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Images et démocratie : Les congolais face au cinéma et à l’audiovisuel

Publié le 05/12/2006 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Livre & Publication

A Bruxelles et en Flandre, l’Afrika Film Festival est, depuis 10 ans, le miroir des cinématographies d'Afrique. Il réunit autour des films du continent les cinéphiles belges et les différentes communautés africaines. C’est à l’occasion de ce festival que notre confrère Guido Convents, confronté à la nouvelle génération de cinéastes congolais, s’est aperçu que ces jeunes ignoraient le plus souvent que leur pays était l'un des rares en Afrique à disposer d’une cinématographie riche et passionnante. Ignorance partagée d'ailleurs par la plupart du public belge. Historien et anthropologue de formation, Guido s’intéresse depuis les années soixante au cinéma congolais sur lequel il a mené de nombreuses recherches. A l’instigation du directeur du festival, Guido Huysmans, mais aussi de personnalités congolaises, Guido Convents décide alors d’entreprendre la rédaction d’une histoire du Congo à travers le cinéma.

Guido ConventsLe résultat est une somme quelque peu austère de presque 500 pages, sous titrée Une histoire politico-culturelle du Congo : des Belges jusqu’à la République démocratique du Congo (1896-2006). Elle est passionante à lire, pleine de références, fourmillante d’anecdotes et de détails piquants. L’auteur prend la plume aux origines de la colonisation, dans ce qui était encore l’état indépendant du Congo pour nous démontrer que, dès le début, alors que le cinéma balbutiait encore dans la métropole, les congolais étaient déjà en contact avec cet art : soit parce qu'ils étaient filmés, soit parce qu’ils assistaient à des projections. Le cinéma est une distraction très appréciée des «blancs» comme des africains, et les salles s’ouvrent au rythme où se bâtissent les principales villes de la colonie. Très vite,  les autorités coloniales le voient comme un moyen « d’éduquer » les masses, mais aussi comme un vecteur dangereux d’idées et d’images susceptibles de modifier la conception que devait se faire le «bon Congolais» des rapports avec les blancs. Une censure active va alors régner, beaucoup plus virulente qu’en Belgique. Il y a les films interdits, ceux réservés aux salles pour blancs, et ceux dont la diffusion est autorisée voire même encouragée par certains réseaux « d’éducation populaire », la plupart liés aux missions. On le sait, la caractéristique de la colonisation belge est la part particulièrement importante prise par les religieux dans l’œuvre « civilisatrice », et le cinéma n ‘échappe pas à cette tendance.

Au Congo plus qu’ailleurs en Afrique, l’Eglise catholique a joué un rôle important dans la production, la distribution et l’exploitation du cinéma. Bien sûr, sa production était au service des colonisateurs et les films reflétaient souvent les stéréotypes et les obsessions de ces derniers, mais les missionnaires ont également distribué de nombreux films commerciaux (américains, français, italiens,…) qui ont mis les Congolais en contact avec un autre monde que celui de l’Eglise, de la Belgique et de l’administration coloniale. Jusqu’à l’indépendance, donc, la production congolaise n’est pas négligeable mais quasi exclusivement aux mains des autorités et des missions catholiques. Après 1960, le cinéma congolais suivra les heurs et malheurs de l’histoire du pays. Dès l’indépendance, les structures de production sont transférées à un institut abrité dans les locaux de la télévision ‘La voix du Congo’. Les structures de distribution et de diffusion se dégradent rapidement. Avec Mobutu et son régime de retour à l’authenticité, on assiste à la naissance d’un cinéma zaïrois à orientation nationale. Parallèlement, on assiste à l’émergence progressive de la télévision avec ses productions propres d’œuvres de propagande ou de théâtre filmé. Jamais, même aux pires moments, l’Eglise ne perd totalement pied dans la distribution mais doit compter avec des conditions de plus en plus difficiles. Le régime contrôle étroitement la diffusion des films et les salles disparaissent les unes après les autres. Cette époque voit également la naissance de quelques belles vocations cinématographiques, comme celle de Mweze Ngangura, réalisateur avec Benoît Lamy du film La vie est belle. Enfin, après la chute de Mobutu, la libéralisation des médias provoque un foisonnement d’initiatives privées, ce qui signifie notamment le retour des sponsors traditionnels du cinéma congolais : les religieux. Aujourd’hui toutefois, les catholiques laissent la place aux nouvelles églises évangélistes appelées Eglises du réveil qui, aux mains de pasteurs gourous, sont devenues de véritables entreprises commerciales à la puissance financière réelle.

Abondamment illustré, émaillé de nombreux encarts sous la forme d’articles qui font le point sur l’une ou l’autre question particulière, comme "Pourquoi n’y a-t-il pas eu de ‘vraie’ production cinématographique au Congo ?" le livre de Guido Convents part à la rencontre des différents acteurs de la culture audiovisuelle congolaise. Nous croisons des personnages extraordinaires : l’abbé Cornil, les pères Van den Heuvel, De Vloo, Van Haelst, André Cauvin, Antoine Bumba, Kasongo-Biembe (le Hardy congolais), Victor Matondo, Jean-Michel Kibushi, Roger Kwami, Ndoma Lwele Mafuta, Nlanza, pour n’en citer que quelques uns glanés au fil des pages. On découvre à quel point le cinéma a été présent dans la vie culturelle congolaise, et combien l’imaginaire congolais est imprégné de cinéma. Guido Convents nous démontre, tout au long du livre, à quel point une production audiovisuelle libre, indépendante du pouvoir et exprimant sous une forme artistique l’âme et les aspirations du peuple, est essentielle pour le développement démocratique d’un pays.

Le livre de Guido est le premier volet d’un diptyque qui nous emmène à la découverte d’un monde dont nous soupçonnions à peine l’existence. On a dévoré ce premier tome, et on attend avec impatience le second volume, consacré à l’histoire politico-culturelle vue à travers le prisme du cinéma au Rwanda et au Burundi.

 

Images et Démocratie : les congolais face au cinéma et à l’audiovisuel, par Guido Convents. 487 pages, Edité par Afrika Film Festival et distribué par Aden diffusion. 

Si vous ne pouvez pas vous le procurer, prenez contact avec l’auteur (guido.convents@signis.net) ou avec le distributeur (adendif@skynet.be).

N.B. : Toutes les photos illustrant cet article sont extraites du livre.

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