était pas très pédagogique que la punition soit le livre.
Il n'y a pas que la lecture, il y a aussi la musique, le cinéma, etc.  Il est important de susciter auprès des jeunes cette envie de découvrir et de participer à des projets culturels, parce qu'on ne veut pas seulement un public qui soit là pour assister mais aussi pour créer et enrichir le paysage artistique et créatif.

C. : Vous seriez prête à signer pour un nouveau mandat au poste de Ministre de la Culture ?Portrait de Fadila Laanan, Ministre de la culture, de l’Audiovisuel et de la Jeunesse
F. L. : Ce serait avec un réel plaisir que je prolongerai ce mandat, mais nous savons tous que ce ne sont pas les ministres qui sont maîtres de la désignation et des compétences qu'ils ont.
Je serais déjà très heureuse si, après mon passage, un meilleur accueil est réservé aux artistes, dans les administrations et par le public, et si des attentions particulières sont développées pour ce dernier, qu’il puisse bénéficier au maximum de cet outil magnifique qu’est la culture.

C. : Pourriez-vous nous expliquer dans les grandes lignes le fonctionnement du Conseil Général des Politiques Culturelles ?
F. L. : C'est une structure consultative que je souhaite mettre en place et qui sera composée d’experts mais pas d’opérateurs culturels. C'est un conseil qui aura pour mission de rendre des avis au gouvernement, soit d'initiatives, soit, à la demande de celui-ci, des avis sur tout ce qui touche, de manière directe ou indirecte, les politiques culturelles.
Ce conseil pourra donner un avis au gouvernement pour l'alerter sur tel dispositif qui risque de poser problème dans les politiques culturelles. C'est une structure qui est au-dessus de la mêlée, qui ne touche pas des projets ponctuels, mais des décisions pour mieux coordonner et développer les politiques culturelles sur le terrain.
Il sera composé de personnalités de haut niveau, des professeurs d'université, des personnalités issues des médias, du secteur jeunesse, de l'éducation permanente, des syndicats et des employeurs. C'est une structure large, qui a pour mission de construire des réflexions sur les politiques culturelles à mener, qu’elles soient les plus pertinentes, les plus opportunes sur le terrain et qu'elles visent à rencontrer les objectifs établis ; l'accessibilité de la culture, mais aussi la mise en œuvre de projets pertinents et de qualité au bénéfice de tous.