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Far Tides de Setareh Samavi

Publié le 24/01/2020 par Bertrand Gevart / Catégorie: Critique

Dans la continuité des cinéastes portraitistes autobiographiques, le court métrage documentaire Far Tides réalisé par Setareh Samavi explore l’intimité de deux femmes habitées par la peur, un traumatisme lié à une désunion, un abandon, une violence vécue silencieusement. La cinéaste prolonge une réflexion deleuzienne, parmi les ruines du passé, émerge une survivance et l’apparition d’une mémoire. Elle parvient, en interrogeant son intimité, de poser la question : « Qu'en est-il de moi maintenant dans le cinéma et qu'en est-il du cinéma maintenant pour moi ? »

Far Tides de Setareh Samavi

Le film s’ouvre sur une conversion intime envisagée comme une confession, la caméra passe entre les mains des deux femmes, dans un style direct, laissant libre court aux gestes et aux mots, à une sollicitude qui s’incarne dans la première phrase prononcée par la cinéaste : « Je pense que j’ai appris à demander de l’aide. La peur est quelque chose qui se partage avec l’autre au fur et à mesure. Ce sentiment de ne pas être seul. ». Elle explique ensuite à Sophie comment manier la caméra. D’emblée, la cinéaste en vient à faire du film en train de se faire le véritable sujet de son autoportrait en intégrant une première réflexion sur le traumatisme passé qui ressurgit dans le présent.

Noir. La voix-je de Setareh Samavi s’expose et nous raconte l’exil, l’histoire des vaincus « Ma vie ne tient que dans deux valises, je vais rester ici le temps que je trouve un nouvel endroit que j’appellerai maison ». L’exil n’est pas qu’une métaphore, il est tout d’abord réel. Ce n’est pas uniquement une traversée, un déracinement, une refondation, mais une étrangeté à soi-même, un espace de dépossession, un lieu qui ne fait pas monde.

La caméra filme l’intérieure d’un appartement en panoramique, on découvre chaque objet qui compose la pièce dans laquelle a eu lieu l’ouverture, avant que la caméra ne s’arrête dans le miroir, à travers lequel la cinéaste filme son portrait et son portrait d’une cinéaste au travail. Rapidement, sa réflexion sur le cinéma se mêle à une évocation en voix off de son traumatisme « Je n’ai plus nager dans une mer depuis 18 ans ». La cinéaste en vient à partager des souvenirs photographiques de son mariage. Ce soir-là, elle a pleuré pendant deux heures. Les femmes se rapprochent. Deux histoires de mariage, deux cultures, deux souvenirs, par le biais de photographies. Elle, Sophie, n’est plus retournée dans sa ferme depuis sa séparation, tandis que Satereh n’est plus retournée dans la mer, lieu d’abandon. A deux, elles décident d’aller voir cette ferme, de surmonter ensemble leurs traumatismes, d’honorer la promesse de s’aider comme elles se l’ont dit au début du film. Le lieu de souvenir pour Sophie est un non-lieu pour la réalisatrice. Comme toute ruine, la ferme de Sophie évoque un passé et fait ressurgir une mémoire, une trace d’un passé traumatique.

Far Tides (marées lointaines), est un récit intime de survivance qui tente par l’acte de filmer, de revivre et de dépasser les souvenirs traumatiques.

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