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In A Silent Way de Gwenaël Breës

Publié le 04/11/2021 par Adèle Cohen / Catégorie: Critique

Portrait en creux

Le titre In A Silent Way résonne familièrement aux oreilles des amateurs de jazz puisque c’est celui donné au court et mythique album de Miles Davis qui crée là, en 1969, une œuvre inouïe, mélancolique et curieusement alanguie. Le cinéaste Gwenaël Breës, bien connu des cinéphiles bruxellois pour sa programmation militante au cinéma Nova, signe, sous ce nom plus qu’évocateur, son dernier documentaire que l’on pourrait traduire par ce simple mot : « silencieusement ». Un film non pas sur le jazz, mais sur la pop britannique (quoique ?) ou plus précisément une sorte de quête sur un groupe aujourd’hui disparu depuis longtemps, Talk Talk.

In a Silent Way de Gwenaël Breës

 

L’adolescent puis le jeune adulte Gwenaël Breës a visiblement été bercé et marqué par la musique de ce groupe britannique des années 80 depuis longtemps désintégré et en grande partie oublié, Talk Talk. D’aucuns se souviennent peut-être encore de leur tube mondialement connu Such a shame. Talk Talk, c’est une musique, mais c’est avant tout un leader radical, extrême, frondeur, sans concession du nom de Mark Hollis. Un musicien qui, avec son invraisemblable talent, aurait largement pu devenir aussi connu que David Bowie mais qui, par sa personnalité complexe et son désir de tout contrôler, a fini sa vie dans l’anonymat le plus complet. 

C’est donc cette figure mythique que le cinéaste va tenter de poursuivre et qui, dès le départ, va lui échapper. Et c’est dans la belle et longue lignée du film impossible, ce genre si périlleux où l’artiste recherché se dérobe, que Gwenaël Breës se glisse avec une magnifique innocence et une bonne dose d’inventivité. Et de l’inventivité, il lui en faudra pour tenter le portrait de celui qui ne veut pas en être ! À l’instar de Claudio Pazienza qui signe le portrait d’un artiste absent (Panamarenko) lui disant « débrouillez vous tout seul », à celui de Georges Gachot parti sur les traces de l’inventeur de la bossa nova (Joao Gilberto) claquemuré, depuis plus de 20 ans, dans une chambre d’hôtel et ne communiquant qu’en glissant des billets sous sa porte, notre fan de pop anglaise va lui aussi se heurter au refus. Refus catégorique non seulement de la présence du chanteur mais pire, bien pire, de sa musique ! Car c’est très clair dès l’ouverture du film, Gwenaël Breës, malgré toutes ses bonnes intentions, ne rencontrera pas la star et ne pourra pas non plus utiliser une seule note de sa musique !! No ! Non ! Nein ! La lettre de l’avocat que le cinéaste s’amuse à faire lire à ceux qu’il s’apprête à interroger est sans appel. Dès lors, devant cette double contrainte, qui pourrait encore être assez fou pour ne pas laisser tomber un projet devenu totalement impossible ? Lui ! Qu’à cela ne tienne, le cinéaste crée une formation musicale pour l’occasion qui viendra nourrir les images glanées et élaborer la musique d’un film qui n’existe pas encore sans tenter de reproduire évidemment celle du groupe disparu.

 

In a Silent Way de Gwenaël Breës

 

Prenant pleinement la mesure du principe que lorsqu’on n’a pas les moyens, on a les idées, Gwenaël embarque donc sa petite équipe de tournage dans un road trip cadencé par la rencontre de tous ceux qui ont connu ou aimé Mark Hollis mais aussi de ceux qui ne le connaissent pas et filme des morceaux de réel à l’état pur, des bouts d’histoires récoltés ici et là qui tentent la reconstruction encore une fois impossible d’un passé qui n’existe plus. Voici le champ de moutons qui a servi de décor à son clip !

Et c’est un peu avec l’énergie du désespoir que le film se tisse entre documentaire et fiction, avec la frontalité du journal filmé sur le registre d’un humour burlesque et volontairement non spectaculaire. Car finalement, si la citation de Frank Zappa qui est de dire « Ecrire sur la musique, c’est comme danser sur l’architecture, c’est parfaitement stupide », alors autant s’y jeter à corps perdu sans avoir peur du ridicule et dans une totale liberté. 

Et, au fil de cette narration presque lascive, construite sur des boucles rythmiques lancinantes, c’est bien un rêve d’enfant qui se raconte, un autoportrait à la recherche d’un personnage flottant, évaporé, fantomatique à l’image de cet album de 1969 signé par Miles Davis, mais du côté du cinéma et qui résonne joliment longtemps, longtemps après l’avoir entendu.

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