Cinergie.be

Ghetto Millionnaire de Gilles Remiche

Publié le 10/06/2011 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Quand l’habit fait le moine
Pour Ghetto Millionnaire, Gilles Remiche a promené sa caméra entre Bruxelles, Paris et Kinshasa sur les traces de personnages hauts en couleurs, les sapeurs. Mouvement né après l’indépendance du Congo, la Sape est l’acronyme de la Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes et le symbole de toute une société. Un moyen de lâcher prise dans un monde en ébullition ou bien l'étalage d'une fausse abondance qui piège une jeunesse sans autre espoir ? Une question qui risque d'intéresser le public du festival Millénium, festival qui envisage le documentaire comme vecteur de développement et dans lequel va concourir le film.

Il y a quelques mois, l’exposition Frontières, à l'espace contemporain la Centrale électrique, présentait, entre autres, les superbes photographies de Baudouin Mouanda sur les sapeurs. Ces photos ont fait le tour du monde. On y découvrait, ébahis, les princes africains de la fringue, leurs costumes colorés, les détails ostentatoires : une apparence érigée en art, un happening coloré digne des artistes les plus branchés.

Si aucun détail vestimentaire ne leur échappe, du liseré d'un revers à la boucle d'une ceinture, des chaussettes bariolées aux vestes doublées de soie, allant même jusqu’aux étiquettes apparentes avec marques et prix, les sapeurs sont aussi les rois de la tchatche. C’est ce que permet de découvrir le documentaire Ghetto Millionnaire qui, totalement absent de commentaires en voix off, donne simplement la parole à ces accros de la couture, ces « drogués » de la nippe. Et si les photos amusaient, éblouissaient sans doute, la plongée directe dans le monde des sapeurs que propose le film ternit quelque peu l'éclat fascinant qui semblait s'en dégager.

Tigana Zuretta, surnommé « pièce maîtresse » est, ici, le fil conducteur et nous montre l’autre côté du miroir, nous entraînant dans le tourbillon sans fin de la vanité. Tigana ne roule pas sur l’or, aide de chantier à Bruxelles, il est pourtant prêt à dépenser tout ce qu'il gagne pour son look, pour ne pas décevoir ses proches et ses amis restés au pays. Lorsqu'il s'exprime, c'est avec des mots forts, ceux d'une véritable Victime de la mode, chanson de Modogo Gian Franco qu'il écoute et chante devant la caméra du réalisateur. « La sape, c’est pire que la drogue. On ne peut pas guérir de l’amour des habits. »

Il n'a pas été simple pour Gilles Remiche de trouver des personnages capables d'avoir une distance vis-à-vis de ce mouvement : « Les sapeurs sont très premier degré. Ils ne sont pas dans l'analyse du phénomène. » Difficile aussi, sur place, de faire les choses comme on l'a décidé...

Vêtements tout azimut, mots tout azimut. Frime et fringues. Une hystérie collective critiquée, malgré tout, par de nombreux Congolais restés sur place ou vivant en Europe. « Ils sont habillés comme des princes mais, chez eux, le frigo est vide ! », entend-on dans une rue du Matonge. Pour autant, le cinéaste ne cherche pas à construire une critique sociologique du système en donnant la parole à des experts. Au contraire, il plonge le spectateur dans le monde des sapeurs tout comme il le faisait dans son premier film sur les églises de réveil, Marchands de Miracles, tourné également en Afrique. Si parfois la critique pointe le bout de son nez, c’est à travers des personnages évoluant (et participant) eux aussi dans ce monde. C’est le cas de Zacharie, journaliste congolais surnommé « le mollah de la presse » qui explique que les élections ne reposent sur aucune compétence, mais sur l'argent que des hommes riches sont prêts à donner à des groupes populaires pour scander leur nom dans des chansons : « Sur dix députés à Kinshasa, neuf ont été élus parce qu’on les a chantés, alors que le gars n’a aucun projet de société, rien du tout ». Ainsi avance ce monde des apparences où, pour naître, exister et même diriger, seule compte l'image...

Dans ce parfait miroir aux alouettes, l’Europe apparaît, bien sûr, comme le mythe de la réussite sociale, l’Eldorado absolu pour une large frange de la jeunesse, situation entretenue encore par ceux que l'on appelle les « Congolais d’Europe » qui, de retour occasionnel à Kinshasa, se comportent comme des princes alors qu’ils connaissent, en France, en Belgique ou ailleurs, des situations peu enviables, voire galères, parfois illégales. Papa Rolls, producteur parisien de « Zua Ngaï bien », une émission consacrée à la Sape pour une télé congolaise, exporte, chaque semaine, l’image d’une Europe de tous les possibles. Lui, qui vient pourtant des bidonvilles, renforce plus encore ce mythe qui ne réussit à créer que désirs de fuite et frustrations.

Avec ces trois personnages principaux, Tigana, Papa Rolls et Zaccharie, le film de Gilles Remiche avance vers la confrontation réelle entre mythe et réalité qui survient dans les dix dernières minutes du film. Tigana retourne, après dix ans d’absence, dans sa ville natale. Il enfonce ses chaussures hors de prix dans la boue et les immondices des anciens boulevards aujourd'hui à l'abandon. Le choc est rude, la déception palpable : image forte de toute une philosophie née sur rien et finalement, pour rien ni personne.

Ghetto Millionnaire de Gilles Remiche - Belgique - 53 min - VO st fr & ang – 2010

Tout à propos de: