On oublie parfois qu’un film, ce ne sont pas que des images en mouvement. C’est aussi pour moitié un univers sonore. Ce demi-film invisible, le compositeur en est un des principaux artisans. Cinergie a demandé à Frédéric Vercheval, auteur entre autres des partitions de Cages et de J’aurais voulu être un danseur, de nous parler de son métier.
Frédéric Vercheval, compositeur
Cinergie : Y a-t-il un cursus type pour devenir compositeur de musique de film en Belgique ? Quel a été votre propre parcours ?
Frédéric Vercheval : Avant d’être compositeur, je suis musicien. J’ai commencé le piano vers huit ans. Un peu comme tous les « kets » de l’Académie j’ai vite arrêté, mais j’ai poursuivi le solfège. Je n’avais pas encore de vocation à cette époque. Par la suite j’ai composé de la musique pour les pièces de théâtre de mon école. Après les humanités je me suis dirigé vers le Jazz Studio, une école de jazz d’Anvers, et ensuite ce fut la musique de film, en total autodidacte. Bref, je ne pense pas qu’on puisse parler d’un cursus vers la musique de film. Il s’agit d’être musicien et compositeur d’abord. Le plus dur dans ce métier, c’est de commencer !
On vous demande toujours des références que vous n’avez fatalement pas encore ! Il faut trouver quelqu’un qui vous fera confiance. Pour moi ç’a été Miel Van Hoogenbemt. Mon premier projet cinéma a été son documentaire On ne vit qu’une fois, en 1991.
C. : Etes-vous nombreux à pratiquer ce métier en Communauté française ? Peut-on parler d’un « milieu » ?
F. V. : On ne doit pas être très nombreux, mais on a pas tellement de contact les uns avec les autres.
C. : Quel est le meilleur moment pour qu’un réalisateur fasse appel à un compositeur ?
F. V. : La démarche de chaque réalisateur peut être différente, mais idéalement un compositeur aime commencer à travailler le plus en amont possible. Pour Cages, Olivier Masset-Depasse m’a demandé de composer à partir du scénario, avant même le tournage. C’est très intéressant car on part alors vraiment de l’essence du film. C’est là qu’on a le plus de chance d’en trouver le cœur. On a beaucoup discuté, il m’a fait écouter des morceaux dont il aimait l’ambiance, des instruments qu’il avait envie d’entendre et je me suis lancé.
C. : Poser la question c’est y répondre, mais, cela se passe-t-il toujours ainsi ?
F. V. : Non, bien entendu, en général, et c’est dommage, on fait appel au compositeur alors que le montage est déjà avancé. Le réalisateur n’a plus beaucoup de temps pour travailler avec nous.
C. : Quel est le processus de création d’un morceau ? Et combien de temps cela prend-il ?
F. V. : Disons que, sur base de thèmes déjà composés, associés à un personnage ou à un type de situation, la composition d’une séquence musicale prend entre quatre et cinq jours. En général je travaille les thèmes au piano puis je compose directement sur ordinateur. J’enregistre ensuite des musiciens en studio, en complément des instruments virtuels qui sont devenus très performants. La technique a beaucoup évolué ces dernières années. On a définitivement tourné la page d’une époque pas si lointaine où le compositeur jouait sa musique au réalisateur sur un piano pour le convaincre - en vérité le réalisateur ne découvrait alors la musique que lors de l’enregistrement en studio.
C. : Dans quelles conditions travaillez-vous ?
F. V. : J’aime travailler le matin, c’est le moment où on est le plus concentré. Mais le plus souvent, je travaille le matin, la journée et la nuit, du fait que les délais sont courts ! Ce métier offre le relatif avantage de pouvoir conjuguer son travail avec sa vie de famille, puisque l’on travaille surtout à domicile. Les commandes sont irrégulières. Des semaines de calme plat sont parfois suivies de périodes d’activité intenses où l’on cumule plusieurs projets. Cela n’est pas vraiment dérangeant car quitter un univers pour un autre permet d’avoir une oreille neuve lorsqu’on y revient.
C. : Vous composez pour le cinéma de fiction, mais également pour des documentaires, on l’a évoqué, et pour des jeux vidéos (« Carmen San Diego » édité chez Acclaim, « David Douillet Judo » chez BigBen, « Scaler » chez Take 2 Interractive). Quelles sont les spécificités de ces médias les uns par rapport aux autres ?
F. V. : Dans le documentaire, en général, la musique est plus libre. Elle ne doit pas soutenir une action précise mais créer une atmosphère. Elle symbolise plus le film dans son ensemble. En fiction, on trouve une plus grande variété d’approches, selon que la musique est plus ou moins narrative et plus ou moins effacée derrière l’action. En jeux vidéos, l’action n’est bien sûr pas prévisible puisqu’elle dépend du joueur.
Les développeurs nous demandent de créer des boucles, c’est-à-dire des passages musicaux d’une trentaine de seconde qui doivent pouvoir se répéter ou s’enchaîner avec une gradation dramatique. Un jeu vidéo est une énorme machine qui mobilise une quarantaine de personnes pendant deux ou trois ans, et, là aussi, malheureusement, le compositeur est souvent convié au dernier moment, deux ou trois mois avant la finalisation. Un jeu représente environ une heure de musique à composer. Il faut donc apprendre à travailler vite !
C. : Cette diversification est-elle un plaisir ou une nécessité financière ?
F. V. : Hé bien un peu les deux ! Accéder à son premier long métrage peut prendre du temps, et la production n’est pas infinie en Belgique. Se diversifier devient donc une nécessité si l’on veut vivre de son métier – ce qui n’est pas toujours facile -, mais c’est très instructif. En publicité, par exemple, j’ai appris à travailler encore plus vite et le nombre de styles à maîtriser est très vaste. Il peut être difficile de s’y faire respecter car il y a un très grand nombre de participants qui veulent tous donner leur avis sur un film très court. Il est clair que le long métrage de fiction reste la forme la plus satisfaisante pour un compositeur, car c’est la plus riche. Ne serait-ce que par sa longueur, justement, qui permet de développer les thématiques et les couleurs musicales. A l’autre extrême, la musique de pub est purement fonctionnelle.
C. : Pour terminer la question à cent francs : quel conseil donneriez-vous à un jeune qui veux devenir compositeur pour le cinéma ?
F. V. : Il faut de la passion et de la patience. C’est un métier passionnant, mais il faut s’accrocher.