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Filmmagie : Le Ciné-club Filmmagie de Hasselt

Publié le 16/10/2017 par Filmmagie / Catégorie: Dossier

Histoires d’exploitants
Le Petit Poucet s’invite chez l’Ogre

Remplir des salles de cinéma est aujourd’hui un vrai défi. Afin de se faire une idée du paysage des exploitants en Flandre, Filmmagie a rencontré un large éventail d’acteurs travaillant dans ce domaine, allant de l’individu projetant des films dans sa maison aux ciné-clubs et cinémas d’art et essai en passant par les multiplexes. Episode deux : Le « Filmclub Filmmagie » de Hasselt.

Le « Filmclub Filmmagie » de Hasselt souffle cette année ses 70 bougies. D'après une ancienne brochure, l'activité des premières années de ce qui s’appelait alors la « Katholieke Filmliga Hasselt » (la ligue cinéma catholique de Hasselt) visait à « empêcher l'une des plus belles inventions de l'esprit humain de devenir une source de confusion et de tristesse ». « Au départ, ils étaient trois », explique le président actuel, Raymond de Condé. « L’initiative revient à Jozef Driesen, prêtre enseignant au Collège Saint Joseph, à Louis Valkenborg, professeur au même collège et Fernand Peeters, envoyé spécial à l’étranger pour Het Belang van Limburg. Valkenborg est devenu président, mais son seul souhait était d’exercer en tant que simple cinéphile. Peeters, quant à lui, a souhaité devenir le secrétaire de l'association. »
Mais au cours de ces premières années, que constituait exactement « un film supérieur », « un BON film » au sens religieux du terme ? « Un film courageux », disait-on alors!... « C'est, bien sûr, un terme qui découle de la peur de ce média relativement nouveau », explique De Condé. « L'intention était de promouvoir des « bons » films ou des films « courageux », mais la Ligue pouvait également se montrer réactionnaire face aux films qui ne rentraient pas dans le moule catholique. Les spectateurs de la première heure avaient même lancé des œufs dans la salle Eden, parce que les films proposés étaient « conseillés » ou considérés comme « à éviter » par le « Guide du Film Catholique ». Bien sûr, je peux difficilement nier que cela a commencé dans cet esprit. Mais tout ça a progressivement évolué. »

Dans les années 1960, les galas ont été annulés et des soirées de débats cinématographiques ont été organisées, une dizaine par an. En 1966, il y avait un club pour adultes, un club de cinéma pour les jeunes et, dans une salle minuscule, un club pour cinéphiles. Selon Mark Valkenborg, président de 1992 à 2005, il y avait également de temps en temps des films controversés tels que Mère Jeanne des anges (Jerzy Kawalerowicz, 1960), Le Silence (1963) et d'autres films d'Ingmar Bergman. « A plusieurs reprises, nous avons invité Jos Burvenich, grand spécialiste de Bergman, aux débats. »

La « Ligue du Film », comme le public la surnomme, a projeté des films dans presque toutes les salles de Hasselt: le Cameo de la Demerstraat, le Plaza de la Maastrichterstraat, le CMK sur le petit ring, le Vox à Runkst... Une à une, elles ont fermé leurs portes avec l'arrivée de la télévision. En 1972, l'entrepreneuse de Flandre occidentale Rose Claeys-Vereecke élaborait un cinéma d’un nouveau genre : le complexe Trioscoop. On peut considérer que c’est la branche de Hasselt de ce qui deviendra bien plus tard le groupe Kinepolis. Le beau-frère de Claeys, Albert Bert, avait déjà ouvert le premier cinéma duplex en Belgique, à Harelbeke. Trioscoop était le premier multiplexe du pays.
A l'inauguration de ce premier multiplexe belge, l'initiatrice Rose Claeys-Vereecke avait explicitement déclaré qu'elle contribuerait également à promouvoir le meilleur du cinéma. Nous avons questionné le Président Raymond De Condé sur la manière dont le Petit Poucet s’est invité chez l’Ogre, une situation qui dure maintenant depuis longtemps !

Première administration du KFL-Hasselt, 1947 : assis : E.H. Jozef Driesen et Hilda Gielen; debout, de gauche à droite : Louis Valkenborg (président), M. Lucas, August 't Jaeckx, Fernand Peters (secrétaire), André Cox, Marcel Linders et Frans Van Coppenolle.

 

Filmmagie : Vous rappelez-vous de la promesse et des objectifs de Mme Claeys-Vereecke ?
RAYMOND DE CONDÉ : Tout à fait. La « K.F.L Hasselt » avait reçu l’autorisation d’organiser des projections au Trioscoop. Une par mois au tout début. A l’époque c’était notre seule option car en 1972, il n’y avait plus d’autres salles de cinéma. Le Trioscoop a sauvé le cinéma à Hasselt. Il y a d'abord eu trois salles, puis quatre et enfin sept

F. : Vous avez d'abord dû trouver votre place aux côtés du tout nouveau Cinéclub Méliès. De qui est venue l’initiative du Méliès ?
R. DE CONDÉ : De Louis Truyers, un officier militaire à la retraite, grand passionné de cinéma. Il s’était rendu compte qu’à cette époque, presque aucun film français n'était distribué chez nous. Il a donc lancé un ciné-club exclusivement consacré au cinéma français. Une belle réussite ! Il a ensuite été le secrétaire de Mme Claeys-Vereecke pendant plusieurs années, et lui a fait prendre conscience des activités du Trioscoop et des contacts privilégiés qu’il entretenait avec les distributeurs. Soyons honnêtes : pendant des années, le Méliès attirait un public bien plus large que le notre. Mais après un certain temps, nous avons commencé à travailler avec Louis. Cela tenait également au fait que l'offre de bons films français était limitée et que le Méliès commençait alors à montrer des films italiens, espagnols et même japonais et chinois. Nous occupions alors le même créneau. Quoi qu'il en soit, chacun d’entre nous proposait alors deux projections par mois.

F. : Finalement, ça a débouché sur une fusion…
R. DE CONDÉ : Oui, ça s’est décidé après le décès de Louis en 2010. Deux dames du conseil d'administration du Méliès sont venues à notre conseil d'administration. Entretemps, en 1996, nous avons déménagé dans la nouvelle succursale, encore plus spacieuse, de Kinepolis Hasselt, près du Grand Ring. Tous les mardis soirs, nous nous déplaçons de notre magazine de cinéma aux caisses du Kinepolis. Depuis la fusion, nous proposons un film par semaine, ce qui nous aide à nous constituer un large public de fidèles. Un événement mensuel ou bimensuel serait beaucoup moins intéressant pour nous. Nous proposons donc 40 projections par an, avec un break de fin juin à début septembre. Cependant, pendant toutes ces années, nous avons quand même proposé un film en juillet et un autre en août, afin de rester en contact avec les spectateurs pendant les vacances. Notre audience a progressivement augmenté au cours de ces dernières années. Nous comptons désormais une moyenne de 100 personnes dans la salle : un public fidèle, d’âge plutôt élevé. Comme dans notre administration où tout le monde n’est plus de première jeunesse !

F. : De manière pratique, comment se déroulent les projections au Kinepolis de Hasselt ?
R. DE CONDÉ : Nous choisissons le film, vérifions s'il est disponible, communiquons le titre et la date à Kinepolis et ils font en sorte que le film soit projeté le mardi soir à Hasselt. Pratiquement aucun de nos films n’a été montré auparavant au Kinepolis de Hasselt. Il nous est arrivé une seule fois d’avoir pêché un film qu’ils avaient brièvement sorti en salle, pendant une semaine à peine. Kinepolis dispose de 13 salles, mais malgré ça, beaucoup de films leur échappent. Notre règle est, autant que faire se peut, de proposer de bons films qui, de manière générale, seraient invisibles à Hasselt.

HamletF. : Depuis 1996, on voit également au Begijnhof de Hasselt et dans sept autres villes et communes, des projections de Zebrafilm. Quelle est l’influence de cette « concurrence » sur votre travail ?
R. DE CONDÉ : Zebra est une initiative de la Province du Limbourg. Nous ne nous considérons pas vraiment comme des concurrents. Zebra a un public relativement jeune de cinéphiles qui, je pense, n'aiment pas aller au Kinepolis parce qu'ils ne se sentent pas chez eux dans ce « supermarché du cinéma ». Zebra attire beaucoup de monde avec certains films. Nous concernant, nous n'avons pas perdu notre public.

F. : Quelle est la taille de votre organisation?
R. DE CONDÉ : Nous comptons dix membres et chacun prend part à des tâches bien particulières. Pour une séance, nous avons déjà deux personnes aux caisses, quelqu’un à l’entrée du hall pour vérifier les billets, une personne qui s’occupe des introductions. Ça fait déjà quatre personnes pour une séance.

F. : Y a-t-il toujours une introduction?
R. DE CONDÉ : Oui. Nous ne proposons jamais un film sans l’introduire. En principe, ça dure une dizaine de minutes. Nous avons quatre personnes qui se relaient pour les introductions. La condition, bien entendu, est qu’ils aient vu le film à l’avance ! Nous aimerions pouvoir animer des discussions ou des Q&A après la séance mais ce n’est pas possible d’un point de vue pratique parce qu’une fois le film terminé, nous devons libérer la salle pour une projection suivante.

F. : Vous tenez toujours vos spectateurs au courant de l’appréciation du film précédent par e-mail...
R. DE CONDÉ : Oui, nous avons un moyen rapide de savoir ce qu’a pensé le public. A la sortie de la salle, nous leur donnons un bulletin avec une colonne contenant 5 catégories : excellent / très bon / bon / moyen / mauvais. Chaque spectateur doit simplement voter dans la case qui correspond au film qu’il vient de voir. Après la représentation, les évaluations sont comptabilisées et converties en pourcentages. Ensuite, nous envoyons un e-mail aux 700 personnes qui font partie de notre mailing list pour leur annoncer le titre du prochain film, parfois aussi avec des revues de presse et avec l'appréciation reçue par le film précédent.

FugitiveF. : Est-ce qu’il vous arrive de recevoir des critiques négatives?
R. DE CONDÉ : Ça arrive. Certains films divisent le public. Le film le plus apprécié de ces derniers mois fut The Day Will Come, le film danois, de Jesper W. Nielsen, que nous avons projeté le 20 juin dernier et qui se déroule au Danemark dans les années 60. C’est un excellent film assez méconnu, avec une histoire forte et authentique, réalisé de manière classique, qui n’est pas destiné à révolutionner l’histoire du cinéma. Alors, bien sûr, on a tendance à dire: « peut-être que la prochaine fois, nous devrions montrer un film plus difficile ou inhabituel ou controversé ». D'autre part, nous ne devons pas sous-estimer les goûts de notre public. C'est toujours une considération.

F. : Quel rapport entretenez-vous avec le conseil d'administration du magazine Filmmagie à Bruxelles ?
R. DE CONDÉ : Nous sommes invités à leur assemblée générale deux fois par an, donc nous sommes au courant de ce qui s’y passe. Structurellement, il n'y a pas de vrai rapport. Et pas le moindre lien financier. Mais nous faisons certaines choses pour soutenir le magazine. Depuis trois ans, nous proposons une action consistant à offrir cinq projections annuelles gratuites aux abonnés de Filmmagie. Si vous vous abonnez, ça vous coûtera un peu moins cher. C’est une action qui fonctionne mais que je ne qualifierais pas de grand succès.

Ecce HomoF. : En définitive, quelle est la mission de votre ciné-club aujourd’hui ?
R. DE CONDÉ : C’est très simple : donner à nos spectateurs la possibilité de regarder des films qu’ils n’auront jamais l’occasion de voir autrement à Hasselt. C’est notre première mission et pour moi, c'est déjà une bonne raison d’exister. En même temps, nous proposons des films qui sont hors circuit commercial, en contraste avec la programmation de Kinepolis. La valeur ajoutée de nos films est donc vraiment substantielle !
Frédéric Broos, directeur du Kinepolis de Hasselt qualifie les projections hebdomadaires du Filmclub Filmmagie « un supplément essentiel à notre programme actuel », « un évènement qui a su trouver sa place et sa valeur au sein de Kinepolis Hasselt. » « C’est grâce au ciné-club que nous avons pu atteindre un public bien particulier. C’est une super initiative : nous leur proposons une plateforme de qualité professionnelle en ce qui concerne l’image et le son afin qu’ils puissent rassembler leur public et leur proposer des films différents, d'une manière différente. »

Luk Menten, Hasselt, septembre 2017
Traduction : Grégory Cavinato