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Filmmagie - Récits d’exploitants : De Studio

Publié le 12/12/2017 par Filmmagie / Catégorie: Dossier

La politique du « donnant-donnant » de "DE STUDIO"

Remplir des salles de cinéma est aujourd’hui un vrai défi. Afin de se faire une idée du paysage des exploitants en Flandre, Filmmagie a rencontré un large éventail d’acteurs travaillant dans ce domaine, allant de l’individu projetant des films dans sa maison aux ciné-clubs et cinémas d’art et essai, en passant par les multiplexes. Episode 4 : DE Studio

On le constate tout de suite quand on entre dans le bâtiment de DE Studio à la Mechelseplein à Anvers : cet imposant bâtiment ancien témoigne de sa richesse d’antan, mais également d’une certaine modernité, avec une grande variété d’affiches de cinéma et un dessin mural géant. La nouvelle vie du bâtiment a commencé lorsque Villanella, un centre artistique pour enfants et adolescents y a pris ses quartiers en 2011 et y est toujours. Une première salle de cinéma de 49 places a été inaugurée le 31 octobre dernier. Une deuxième, de 160 places, ouvrira au printemps 2019, explique Marc Verstappen, coordinateur artistique de Villanella.

FILMMAGIE : DE Studio est une maison avec une longue histoire…
Marc Verstappen : Cette maison a connu beaucoup de bouleversements : simple maison, banque, hôtel. Pendant la première guerre mondiale, c’était un grand hôtel chic et huppé, qui était devenu le siège des officiers allemands. Mais les différents propriétaires n'ont pas toujours été très attentifs au patrimoine, créant malgré eux un drôle de mélange de styles. Ces différents styles se heurtent et se répondent l’un à l’autre, c'est l'une des caractéristiques les plus fascinantes du bâtiment. En 1971, l'Etat belge en a fait l’acquisition pour le Studio Herman Teirlinck, qui est resté ici pendant 40 ans. Puis ce fut notre tour, avec Villanella.

FM. : Quand est née l’idée de transformer l’endroit en cinéma ?
M. V. : Il y a six ans, nous avons présenté un budget de 4 millions d’euros à la province d’Anvers afin de rendre DE Studio opérationnel. Une affaire coûteuse parce que le bâtiment avait été très négligé ! Nous en sommes maintenant dans la phase finale avec ce budget. Ouvrir un cinéma a toujours été un de mes rêves. La culture cinématographique est essentielle pour moi et pour Villanella, qui s’occupait de différents secteurs culturels : arts de la scène, arts visuels… mais qui n’avait pas encore un pied dans le cinéma. C’est maintenant chose faite. Il y a un an et demi, les architectes sont venus me voir: « Marc, nous avons de bonnes nouvelles. Pour ce budget-là, nous n’allons pas construire un cinéma, mais deux ! »

FM. : Le projet a été lancé avec l'appui de la province. Ce type de gestion est pourtant en train de disparaître. Qu'est-ce que l’avenir vous réserve ?
M. V. : C’est le Ministre de la Culture, Sven Gatz, qui a fourni la solution. L'argent qui était disponible pour la province va au gouvernement flamand, ce qui garantit que nous pourrons continuer dans les années à venir. La ville d'Anvers est devenue notre propriétaire. Mais l'argent pour l'entretien du bâtiment vient du gouvernement flamand. La province d'Anvers a donc acheté la propriété pour nous, avec un bail de 40 ans. Notre avenir est donc assuré jusque-là.

FM. : Quelles tendances souhaitez-vous mettre en avant dans votre programmation ?
M. V. : Nous commençons avec un sélection « carte blanche » intitulée « Le choix de… », qui a vu le jour au cinéma Klappei de Borgerhout et qui sera poursuivie ici à la demande des organisateurs. En décembre, nous proposerons déjà deux événements sympathiques : Dirk De Wachter animera une conférence sur le thème du dysfonctionnement, en introduction à Eraserhead de David Lynch. Et Christophe Vekeman présentera le documentaire Searching for the Wrong-Eyed Jesus, consacré à un chanteur de country excentrique. Nous poursuivrons cette série au printemps prochain, avec différents professionnels, des artistes et des écrivains.

FM. : En plus de ces projections uniques, envisagez-vous de garder ces films un peu plus longtemps au programme ?
M. V. : Nous commencerons les projections uniques en décembre et la vraie programmation commencera en janvier. A partir de 2019, nous souhaitons réellement offrir un endroit ouvert toute la journée, à partir de 14h00, avec plusieurs écrans, dont notre plus grande salle. Avec six séances par jour, nous entrerons dans la logique d’offre d’une programmation traditionnelle. Nous proposerons donc également des films issus du circuit de distribution régulier. Mais c’est encore le moment de tenter des expériences. Nous avons par exemple demandé à Robbe De Hert de venir présenter des classiques. On pourra donc voir un Fellini, mais pas forcément le Fellini que vous attendez ! Chaque film aura droit à une brève introduction. Coordonner notre programmation mais également essayer de rester connectés à l’actualité, voilà notre objectif principal. Si nous voulons faire connaître Fellini aux spectateurs de 20 ans, nous devons y réfléchir intelligemment. Je pense que pour que cette aventure soit concluante, ça doit être du donnant-donnant : les spectateurs doivent avoir confiance en nos choix et nous devons tenir compte des leurs. L'histoire du cinéma l'a prouvé : il n’y a pas que les grands classiques qui méritent d’être vus. Il ne faut pas négliger tous ces films qui sortent des sentiers battus !

FM. : Avez-vous toujours le projet d’organiser un grand festival de cinéma à Anvers ?
M. V. : Dans le passé, Villanella s’occupait du festival « De Nachten » au Singel, qui consistait en une combinaison de musique, de littérature et d’images. Nous accueillions environ 5000 visiteurs en un seul weekend. Mais en fait, nous nous sentions un peu pris au piège dans ce bâtiment gigantesque qu’est le Singel. Dans DE Studio, nous allons essayer de nous y retrouver avec un public plus réduit de 500 personnes, ce qui offre d’autres opportunités. Mieux vaut commencer petit pour l’instant. Même si ma devise est de ne jamais dire jamais.

FM. : Une petite salle dans une maison où il y a beaucoup d’activités offre une certaine liberté aux programmateurs.
M. V. : Tout à fait. Le monde artistique est composé de niches. Un océan de possibilités s’ouvre à nous. Le circuit de distribution traditionnel est trop limité dans cette zone. Ils ont leurs salles mais presque personne ne dispose d’accommodations comme les nôtres, avec la possibilité d’organiser des discussions, de proposer des installations vidéo, de faire la fête…

FM. : Quelle est la position de DE Studio à Anvers, par rapport à d’autres cinémas (le Cartoon’s, le Cinéma Zuid, le Klappei…) ?
M. V. : L’esprit d’ouverture subsiste encore beaucoup. On l’a constaté ces dernières années avec le Cinéma Zuid qui propose un programme de prédiffusion ou de rediffusion : ils rediffusent des films qui ne sont sortis à Anvers que sur une période très courte. C’est une excellente initiative et nous sommes d’ailleurs en contact avec eux afin d’essayer de remplir ce rôle ensemble. Notre ambition est de ramener le cinéma dans la vie nocturne, comme c’était le cas auparavant. Nous sommes situés sur la Mechelseplein, le seul endroit à Anvers où les jeunes qui s'intéressent à la culture peuvent se réunir. Il faut donc en profiter !
Nous tentons de maintenir le contact avec des réseaux existants, y compris en dehors d'Anvers. Nous essayons d’être leur sparring partner, un terrain de jeu pour les autres. Par exemple, lors de nos soirées, nous diffuserons des films d'étudiants réalisés par de jeunes artistes, en collaboration avec kortfilm.be. Nous inviterons également WoodsDoc, une communauté cinéphile anversoise spécialisée dans le documentaire, jusqu'ici sans site permanent. Nous avons depuis longtemps abandonné l'idée que nous devions tout faire et tout savoir nous-mêmes. Ce temps-là est révolu ! Nous n'avons aucun programmateur omniscient qui détermine à lui seul ce que les gens devraient voir. Parfois, le public en sait beaucoup plus que nous. Ce qui nous permettra d’avancer, c’est de rester ouverts à toutes les idées extérieures. Lors de notre inauguration, par exemple, les visiteurs du Salon pourront débattre de leurs vidéos YouTube préférées.

FM. : Vous misez beaucoup sur un public jeune. Que pensez-vous de la culture cinématographique de la jeune génération ?
M. V. : Nous restons un centre culturel. Nous essayons de ne jamais tomber dans la facilité, même en ce qui concerne les programmes pour enfants. Ça ne veut pas dire que je suis opposé, quand nos grandes salles ouvriront, à montrer de temps en temps un grand classique comme Fantasia, bien au contraire ! Les films pour enfants se portent bien mais on ne peut pas dire que les films flamands pour la jeunesse font preuve d’une grande audace. J’espère qu’à ce niveau-là, la nouvelle génération fera évoluer les choses. La Belgique a besoin de créateurs et ces créateurs ont besoin d’être soutenus, sinon ils s’en iront travailler aux Pays-Bas. C’est d’ailleurs comme ça que nous avons perdu Vincent Bal…

FM. : DE Studio est également un lieu de création. Qu’en est-il de votre département production ?
M. V. : Nous avions réalisé et produit nous-mêmes un long-métrage, Liebling, que nous aimerions montrer à nouveau. Si vous voulez tout apprendre sur les métiers du cinéma, de l'écriture d'un scénario à la distribution d'un film, il y a un moyen très simple : réalisez vous-même un film, lancez-vous ! Nous disposons également d’un département au Collège Karel de Grote (Multimedia & Communication Technology). Nous y avons une salle de montage et un studio greenkey (studio disposant de fonds verts, ndlr) que nous partageons. L’idée, c’est de diffuser les films issus de notre département dans nos propres salles.

Bjorn Gabriels et Charlotte Timmermans
Traduction : Grégory Cavinato

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