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"Quiproquo": une série RTBF entre justice de terrain et binôme fragile

Publié le 12/05/2025 par David Hainaut et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Ce dimanche 11 mai sur La Une, la RTBF lance Quiproquo, une nouvelle série belge emmenée par Myriem Akheddiou et Amine Hamidou, qui forment un improbable duo. Elle campe une avocate à bout de souffle, lui un ancien rappeur devenu médiateur. Ici, ni prétoires, ni grands discours, ni justiciers sans faille. Mais plutôt une ville, un lieu, et deux individus que tout oppose, réunis par la nécessité. Tournée à Charleroi, dans différents endroits réels regroupés sous l’étiquette du “Triangle”, la série RTBF (8 x 52 minutes) met en scène une avocate d’affaires et un ex-artiste, installés dans un ancien club transformé en bureau de fortune. Le récit aborde l’accès à la justice lorsque les moyens ou les repères font défaut. Une approche à la fois ancrée localement, discrète dans sa forme, mais ambitieuse sur le fond.

“Le ton de la série vient d’une envie de mêler polar social, humour de situation et duo détonant”, détaille Tanguy Dekeyser, responsable fiction à la RTBF. “C’est aussi une série qui parle d’ici, et qui donne en fait une autre image de nos territoires. C'est important pour nous de garder cet ancrage local".

Durant toute sa gestation, le projet portait un autre titre: “Pays noir”, en référence à Charleroi. Mais l’équipe a préféré le modifier dans le final. “On essaie aujourd’hui d’éviter certains mots dans les titres”, avoue Dekeyser. “Pour ceux qui ne connaissent pas la ville, cela pouvait prêter à confusion. "Quiproquo" reflète mieux l’esprit de la série: un enchaînement de situations inattendues.”

Deux mondes, une mission commune

Giulia connaît les lois, Lykoz connaît le terrain. Ensemble, ils improvisent un cabinet parallèle dans un ancien bar désaffecté, le “Street Tease”. C'est un lieu de passage, de tension et d’écoute. La série ne cherche pas à héroïser ses personnages. Elle les montre dans leur complexité, avec leurs hésitations, leurs maladresses et leur humanité. “Lui est Martien, elle est Neptunienne!”, sourit Myriem Akheddiou. “Ils n’ont pas forcément la même langue, mais ils vont avancer ensemble, par frottements.”

Rencontrés sur un tournage (Le jeune Ahmed) des frères Dardenne, les deux comédiens se retrouvent donc pour jouer un tandem atypique. “Myriem est hyper précise. Moi, je suis plus freestyle. C'est comme si elle traçait une ligne droite et que moi je prenais les virages”, résume Amine Hamidou. Une complémentarité nourrie par le tournage. “Même quand il y avait des inconforts, c’était cohérent avec ce que ressentaient nos personnages. Mais j’avoue avoir eu un peu de mal à entrer dans le personnage au début”, confie Akheddiou. “La durée du tournage m’a permis d’évoluer, heureusement.” Tous deux évoquent une ambiance bienveillante. “Une équipe douce, un tournage joyeux”, dit-elle. “Et Amine m’a beaucoup rassurée.” Hamidou ajoute: “Il y avait beaucoup de soutien, même dans les moments de fatigue. Tout le monde tirait dans le même sens.”

Une mise en scène à deux têtes

Pour mettre en images ce binôme fragile, deux réalisateurs ont travaillé main dans la main: Maxime Pistorio et Benjamin Viré. Le premier confie: “Je suis assez heureux qu’on ait réussi à se mettre d’accord, entre scénaristes et entre nous deux réalisateurs, sur le ton général, sur l’humour, sur le regard qu’on porte sur les personnages et la tendresse qu’on a pour eux. Et je pense qu’on a réussi à trouver cette unité, qui est quelque chose qui n’est pas toujours facile à exprimer quand c’est sur le papier, mais qui traverse l’écran immédiatement après les premières prises de vue.” Il enchaîne: “On voulait garder un rythme très vivant sans perdre l’émotion. Certaines scènes peuvent paraître denses, mais elles restent accessibles. On ne voulait pas que ça sonne fabriqué.”

De son côté, Benjamin Viré précise: “J’ai adoré réaliser quelque chose que je n’avais pas écrit et aussi ne pas passer par l’étape du financement qui est souvent très longue pour nous, les réalisateurs et les auteurs. J’ai adoré devoir me plonger dans l’univers des autres et surtout ne pas avoir la possibilité systématiquement de réécrire une scène. De se dire: elle est comme ça, le texte est comme ça, il faut trouver l’étincelle dans cette scène.” Les deux hommes ont préparé la série de concert, puis alterné la réalisation des épisodes, tout en assurant la cohérence de l'ensemble.

Charleroi au centre

La série assume son ancrage local. Imaginé à partir de lieux existants, le “Triangle” sert de cadre à des histoires qui évoquent des réalités concrètes: erreurs médicales, violences familiales, logements précaires… Chaque épisode part d’un cas. L’approche se veut sobre, sans démonstration excessive. “Cette ville est magnifique”, affirme Hamidou, malgré les clichés persistants. Akheddiou parle de certains endroits “un peu abandonnés”, mais porteurs d’une vraie densité humaine.

La série a aussi été pensée pour que l’espace urbain ne soit jamais un simple décor. Les couloirs, les cafés, les parkings ou les cages d’escalier ont été filmés comme des lieux d’enjeux, où se croisent des récits peu courants.

Bande-son et visages

Signée Elvin Galland, la bande originale oscille entre jazz discret et tonalités électroniques. Plusieurs artistes belges participent aussi à la BO: Orlane, CRC, JeanJass, Kayla Doll… Cette bande-son accompagne et nuance les contrastes du duo central. L’univers musical de la série se veut cohérent avec ses partis-pris esthétiques, sans tape-à-l’œil.

Par ailleurs, on retrouve une large galerie de personnages secondaires incarnés par Lena Dalem, Baptiste Sornin, Nicolas Gob, Sophia Leboutte, Marie Kremer, Freddy Sicx, Stéphanie Van Vyve, Sihame Mbemba, Lotfi Yahya Jedidi, Rosalia Cuevas, Toni Cecchinato, Hamza Essalouh, Frédéric Clou ou encore Jean-Henri Compère. 

Une série enracinée, mais tournée vers l’extérieur

Créée à partir d’une idée originale de Simon Delecosse, Quiproquo a été écrite par Etienne Bloc, Christophe Beaujean et Camille Didion. Elle est produite par Sequel Prod (François Touwaide), avec la RTBF, Proximus, Beside Productions et Belgian Heroes. Elle bénéficie du soutien du Tax Shelter, de Screen Brussels et de Wallimage, et est vendue à l’international par Mediawan. Avec l’idée de pouvoir séduire des chaînes ou plateformes à l’étranger.

“On pense d’abord au public de La Une”, précise Dekeyser. “Mais certaines séries plaisent au-delà. Ce n’est pas systématique, mais on garde l’exportabilité en tête. On tient aussi à défendre nos propres récits, sans forcément chercher à calquer des formats extérieurs”, ajoute-t-il. La série s’inscrit ainsi dans une logique “glocale”, comme disent les diffuseurs: ancrée dans un territoire, mais conçue pour voyager.

Si Quiproquo ne prétend pas bousculer les codes, elle propose une fiction de terrain, humaine et ancrée, où le lien social tient lieu de moteur narratif. Un pari simple en apparence, qui trouve toute sa force dans son observation, et dans ce que le cadre belge peut offrir, quand il s’en donne les moyens.

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