En 1956, le court-métrage Le Ballon Rouge d’Albert Lamorisse était sans doute le premier film pour enfants véritablement marquant de l’histoire du cinéma européen. Il est donc logique qu’il donne aujourd’hui son nom au prix remis par Jekino, qui couronne, tous les cinq ans en Flandre depuis 1956, les travaux d’avant-garde dans le domaine des films pour enfants. Cette année, le prix a été décerné au Centre Artistique BUDA de Courtrai, qui programme avec succès de nombreux films à destination des petits. Avec « CineMAATjes » (le nom collectif des activités de BUDA), des films pour le jeune public sont à découvrir chaque semaine
Filmmagie - JEKINO / BUDA
BUDA démontre que réaliser des films de qualité à destination des enfants n’est pas impossible. Avec patience, le centre s’est construit un public de fidèles grâce à une programmation forte et variée, ainsi qu’à d’autres activités. Ce n’est donc pas un hasard si le VAF cite BUDA en exemple en tant qu’un des plus importants centres artistiques et culturels, notamment pour sa promotion d’une culture cinématographique alternative.
Nous avons rencontré Hannah Maddens (responsable des relations publiques) et Lieve Vankeirsbulck (programmatrice) de « Budascoop ».
LIEVE VANKEIRSBULCK : Il y a bien trop peu de cinémas d’art et essai en Flandre. C’est seulement à partir du moment où l’on prend en compte les centres culturels que le circuit s’étoffe un peu. Le VAF s’en rend bien compte et tient à soutenir ces exploitants supplémentaires, à augmenter leurs chances de survie. Mais je pense que leur mission relève également du soutien aux films pour enfants en Flandre. Si le VAF libère de l’argent chaque année pour soutenir un de ces films, il est également nécessaire de mettre un coup de projecteur sur les exploitants et d’insister sur le fait que ces derniers réservent de la place dans leur programmation pour ce genre de films. Il existe des quotas bien établis pour la diffusion des films flamands, mais à mon avis, ces quotas devraient inclure au moins un film pour enfants. Nous constatons l’intérêt du public : les enfants ET leurs parents réclament de BONS films familiaux qui ne remplissent pas uniquement des impératifs commerciaux. Plus ces films flamands pour le jeune public seront produits et diffusés, mieux ce sera !
FILMMAGIE : Buda se consacre au monde de l’enfance. Coïncidence ou résultat d'une politique délibérée ?
HANNAH MADDENS : Nos « petits déjeuners du cinéma » ont connu un grand succès, mais nous nous sommes rendu compte que nous n’avions atteint qu’une seule tranche du public : la classe moyenne blanche et aisée. Par conséquent, nous avons pris des mesures afin d’attirer également les familles socialement vulnérables : nous avons augmenté le nombre de séances et pris contact avec les équipes de quartier, les organisations de lutte contre la pauvreté, les écoles avec une forte concentration d'enfants défavorisés, des groupes de soutien pour les parents étrangers... Un an plus tard, « CineMAATjes » comptait 25% de visiteurs bénéficiant d’un tarif social. Au bout de deux ans, nous étions à 33%. Et quand les gens trouvent leur chemin, ils continuent à venir !
FILMMAGIE : Êtes-vous aidés par les administrations locales ?
H.M. : La ville de Courtrai apporte une contribution financière aux personnes qui bénéficient d’un tarif social, en proposant des places pour seulement un cinquième du prix du billet. Les 80% restants sont payés par la ville et par nous. Une initiative qui produit des résultats : BUDA est l'un des endroits les plus visités par les personnes bénéficiant d’un tarif social.
L.V. : À Courtrai, l’administration locale est bien consciente de la valeur d'un cinéma en ville ! Ils investissent dans nos projets, dans l'achat de projecteurs numériques, etc. BUDA a collaboré pendant 20 ans avec une municipalité désireuse de promouvoir la culture. Par exemple, notre programme JEFF (Festival de la Jeunesse) est maintenant entièrement intégré au festival urbain d'art pour enfants, « Spinrag ».
FILMMAGIE : Hannah, vous êtes responsable des relations publiques…
H.M. : Lieve s’occupe de la programmation. Mon équipe et moi fournissons le personnel et nous nous chargeons de la supervision des projets. Nous faisons connaître le programme à tous les groupes cibles, nous assurons la liaison avec les écoles… Grâce à nos contacts avec les étudiants, nous envisageons d’effectuer une étude sur les besoins culturels des jeunes familles et sur la sensibilisation à notre cinéma.
FILMMAGIE : Est-ce que votre public se développe grâce à la programmation de BUDA ?
H.M. : Certains groupes et organisations qui sont venus avec des enfants il y a quatre ans nous sont restés fidèles. Pareil avec certaines familles.
L.V. : Nous retrouvons aux projections de films pour ados (une offre qui reste plus réduite) certaines familles qui venaient il y a de nombreuses années voir des films pour les tout petits ! Mais il est encore trop tôt pour tirer des conclusions à long terme. Je suis curieuse de savoir si les enfants qui assistaient aux projections de « Lessen in het Donker » il y a 15 ans ont gardé un quelconque intérêt pour le cinéma. Et si leur cinéphilie en a été marquée…
FILMMAGIE : Les adolescents semblent être la cible la plus difficile à atteindre…
L.V. : Nous en sommes conscients et nous nous battons obstinément pour leur concocter de beaux programmes. Mais tous nos collègues connaissent bien le problème : les adolescents sont une zone grise…
H.M. : Ils viennent via leurs écoles, mais pas d’eux-mêmes. Nous envisageons de former une équipe de jeunes pour le prochain « JEFF », l’année prochaine : des jeunes gens qui pourraient venir présenter des séances ou servir de guides aux plus jeunes visiteurs. Pour le contact avec le public cible, les intermédiaires sont essentiels : les écoles, les associations… Un simple dépliant que l’étudiant oubliera de toute façon dans sa mallette ne sert à rien, ce n’est pas suffisant ! Ce qui marche, ce sont les écoles et les mouvements de jeunesse qui s’investissent dans notre programme. Afin d’accroître la participation, nous avions également tenté de lancer une chat room, mais qui n’a rencontré aucun succès en Flandre Occidentale…
FILMMAGIE : Vos critères pour cette programmation alternative sont-ils stricts ?
H.M. : Honnêtement ? Ma politique est très simple : si Jekino sélectionne le film, c’est bon ! Mais je fais beaucoup de prospection et j’essaie également de répondre aux attentes de notre public.
FILMMAGIE : Votre objectif est-il d’arriver à une politique de diffusion cohérente ?
L.V. : Bien sûr. Tenter quelque chose de nouveau est toujours un processus difficile, mais la persistance profite toujours, même si ça prend parfois deux ou trois ans. Nous estimons qu’il est important de continuer à essayer.
FILMMAGIE : Quels furent les moments les plus mémorables en 12 ans de « CineMAATJES »?
L.V. : Un homme qui avait entendu parler de notre travail avec les démunis nous a offert un énorme bon pour acheter des livres, de manière totalement inattendue, un gros chèque ! Ça nous a permis d’acheter des livres de qualité pour enfants de tous âges en magasin et de leur faire des cadeaux. Les gens ont souvent un grand cœur lorsqu’il s’agit d’aider les enfants !
H.M. : Je me rappelle d’un garçon de huit ans qui était très impressionné parce qu’il n’avait jamais vu de film au cinéma ! Je me rappelle de sa joie et de son enthousiasme.
FILMMAGIE : En fin de compte, le Prix « Ballon Rouge » récompense vos mérites partagés. Comment interprétez-vous ce prix ?
L.V. : C’est vrai ! Notre directeur Franky Devos est même allé acheter un gâteau et a invité tout le monde à venir célébrer l’événement. On peut donc mettre ça sur la liste des moments forts !
Le Prix « Ballon Rouge » consiste en une œuvre d’art réalisée par un artiste flamand prometteur. Pour cette édition, il s’agit d’une œuvre de l’artiste visuel et audiovisuel Floris Vanhoof.
Texte et entretien de Gert Hermans
Traduction : Grégory Cavinato