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Filmmagie - MONA, festival consacré au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord

Publié le 25/03/2017 par Filmmagie / Catégorie: Dossier

MONA est un nouveau festival consacré au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord. Une opération bien partie pour durer, consistant à proposer des films en provenance de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient dans des centres culturels flamands et bruxellois. L’objectif des coordinatrices Stefanie Van de Peer et Malikka Bouaissa est d’aller à l’encontre de l’imagerie manichéenne que l’on se fait souvent de ces régions.

 

Dégradé de Tarzan et Arab AbuNasserFILMMAGIE : l’acronyme « MONA » fait référence aux films du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Pourrait-on également employer le terme « cinéma arabe »?
Stefanie Van de Peer : Le terme « arabe » exclut l’Iran, la Turquie et les berbères de l’Afrique du Nord. Le cinéma turc et le cinéma iranien rencontrent le plus de succès parmi les festivaliers. Je pense que le terme « arabe » est un moyen pas très fin de nommer la bête. En réalité, nous représentons toutes les régions.

F. : L’objectif est-il de combattre les idées reçues en Flandre à propos du Moyen-Orient?
Malikka Bouaissa
 : L’art et la culture ont le pouvoir d’aller à l’encontre de ces préjugés. L’association Arte, responsable de MONA fut créée à cet effet. D’un point de vue occidental, nous n’entendons aujourd’hui en grande majorité que des commentaires sur la guerre et le fanatisme religieux. Il nous manque une vision claire et quotidienne du monde culturel et artistique dans ces pays, afin d’avoir une vision moins étriquée.

F. : De quels préjugés souffrent les films du Moyent-Orient?
Stefanie Van de Peer : Par exemple, un responsable de festival pourrait très bien rejeter un film que je lui recommande avant même de l’avoir vu… tout simplement parce qu'il s’agit d’un film palestinien ! Souvent, les programmateurs pensent que ces films ne sont pas assez artistiques, ou ne satisfont pas à leurs critères de qualité « supérieure ». Un moyen détourné de dire qu’ils ne sont pas assez bons! Pour moi, c’est la preuve d'une attitude néo-colonialiste. Comme si l'esthétique et les préoccupations occidentales étaient les seules à avoir de la valeur!... Un autre préjugé est de considérer ces films sous le seul prisme de l’actualité et des préoccupations sociales du moment. Autrement dit, on pense toujours que ce cinéma privilégie davantage le contenu au détriment de la forme. Mais c’est loin d’être toujours le cas et bien des films nous prouvent le contraire!

F. : Vous visez un public multiculturel. Est-ce que le dialogue entre l'Europe et le Moyen-Orient est un sujet récurrent dans les films que vous programmez?
Stefanie Van de Peer : Nous proposons quelques courts métrages qui abordent le sujet des réfugiés en provenance de la Libye et de la Syrie, qui tentent de s’intégrer aux Pays-Bas malgré les moulins à vent de l’administration. Ces films sont produits par la Ligue des Droits de l’Homme et mettent l’accent sur des cas d’enfants et de jeunes personnes en situations difficiles. C’est le cas de Een Jaar zonder Ouders (Un An sans Parents) et Safia’s Zomer (L’été de Safia), deux très beaux films captivants, réalisés par Els Van Driel. Parmi les longs-métrages, nous avons Zaineb Hates the Snow (Zaineb déteste la neige), de Kaouter Ben Hania ainsi que 3000 Nights, de Mai Masri, dans lesquels des protagonistes issus respectivement de Tunisie et de Palestine rêvent d’émigrer vers le Canada.

F. : Un débat portant sur la condition de la femme au sein de la révolution arabe est également au programme. Quelle est la situation des femmes cinéastes au sein du cinéma arabe?
Stefanie Van de Peer
: Comme partout, on constate encore beaucoup d’inégalités et une tendance à la sous-estimation des femmes. Même les plus grandes stars telles que Hiam Abbas et Nadine Labaki doivent encore se battre pour l'égalité, tout comme Reese Witherspoon et Nicole Kidman à Hollywood. Partout dans le monde, les réalisatrices doivent encore faire face à la résistance et aux préjugés. Les femmes sont moins susceptibles d’obtenir des subsides, elles n’ont pas toujours la confiance des producteurs, des distributeurs etc. Pourtant, beaucoup d’entre elles expérimentent et créent un cinéma novateur, précisément à cause de ces restrictions.

3000 nightsF. : Le rôle des femmes cinéastes a-t-il évolué depuis le début du Printemps Arabe?
Stefanie Van de Peer : Cela dépend d’un pays à l’autre. En Tunisie, depuis la révolution, elles ont un petit peu plus de liberté qu’ailleurs et peuvent se permettre plus de choses derrière une caméra qu’en Algérie par exemple. La Tunisie se présente toujours comme le pays le plus « moderne » du monde arabe, même si, avec le Président Ben Ali au pouvoir, ce ne sont que des apparences. Férid Boughedir, Nouri Bouzid ou Moufida Tlatli ont réalisé les films les plus célèbres de l’âge d’or du cinéma tunisien des années 90. Principalement des films de fiction, souvent très sensuels. Aujourd’hui, la Tunisie est connue dans le monde entier pour son cinéma documentaire, par et sur des femmes et sur la révolution, dont Zaineb Hates the Snow est un bon exemple.

F. : Quel pays du monde arabe est le leader dans l’industrie cinématographique?
Stefanie Van de Peer : Ça change très vite. Dans les années 50 et 60, l’Egypte était nettement dominante. Après, le Liban s’est imposé, avec des stars telles que Mary Queeny, Nour Al Hoda et Sabah, des danseuses du ventre devenues stars comme Badia Massabni et des producteurs et cinéastes tels que Assia Dagher. Mais la guerre au Liban a complètement changé la donne et ces stars ont fui en Egypte. Ensuite, c’est le cinéma tunisien qui a pris son essor dans les années 80 et 90, puis le Maroc depuis les années 90. L’Egypte est l’industrie cinématographique la plus constante et prolifique. La région du Golfe prospère également, principalement grâce à des festivals tels que Doha et celui d’Abu Dhabi qui injectent beaucoup d'argent dans des formations universitaires en cinéma et dans ce territoire considéré comme un lieu de tournage essentiel pour les coproductions internationales. Mais si l’on jette un coup d’œil à notre programme, on constate que les meilleurs films – et les plus nombreux – viennent de Palestine, un pays que l’on ne soupçonnerait pourtant pas de posséder une industrie cinématographique aussi importante.

F. : Sur votre site web, le festival est qualifié d’« artistique ». Est-ce qu’il s’agit principalement de films d’art et essai?
Stefanie Van de Peer : Nous insistons sur le côté artistique parce que les œuvres que nous présentons sont de qualité supérieure. Dans de nombreux cas, il s’agit effectivement de films d’art et essai, des films typiques de festivals. En insistant sur le terme « artistique », nous espérons aller immédiatement à l’encontre des préjugés vis à vis du cinéma « à thème » et mettre l’accent sur la grande qualité des films.

F. : Pourquoi avoir choisi Anvers?
Stefanie Van de Peer : A l’exception du Festival de la Jeunesse, il n’y a pratiquement pas de festivals de cinéma à Anvers. D’autres festivals multiculturels comme le MOOOV et le Festival du Film Africain (AFF) n’y sont pas présents. Mais le public anversois s’avère assez hétéroclite et nous espérons l’inciter à réfléchir sur le fonctionnement de sa ville.

F. : Comment se distingue MONA vis à vis de MOOOV et de l’AFF, qui eux aussi proposent des films du Moyen-Orient?
Stefanie Van de Peer : Nous consultons les responsables de ces deux festivals à propos de leurs films et de leur planning. Nos relations avec les autres festivals sont très importantes. Nous souhaitons coopérer et pas nous tirer dans les pattes. Je suis une grande fan du MOOOV, avec lequel nous collaborons afin de distribuer certains films, comme As I Open My Eyes (A peine j'ouvre les yeux) que nous présenterons au Roma en mars. Nous collaborerons également avec les festivals de films arabes d’Amsterdam et de Rotterdam afin de créer des partenariats.
Dans l’ensemble, je pense que les festivals en Flandre devraient moins se faire concurrence afin de proposer un maximum de films de qualité. Les festivals de Gand et d’Ostende par exemple, sont beaucoup trop proches en termes de calendrier et de contenu, tout comme Anima et le Festival de la jeunesse qui se déroulent en même temps! Pareil avec le MOOOV et l’AFF qui ont lieu tous les deux fin avril / début mai et qui proposent des thèmes similaires, à quelques pas l’un de l’autre! C’est regrettable parce que le visiteur potentiel est toujours obligé de faire un choix!


Le jeu des chaises musicales des festivals flamands

Les amoureux du cinéma souhaitant assister à des festivals en Flandre - sans parler de Bruxelles - doivent souvent faire des choix difficiles. Au printemps, quelques bouleversements viendront perturber un programme à nouveau très chargé. Le festival documentaire Docville de Louvain sera avancé de début mai à fin mars afin de ne pas se retrouver face au « MOOOV ». Proposant un « regard sur le monde », le MOOOV se déroulera quant à lui du 18 avril au 2 mai à différents endroits en Flandre, notamment à Bruges qui pour la première fois depuis des années ne pourra pas l’accueillir dans la prestigieuse salle Liberty. En effet, après des années de persévérance, celle-ci va finalement devoir fermer ses portes. Une nouvelle salle « Lumière » (toujours à Bruges) la remplacera néanmoins. Le changement de date de Docville – qui de son côté sera accueilli dans les nouvelles salles Vésalius du Cinéma ZED – provoquera un chevauchement avec le festival Courtisane de Gand (du 29 mars au 2 avril) et peut-être même avec le Afrika Filmfestival (l’AFF, à Louvain également) qui après bien des efforts pour imposer une nouvelle date avait dans un premier temps opté pour la période du 21 avril au 6 mai, autrement dit la période que Docville souhaitait éviter… (un créneau que l’AFF a entretemps laissé tomber afin de ne pas coïncider avec Docville…).

A l’automne, ce seront les festivals de Gand et d’Ostende qui, à leur tour, se mettront des bâtons dans les roues. A l'occasion du transfert de compétences de la Loi sur les arts vers le VAF (le Vlaams Audiovisueel Fonds), ce dernier a décidé que le Festival du film de Gand deviendrait l'une des cinq structures de base aux côtés de MOOOV, de Fonk (l'asbl responsable de Docville, du Festival International du Court-Métrage de Louvain, du Cinéma ZED et de Dalton Distribution), du festival du film d'animation Anima et de JEFF (une nouvelle organisation née du mariage forcé entre Jekino, le festival européen du film jeunesse et l’organisation « Lessen in het donker »).

Interview de Charlotte Timmermans & Bjorn Gabriels
Traduction : Grégory Cavinato