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Kursk, le cercueil sous la mer

Publié le 05/11/2018 par Adrien Corbeel / Catégorie: Critique

Le naufrage du sous-marin Kursk, en août 2000, fait partie de ces catastrophes suffisamment spectaculaires et tragiques pour marquer durablement l'imaginaire collectif. Une poignée de marins, emprisonnés dans un cercueil de fer à quelques centaines de mètres sous la surface de la mer : l'esprit vagabonde facilement quant au sort tragique de ces hommes. À ces événements maintes fois évoqués par les médias, Thomas Vinterberg donne une vie cinématographique dans l'efficace et émouvant Kursk, qui s'impose comme une incursion tout à fait respectable dans le genre du film de sous-marin.

Kursk, le cercueil sous la mer

Quelle que soit la nature de celle-ci, faire d'une authentique tragédie un film catastrophe est une affaire épineuse. Au-delà des évidents problèmes éthiques qui sont destinés à émerger, la question du suspense se pose. À l’inverse des fictions du même genre, il n'existe en effet pas de doute possible quant à l'issue du naufrage du Kursk, à moins d'en ignorer les faits.
Ces questions importent pourtant peu ici, ce qui témoigne du talent de conteur de Vinterberg et de ses collaborateurs, qui parviennent à emporter leur spectateur et à le tenir en haleine, indépendamment de sa familiarité avec le sort des personnages. Dans ses premières séquences, le film nous présente un groupe de marins attachants pour lesquels vie difficile rime avec camaraderie.
Le communisme n'est plus à l'ordre du jour depuis presque dix ans, mais la solidarité subsiste dans leur petite communauté qui se serre la serrure en attendant la prochaine mission. Celle-ci vient à point nommé sous la forme d'un exercice sous-marin, qui permettra à la Russie de tester quelques-unes de ses armes militaires. Une dernière célébration — le mariage de l'un d'eux — et quelques au-revoir, et les voilà partis en mer, inconscients face à la catastrophe qui s'annonce.
À bord du sous-marin, la claustrophobie pointe très vite le bout de son nez. Cinématographiquement parlant c'est presque inévitable dans un lieu aussi confiné, et le film prend exemple sur les classiques du genre tels que Das Boot et K-19 pour nous saisir aux tripes. Curieusement, le cadre jusque-là assez serré se fait plus large, mais c'est pour mieux nous enfermer. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, quelques explosions (attendues, mais néanmoins saisissantes) transforment le Kursk en un cercueil de fer pour ses habitants et le plongent au fin fond des profondeurs de la mer. Une poignée des marins survivent, mais la situation est alarmante. L'eau monte lentement, mais inéluctablement dans ce lieu étroit, et l'air commence à manquer. Dans cette situation, la résistance s'organise, entre tension, folie et persévérance, tandis qu'à la surface, les autorités traînent la patte pour venir à leur secours.
À la surface, ce sont de belles images partagées entre un réalisme froid et une certain onirisme qui dominent. À bord du sous-marin, des lumières blafardes éclairent les corps. L'humidité, le froid, le désespoir — tout l'éventail de leur ressenti est terriblement perceptible et le film ne nous épargne pas grand-chose de leur souffrance, sans pour autant tomber dans l'obscénité.

Un film international

Co-production européenne par excellence (EuropaCorp pour la France et Belga Productions pour la Belgique), Kursk peut se targuer d'afficher un casting international. En tête, on retrouve Matthias Schoenaerts, incarnant un homme ordinaire qui se double d'un charismatique leader. À ses côtés, la Française Léa Seydoux doit se contenter du personnage ingrat de l'épouse enceinte qui attend patiemment son mari. Son rôle dépasse heureusement quelques-uns des stéréotypes du genre, notamment lorsqu'elle déchaîne sur les autorités une fureur et un chagrin particulièrement poignants. Le « pouvoir » russe est quant à lui incarné par le célèbre acteur suédois Max Von Sydow qui livre une de ces performances diaboliques dont il a le secret, où se mélangent l'hypocrisie, le dégoût et la honte.
On retrouve également Colin Firth, remarquable comme toujours, mais aussi une multitude de seconds couteaux aux noms inconnus, mais aux visages familiers. L'un jouait un nazi dans Inglourious Basterds, l'autre un capitaine dans une prestigieuse série anglaise en costume. L'effet de ce melting-pot européen est, ne nous le cachons pas, parfois déstabilisant, d'autant plus qu'une poignée d'acteurs (mais loin de la majorité) tentent un accent slave. On est donc reconnaissant au long-métrage de privilégier le plus souvent le langage cinématographique à celui de la parole.
Aucun de ces acteurs n'est russe, ce qui n'est guère surprenant pour une œuvre plutôt critique de l'État de Vladimir Poutine (même si son nom est curieusement absent du film...). C'est un pays arrogant qui nous est présenté, plus soucieux des apparences que de la survie de ses citoyens, et encore empêtré dans des relations géo-politiques dignes de la Guerre froide. À ce gouvernement égoïste et fier, Vinterberg lui oppose un peuple qui refuse les diktats, et se bat pour la vérité quel qu’en soit le coût. Fantasme historique ? Peut-être, mais cette rage est essentielle à ce film plein de colère et d'amertume.
En apparence, Kursk constitue une addition surprenante à la filmographie de Vinterberg, jusque-là composée principalement de drames familiaux (Festen et La Communauté). Il a une plus grande ampleur que ces films, tant dans ses enjeux (la survie d'un nombre important de personnes) que dans son budget. Mais le long-métrage est habité par les mêmes thèmes et motifs. Pour le cinéaste, il s'agit toujours de mettre en scène l'instabilité, de filmer des personnages qui perdent pied, de capter au vol des visages en souffrance et de saisir leur profonde et juste colère face à une situation cruelle.

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