Cinergie.be

Globes de Nina de Vroome, au Cinéma Nova

Publié le 27/09/2021 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Des vies des abeilles et des hommes...

Jeune réalisatrice qui compte déjà de nombreux courts-métrages à son actif, Nina de Vroome avait présenté, au Nova, il y a quelques mois, son premier long-métrage. Elle y revient pour trois soirées à partir du 30 septembre avec Globes, son second long-métrage, un documentaire passionnant et ludique sur les vies des abeilles à travers lesquelles elle explore et questionne la relativité de nos rapports à nos environnements.

Globes de Nina de Vroome, au Cinéma Nova

Dans Une certaine idée de la mer son premier film, Nina de Vroome suivait quelques pensionnaires d’une école maritime. À l’origine, cette institution accueillait les enfants que la mer avait rendus orphelins, pour leur offrir un foyer et une formation. Devenu un internat, c’est aujourd’hui un lieu d’apprentissage des métiers de marins ou de pêcheurs. Et ils ont bien changé, notamment parce que le monde « moderne » ne cesse de renouveler les outils qui lui permettent d’appréhender les océans mais parce que la mer d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui, en proie à des changements drastiques. Alors qu’est-ce que la mer sinon ce qu’on en perçoit, raconte, transmet ? L’idée, donc, qu’on s’en fait ? Avec Globes, Nina de Vroome questionne à nouveau nos rapports à nos environnements. Mais c’est à la terre et au soleil qu’elle s’intéresse cette fois. Ou plutôt à cette étrange bestiole qui fait le lien entre les deux et qui fascine l’homme depuis la nuit des temps : l’abeille. Et elle est dans une bien mauvaise passe, on le sait depuis des années maintenant, victime de notre mode d’agriculture intensive et de l’expansion de la présence humaine. Et puisque sans abeille, plus de fertilisation du monde végétal, nous sommes aussi dans une bien mauvaise passe... 

Mais point de catastrophisme dans les films de Nina de Vroome, point de terreur climatique, de chantage biologique et tout le tintouin anxiogène. Son approche est calme, soignée, posée. Son cinéma, tout en étant sérieux et profond, est à la fois instructif et drôle, curieux et léger. Si elle décrit ici avec précision la vie des abeilles, de leur naissance à leur mort, leur cycle de vie, leur organisation, leur manière d’habiter leur territoire, Nina de Vroome questionne en même temps nos manières d’habiter nos territoires et nos représentations de la nature. Pour se faire, elle voyage entre la Slovénie et les États-Unis et met en regard des pratiques et des philosophies apicoles qui s’opposent, évoluent, se croisent. Le film va et vient entre ces deux mondes, l’un habité d’Histoire et de mythologie, l’autre nappé de futurisme technologique. Il mélange les anecdotes, les histoires, les pratiques autour des abeilles qu’il écoute, reconstitue, observe. Il jongle entre différentes catégories d’images, mêle des petites séquences animées et pédagogiques à de longs plans d’ensemble méditatifs ou d’autres plus rapprochés, attentifs et soigneux, qui suivent gestes, objets, êtres... D’un côté il observe les panneaux des ruches slovènes où des scènes de la vie quotidienne sont peintes depuis toujours. De l’autre, il s’amuse à citer un film d’horreur hollywoodien sur une invasion d’abeilles puis tente d’en reconstituer un à sa manière… Mais la voix off de la narratrice se reprend « Où étais-je déjà ? ». 

Par sa propre danse, ce cinéma qui butine sa matière entre plusieurs réalités, plusieurs rapports aux images et aux récits, dévoile, à mesure qu’il les brasse, une sorte de cartographie de nos rapports à nos environnements naturels. La mosaïque de ce qui constitue nos réalités se déploie au fur et à mesure qu’elle émerge des interstices entre les différents points de vue et les nombreux récits tissés très soigneusement entre eux. Alors, ce qui passionne dans Globes, ça n’est pas seulement la vie foisonnante et merveilleusement intelligente des abeilles, c’est aussi ce qu’il fait émerger : une multitude de manière d’habiter nos territoires, une pluralité des rapports et des interactions avec nos environnements pour le pire comme pour le meilleur, sans nostalgie mais avec curiosité et finesse. Et c’est finalement, et surtout, cette aventure propre au cinéma qui consiste à nous faire éprouver de nouvelles manières de voir et de sentir, et, du même coup, la relativité de nos points de vue et la pluralité des possibles.

Tout à propos de: