Le Nova a cinq ans ? Incroyable, dis ! Et si vous aviez prédit aux promoteurs de ce projet complètement givré qu'ils seraient encore là aujourd'hui, ils (et elles) vous auraient sans doute regardé avec des yeux en billes de loto. "On ne se posait même pas la question. L'envie qui nous animait était, certes, d'ouvrir une salle de cinéma permanente, mais les conditions de sa mise en place supposaient que ce ne serait qu'éphémère. D'où le nom d'ailleurs, référence aux supernovae, ces étoiles qui brillent très fort et pas longtemps".
Le cinéma Nova passe son premier lustre
Un anniversaire sympathique pour un projet dynamique, inventif, novateur. Cela valait bien une rencontre, un petit regard en arrière, un coup de projecteur.
1997 : un groupe de jeunes gens obtient de haute lutte, du consortium bancaire qui en est propriétaire, la mise à disposition pour quelques mois de la salle du vieil Arenberg. Issus de plusieurs collectifs occupés à des titres divers par la production et la diffusion alternative de films, ils voient là le moyen d'enfin réaliser leur envie de faire vivre à Bruxelles un cinéma alternatif. Au nom du collectif qui, aujourd'hui encore, anime le Nova, Gwen raconte : "Nous avions en commun notre passion du cinéma et une grande curiosité pour ce qui sort des sentiers battus. Par nos voyages ou nos activités en dehors de Bruxelles, nous avions pris conscience de l'existence de nombreuses productions cinématographiques underground, expérimentales ou autres, très intéressantes mais cantonnées dans des réseaux alternatifs, ou qui ne passaient que dans des endroits très spécialisés. Il n'existait pas de lieu ni de projet ici pour montrer ces documents, ni même pour des productions plus "conventionnelles". À Paris, par exemple, se trouvent des salles d'art et essai où sont projetés des films remarquables qui n'arrivent pas ici, notamment pour des raisons de non-distribution ou de manque de salles. Le projet du Nova était de combler ce manque et aussi de se faire plaisir en amenant des choses que nous aimions ou que nous trouvions intéressantes à partager. Le plus qu'amenait le Nova par rapport aux activités que nous avions déjà, c'était un lieu fixe, permanent et visible pour montrer ces productions."
Mais en héritant du vieil Arenberg, les animateurs du Nova se retrouvent avec une salle ruinée, dévastée. Murs nus, lambris arrachés, décoration détruite, plancher défoncé. "Certains croient que nous avons mis la salle telle qu'elle est actuellement pour la recherche d'un look ou d'une atmosphère, se défend Gwen, mais nous l'avons trouvée ainsi. Nous avons travaillé comme des fous pour la remettre en état pour la sécurité et le confort des projections, mais nous avons délibérément refusé de toucher aux murs plus qu'il n'était nécessaire. Vu le caractère provisoire du projet à l'époque, mais aussi pour que le public se rende compte de ce que cette magnifique salle était devenue." Puis, c'est l'aventure, pour remettre en état l'électricité, trouver du matériel de projection, des sièges, un écran. Et à l'heure actuelle encore, la situation reste précaire. "L'immeuble a changé de propriétaire il y a un an et demi environ. Nous avons obtenu de haute lutte le droit de rester dans les lieux contre le paiement d'un loyer, mais étant donné que nous n'avons ni revenus fixes ni subsides structurels, le propriétaire refuse de nous signer un bail stable et peut à tout moment nous prier de nous faire héberger ailleurs. Notre force, c'est d'être là, visibles et actifs".
Dès le début, l'équipe du Nova se lance dans une programmation tous azimuts, éclectique, mais aussi un peu fouillis. Des projections thématiques voisinent avec des événements ponctuels et des activités régulières style "open screen". Des rencontres et des colloques côtoient des collaborations avec des festivals ou des événements culturels. Gwen assume : "Le Nova est un ensemble de spécificités, avec des contacts dans de nombreux pays. On fait donc partie de nombreux réseaux informels, de cinéma underground, documentaire, expérimental, etc., et la programmation en est un peu le reflet. Cela dit, il y a des constantes : la volonté de montrer un cinéma indépendant, qu'il soit amateur ou professionnel, et de ne pas cloisonner les genres. On essaie d'approcher des films via une sensibilité, un sujet, une région, et de les regrouper ensemble dans une programmation thématique. Pour donner la possibilité au public de se faire une idée plus large sur un sujet, un cinéma, certaines régions du monde. On envisage aussi nos activités de manière plus large que la simple projection de film. C'est la musique, soit en live pendant une projection, soit après. C'est avoir des invités, des cinéastes qui viennent présenter leur films, participer à des débats, montrer des expos. Enfin, à côté de cette programmation, on essaye de développer des activités spécifiques, comme les séances "open screen" qui donnent la possibilité de montrer des choses différentes, incasables dans une programmation classique. Le principe de l'open screen est d'accueillir, sous certaines conditions de longueur et de format, tout ce qui est proposé. Les cinéastes peuvent venir un quart d'heure avant la séance avec leur bobine ou leur cassette. Ce qui fait qu'il y a maintenant à Bruxelles des gens qui font leur film uniquement pour l'open screen, parce qu'ils savent qu'ils vont avoir l'opportunité de l'y montrer.
Au début, on devait faire beaucoup de prospection, tandis qu'à l'heure actuelle, on commence à être bien connus, même à l'étranger, et on nous envoie beaucoup de films qui retiennent souvent notre attention, mais dont on ne sait que faire, parce qu'ils n'entrent pas dans un cycle et n'entretiennent aucun rapport à un genre ou une thématique précise. On réfléchit actuellement à la question de savoir comment faire pour montrer malgré tout ces films et attirer le public."
Ces activités placent le Nova en marge du secteur " classique" de la diffusion de films (salles, festivals,...). "On ne se positionne pas du tout comme concurrents des autres salles, même d'art et essai, ni de la cinémathèque. Il y a tellement de choses qui ne sont pas montrées. Des salles comme l'Actor's font un travail nécessaire et le font très bien, mais nous, on se place sur un autre terrain. Si un film est pris en distribution dans le circuit classique et trouve une autre salle à Bruxelles, nous n'essayons pas de l'avoir pour nous. Cela dit, il est arrivé quelquefois que notre travail ait permis à un film qui n'était pas distribué d'être montré ailleurs qu'au Nova.
La question du double emploi se pose davantage avec les festivals. C'est pour cela que nous avons développé des collaborations, avec les Festivals du dessin animé, du film fantastique, le KunstenFestivaldesArts ou Bruxelles 2000, entre autres. On en a aussi refusé. Si on collabore, c'est toujours après nous être posé la question du plus que le partenaire peut nous apporter, et de ce que nous pouvons offrir en échange. On ne fonctionne pas comme loueur d'espace ou d'infrastructure. Il faut que nous soyons actifs dans le projet."
Le Nova est une salle de cinéma, mais ouverte sur l'extérieur. Musique, expositions, colloques y trouvent aussi leur place, comme la rencontre mondiale des télés associatives organisée en décembre, ou encore le centre de presse indépendant qui a réuni, pendant le contre-sommet européen, Indymedia et Radio Bruxxel, association momentanée des quatre principales radios libres bruxelloises. "On se sent plus proches des lieux de culture alternative que de certains exploitants de salles et de certaines équipes de festivals. On est dans une optique de culture, de contestation sociale, de création, de multidisciplinarité, de tranversalités." Ainsi, en février, le Nova a programmé un cycle Temps-images, réalisé en collaboration avec Arte et les Halles de Schaerbeek, sur les rapports entre cinéma, arts plastiques et arts de la scène. Le Nova n'hésite pas non plus à sortir de ses murs. Témoin, ces séances Plein open air, organisées chaque année au mois d'août dans des lieux emblématiques de Bruxelles (chancres, lieux stratégiques, quartiers populaires,...) et qui associent les comités de quartier pour une soirée projection, animation et repas convivial.
Une multiplicité d'activités qui n'est pas sans poser le problème du financement. "On a appris à travailler avec des bouts de ficelle. C'est une force car quand on se lance dans un projet, c'est qu'on sait qu'on peut le réaliser, soit qu'on aura le financement, soit qu'on pourra le faire sans fric. Par ailleurs, nous estimons que nous faisons un travail de service au public, et donc, on a recherché des subsides. Avec deux constantes. Primo : on finance projet par projet. Il n'y a pas de subsides structurels. Et on ne démarre un projet que lorsqu'on a l'accord sur le financement. Secundo : on essaie toujours d'avoir les deux communautés sur le même projet. Le Nova est une initiative bruxelloise et, quand on l'a mis en place, on n'avait pas - et on n'a toujours pas - envie de se poser la question de savoir si on était francophones, flamands, arabes ou Dieu sait quoi. On le martèle sans cesse mais c'est vraiment très dur à faire passer. Ce mode de fonctionnement par projet donne souvent des résultats disproportionnés. On travaille parfois deux semaines avec autant de budget que pour le reste de l'année. Enfin d'autres recettes, le bar, la location de la salle,... aident à financer les frais de fonctionnement fixes. Les entrées aussi, bien sûr, mais étant donné notre politique d'accès démocratique, en cinq ans, le Nova a plutôt baissé ses prix. Et quand il faut faire venir une copie, ou le réalisateur, on rentre rarement dans nos frais sur les entrées. Même à guichets fermés."
N'empêche, il arrive fréquemment maintenant que les activités du Nova se déroulent devant une salle bien remplie. "C'est une motivation formidable, et c'est un succès qui doit beaucoup au bouche à oreille, parce que nos activités ne rencontrent pas dans les media l'écho que peut avoir le cinéma traditionnel. Outre le public dans la salle, il y a aussi nos contacts en Belgique et à l'étranger, et notre journal que nous devons imprimer à toujours plus d'exemplaires, que l'on vient chercher ou que l'on nous demande de plus en plus, même de l'extérieur de Bruxelles ou à l'étranger."
Et le futur du Nova ? "On voudrait faire évoluer les choses sur les rails du long terme. Sortir de la précarité, donc avoir une structure qui permette de préserver la richesse du projet, mais en même temps lui garantisse une base, une viabilité économique. Et la garantisse aussi à ceux qui y participent. On y réfléchit pour l'instant, mais sans trop se presser parce que c'est une chose à bien calculer. Au Nova, on est tous bénévoles. Au début c'était forcé : soit on était bénévoles, soit on n'ouvrait pas. Mais on était à l'époque dans une perspective de cinéma d'urgence dans laquelle on n'est plus."