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Folle embellie de Dominique Cabrera

Publié le 01/04/2006 par Dimitra Bouras / Catégorie: Critique

Folle embellie de Dominique Cabrera

1940, la guerre éclate, l'Allemagne envahit le France, les villes et les villages sont bombardés, les campagnes se vident, des hommes, des femmes se retrouvent jetés sur les routes et les chemins, marchant, trainant les quelques biens qu'ils ont pu emporter, et pour les plus chanceux, poussant leur charrette ou tirant leur cariole au milieu de troupeaux de vaches et de chevaux. La débâcle. La vallée de la Loire se fait bombarder, un asile d'aliénés est touché, l'hystérie collective atteint son paroxysme, celui qui semble être le directeur de l'asile (en vérité un patient ancien maître d'hôtel), Fernand, incarné par Jean-Pierre Léaud, pète les plombs, "il a ses symptômes, il entend des voix"! et le médecin (Olivier Gourmet) de lui rétorquer "Mais que se passerait-il Fernand si vous n'entendiez plus rien? Ce serait pire!"

Folle embellie de Dominique CabreraEst-ce cette sentence qui a déclenché la prise de décision de Fernand? En tout état de cause, il ouvre les grilles de l'asile et rejoint le flot des éxilés sur les chemins de la déroute.Dans ce contexte de folie humaine générale, les grilles de l'asile ouvertes laissent s'échapper quelques pensionnaires téméraires, prêts à partir à la conquête du monde « libre »! Et les voilà sur les routes se mêlant aux fugitifs qui tentent d'échapper à l'ennemi, aux morts qui bordent les routes, leur vidant les poches à la recherche de nourriture, occupant des maisons abandonnées (cette scène forte de Jean-Pierre Léaud qui abat une vache à coups de massue et dont le pouvoir d'avoir tué lui monte à la tête!). Une atmosphère d'après cataclysme règne dans cette campagne qui, pourtant, affiche un air si paisible en ce bel été. Se succèdent de manière décousue des scènes les unes plus déroutantes que les autres mais toutes baignées dans les couleurs de la poésie. L'embellie est présente tout au long du film, la lumière dorée traverse les bleus-verts, passant sans embages de la nuit au jour.Ce dernier long métrage de Dominique Cabrera s'inscrit dans la lignée du "réalisme magique" d'André Delvaux (L'Homme au crâne rasé), où la frontière entre réel et magie est de l'épaisseur d'une feuille, frontière que l'on passe constament d'un côté ou de l'autre. A l'instar de l'ensemble du film, la mort de Florient (Philippe Grand'Henry) tient sur un fil, d'un équilibre incertain la scène pouvant basculer à tout moment. Echappant aux lourdeurs qui épaississaient encore le Lait de la tendresse humaine (Maryline Canto et Patrick Bruel), Dominique Cabrera tisse une toile de sensations autour de ses images.
L'idée de ce film, Dominique Cabrera la traine depuis plus de trente ans, alors que, étudiante elle travailla dans un hôpital psychiatrique. "En travaillant dans cet hôpital, j'ai interviewé des infirmiers, j'ai cherché dans les archives, et j'ai découvert quelques lignes sur cette histoire dont un infirmier m'avait parlé. Un groupe, sous la conduite d'un grand paranoïaque, s'était enfui, au début de l'exode. On savait que certains avaient disparu sans laisser de traces, que d'autres avaient fini par rejoindre leur famille, et que d'autres encore s'étaient réfugiés dans un autre hôpital à trois cents kilomètres.  J'ai tout de suite pensé que cette histoire était une matrice idéale pour raconter une utopie, une transformation sociale. Car elle montre que, lorsque les relations humaines et sociales autour des patients sont différentes, eux-mêmes évoluent différemment. Cela m'avait tellement inspiré que j'ai présenté le concours de l'Idhec avec ce travail. Et j'ai aussitôt eu le désir d'en faire un film." (extrait du dossier de presse)
Elle a laissé murir son scénario avant de se lancer dans cette réalisation qui se situe dans les frontières de la folie. Il lui a fallut l'expérience de ces réalisations précédentes sa rencontre avec des acteurs fabuleux tels que Miou-Miou, Jean-Pierre Léaud, Yolande Moreau, Olivier Gourmet, sans oublier Morgan Marinne (l'hargneux apprenti menuisier dans Le Fils des frères Dardenne).
Où se situe le point de bascule entre normalité et folie? Qui est fou, les militaires allemands dégustant la bonne table française en récitant du Ronsard ou Fernand (Jean-Pierre Léaud, extravaguament paranoïaque), en maître d'hôtel? Qui est fou? Le batelier qui recueille Alida (Miou-Miou) et son fils Julien (Morgan Marinne) ou ces derniers? Les fous sont-ils encore fous quand ils ne sont plus dans un asile?
Et le coup de grâce est donné, quand subitement, Alida dévoilant leur origine, les pensionnaires de l'asile, devenus aides-fermiers pour les moissons, recouvrent leur statut de fous au travers du regard stupéfait des paysans. Mais tous n'accepteront pas le jugement que l'on porte sur eux et profiteront de la fragilité de la société et de ses institutions pour prendre le large, tandis que d'autres préfèreront la sécurité de l'asile!


Un film a découvrir le mardi 2 mai à l'Arenberg-Galerie, en ouverture du Festival Images mentales. Regards sur 30ans d'images en Santé Mentale, en présence de la réalisatrice.
Programmation du Festival Images mentales. Regards sur 30 ans d'images en Santé Mentale.

 

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