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Freaks Out de Gabriele Mainetti

Publié le 17/09/2022 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Les quatre fantastiques

Des films de super-héros, nous en mangeons à toutes les sauces depuis vingt ans, mais rares sont ceux qui proposent encore autre chose qu’une routine formatée. Loin semble l’époque où un Richard Donner, un Tim Burton, un Sam Raimi ou un Christopher Nolan injectaient un peu de personnalité ainsi qu’un véritable point de vue dans les aventures de leurs justiciers en collants. Néanmoins, une bonne surprise récente venait d’Italie : en 2015, avec l’étonnant On l’appelle Jeeg Robot, Gabriele Mainetti se réappropriait le genre avec deux sous et une belle ambition. Pour son deuxième film, il remet le paquet avec un grand barnum (et un budget bien plus conséquent) qui lui permet de continuer sa réflexion sur la condition surhumaine.

Freaks Out de Gabriele Mainetti

Dans la campagne italienne, durant les heures les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale, un cirque dirigé par un vieux juif abrite quatre «freaks» qu’il a recueillis : Matilde (Aurora Giovinazzo) émet des décharges électriques, Cencio (Pietro Castellito) commande les insectes, Mario (Giancarlo Martini) est un nain simplet dont le corps est un aimant, tandis que Fulvio (Claudio Santamaria) est un colosse velu à l’allure de loup-garou et à la force herculéenne. Après une rafle, nos phénomènes de foire, séparés et en fuite, se retrouvent livrés à eux-mêmes, recherchés par un officier nazi à douze doigts (Franz Rogowski) qui pratique l’eugénisme et qui a la faculté de voir le futur. Ce dernier va tenter de s’approprier les pouvoirs du quatuor afin d’éviter la chute du Troisième Reich, qu’il a entrevue.

Aussi extraordinaires soient-ils, ces «freaks» ne sont que peu de chose devant la grande Histoire ! En parachutant des créatures surnaturelles au beau milieu d’une réalité historique - l’Holocauste et ses 6 millions de morts -, Mainetti risquait de se vautrer dans le mauvais goût. Mais à l’instar d’un Benigni (La Vità è Bella), voire d’un Tarantino (Inglourious Basterds), il crée une fable, une rêverie poétique qui n’élude jamais les horreurs de la guerre. Abordant le genre avec le sérieux, l’humanité, mais aussi l’amour du grand spectacle qui animait Guillermo Del Toro lorsque ce dernier réinventait le film de vampires ou de fantômes, Mainetti filme de «vrais» personnages, et non des figurines pour les rayons jouets. Sans cynisme, dénué de cet épuisant humour post-moderne qui est devenu la norme, Freaks Out est avant tout l’histoire poignante d’une famille recomposée, des «X-Men» à l’italienne dont les dons extraordinaires sont autant de malédictions. Si ses trois compagnons au physique hors-normes doivent vivre cachés, la jeune Matilde, d’apparence normale, ne peut aimer car elle ne peut toucher quiconque sans le blesser. Du haut de ses 15 ans, elle n’en est pas moins une figure maternelle pour ses compagnons immatures.  

Ce groupe dysfonctionnel et attachant, dont la dynamique est habilement développée, va se rapprocher dans la solidarité. Le réalisateur met en avant leur humanité dans un monde qui en est dénué. Mainetti retrouve ainsi un thème cher au Tim Burton d’antan : la réhabilitation des marginaux, agrémentée d’une vision très noble de l’héroïsme. Nos quatre héros récalcitrants ne sont pas lisses ou asexués pour autant, comme dans le cinéma américain : ici, le nain est lubrique et le colosse un adepte de l’ultra-violence.  

Quant au spectacle, il est total : les décors, la photographie à la patine agréablement surannée et des effets spéciaux discrets confèrent au film un sens du merveilleux. Outre un plan séquence d’ouverture dantesque, Mainetti livre dans sa dernière demi-heure une formidable fresque guerrière qui s’éloigne des standards du blockbuster moderne pour évoquer des cinéastes old school avec un classicisme revendiqué : on pense notamment à La Bataille de San Sebastian d’Henri Verneuil… Au bout de 2h20 d’un spectacle intense, Freaks Out prouve avec maestria que les Américains sont loin d’avoir le monopole des super-héros. On en ressort épuisé et ému, avec l’intime conviction que, décidément, le «freak», c’est chic.

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