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Education à l'image. L'animation cinéma dans le cadre scolaire : entretien avec Hypercut

Publié le 14/02/2018 par Sylvain Gressier / Catégorie: Dossier

Faire un film est une aventure incroyable de laquelle on tire souvent un plaisir intense. Développer une idée, jusqu'à sa réalisation est une expérience que vivent aujourd'hui de nombreuses personnes de tout âge et ce, grâce à une très large démocratisation de la pratique cinématographique et des outils qu'elle nécessite. Si tout le monde est aujourd'hui familier de l'aspect ludique de l'industrie audiovisuelle, la réalisation comme outil pédagogique d'ouverture au monde reste encore passablement marginale. Rencontre avec François Fontaine et Germain Caillet qui organisent des ateliers vidéo en milieu scolaire et extra-scolaire avec leur asbl Hypercut

Cinergie : Qu'est-ce que pour vous un film d'atelier ?

François Fontaine : C'est un moment qu'on passe avec un groupe de jeunes dans le but de faire un film. On le voit beaucoup comme du bricolage, dans le bon sens du terme. On sait déjà que pour faire un film les budgets manquent d'une manière générale en Belgique, alors les films d'atelier, c'est une véritable catastrophe. On y arrive pourtant à force de volonté collective et de débrouille, c'est là où le film d'atelier prend sens.
Germain Caillet : À travers le film d'atelier, il y a aussi un exercice de transmission, on transmet un savoir-faire, des techniques qui permettront aux « animés » de se débrouiller dans la vie de tous les jours. On essaie de leur apporter un esprit critique. On travaille beaucoup le stop-motion où le côté bricolage correspond bien à ce que l'on veut transmettre : pour construire un film, il faut le déconstruire. Du coup, dans la vie de tous les jours, ça permet un regard critique sur la publicité, aux infos, à la construction et au décryptage d'une image.
F. F. : Notre but est de revenir à la base de l'image, de faire prendre conscience aux jeunes que ce qu'ils voient n'est pas à prendre pour argent comptant, qu'il y a du montage, des choses qui ont été amenées. La vidéo paraît encore trop réelle pour certains, peut-être aussi parce qu'il y en a plein et partout. On essaie de dire aux jeunes que l'on rencontre : "Apprenez à apprécier pour vous même, à travailler pour vous même les images. Et arrêtez de vous laisser faire par elles." Qu'ils sachent pourquoi ils vont aller voir le dernier Spiderman, non pas parce que tout le monde leur a dit que c'était génial, mais parce que telle ou telle image leur a foutu une claque.

C. : Qu'est-ce que la pratique, que vous défendez, apporte à la théorie de l'éducation aux médias ? G. C. : Nous, on leur apprend aussi à tricher, ce qu'ils ne peuvent pas faire à l'école par exemple. En cinéma, on peut et on doit tricher, mais il faut le faire intelligemment, afin de créer une image. Ce n’est pas uniquement poser un appareil, mais tout ce que l'on va construire derrière. Quelle est la lumière, comment penser le décor, etc. On sent que ça affine le regard de désacraliser tout ça. Ça leur permet de mieux comprendre les choses et de les concevoir à leur portée. On n'a pas forcément les mêmes références, mais tout d'un coup, cela devient universel et ça leur permet de comprendre et d'avancer.
F. F. : Il y a pas mal de jeunes qui sont venus ici et qui font des études de cinéma aujourd'hui. Ce n’est certainement pas que grâce à nous, mais ils nous disent que le stage leur a révélé quelque chose. Ça a été un déclic de se dire "oui on peut le faire aussi". Ça ne veut pas dire qu'ils vont réussir ou que ça va bien se passer. Mais parmi les tout premiers, il y en a deux qui ont leur boîte et qui tournent bien aujourd'hui.

C. : Pourquoi préférez-vous chercher votre public dans le scolaire ?
F. F. : L'avantage du scolaire c'est que le groupe se connaît, pour pouvoir donner une idée commune, c'est plus pratique. On peut également faire des repérages, amener l'activité dans le temps et avoir un suivi avec eux.

C. : Quelles sont les attentes des profs et du corps enseignant quand ils vous contactent ?
G. C. : La magie ! Et ce qu'on a mis en place à travers ces ateliers possède un côté très pédagogique.

F. F. : Chez la plupart des professeurs qui sont venus nous voir, il y avait une envie de changement. On remplace souvent les classes de neige, dont les profs ont tendance à se lasser au bout de dix ou vingt ans et qui n'apportent pas grand-chose au niveau pédagogique. Il y a une envie de leur part d'être impliqué, c'est d'ailleurs un prérequis. Il nous est déjà arrivé que la direction impose le projet aux instits, et ça a été beaucoup plus long à mettre en place du coup.
G. C. : Beaucoup de profs relient l'atelier à leur programme éducatif, ou le lient à un thème et l'accompagnent de réflexions, de rédactions. Ensuite, on retravaille le projet ensemble puis on passe à la pratique. C'est là où ils nous passent le relais de la direction des opérations, tout en restant impliqués. On a conçu l'atelier en différentes phases. Il y a d'abord un côté très manuel, pour créer les personnages et les décors, avec de la peinture ou de la plasticine par exemple. Le deuxième est plus visuel, où ils vont animer l'ensemble et le troisième est auditif et se focalise sur le son. On s'occupe nous-mêmes du montage car c'est un peu plus compliqué. Mais à travers ces différentes étapes les profs vont trouver des occasions de faire travailler tel ou tel groupe d'enfants sur des points qui ont trait à leur programme pédagogique. Et puis, ça les amuse. Je crois qu'ils retrouvent un petit peu leur âme d'enfant.
F. F. : Et ils sont souvent épatés par leurs enfants, et viennent très souvent nous voir en disant : " Je pensais pas que c'était possible d'arriver jusque-là. "

C. : Vous auriez un exemple de mise en pratique du programme grâce à l'atelier vidéo ?
F. F. : On a travaillé avec une classe à grande difficulté, dans une école à St Gilles qui récupère un peu tous les élèves qui ont été virés de partout. Il y avait un enfant qui n'en touchait pas une. Il avait treize ou quatorze ans, toujours en primaire. Une semaine avant de venir en classe avec nous il avait instauré le jeu du foulard, mais version ultra-violente, où les enfants devaient faire un paquet d'exercices pour être épuisés, puis il les relevaient, les tabassaient et ensuite les étranglaient. Et sur sa liste de conneries ce n'était qu'une de plus. L'école pensait ne pas l'embarquer dans l'atelier, et la directrice, qui est une super chouette femme, a dit au gosse : "Tu vas y participer, mais à la première connerie je viens te chercher et tu termineras toute la semaine assis dans mon bureau et tu ne feras que ça, tu pourras même pas dessiner ou écrire, tu seras assis à côté de moi et tu ne feras rien". Les profs nous préviennent en nous disant : "On a eu des problèmes avec celui-là, on espère que ça va bien se passer mais s’il y a un souci, vous nous prévenez direct." On commence les bricolages et le gamin a adoré. Il s'est lancé dedans comme un fou. Il s'est mis à dessiner et à créer à l'échelle tout le mobilier d'un petit salon. On lance la pause, il continue, on lui dit tout le monde a besoin d'une pause, nous aussi d'ailleurs. Mais il ne voulait plus lâcher ses petits objets. La prof le laisse faire. Elle va le voir et lui dit : "Tu sais que tu fais de la géométrie, là ?" Le gamin ne pige pas. "Les livres que tu n'as jamais voulu ouvrir à l'école, ils servent à ça." Elle s'est mise à lui expliquer : "Quand tu fais ton frigo, ça c'est une droite, un carré etc." Et le gamin est devenu super bon, et notamment en géométrie !
G. C. : Elle l'avait fait très intelligemment en se servant de cette expérience qui lui a servi de déclic, et a utilisé ce rapport au cinéma au fil de l'année pour donner un sens pratique et concret aux choses.

C. : Quel rapport avez-vous avec le corps enseignant ?
G. C. : Les profs qui sont venus vers nous avaient fait des recherches, avaient pris une initiative avec l'envie de faire découvrir quelque chose de nouveau, mais pour nous dans un établissement ça représente peut-être 5 ou 10% des effectifs.
F. F. : Il y en a peut-être plus que ça mais c'est tellement difficile de rencontrer ces gens-là. Si tu essaies de communiquer par e-mail, ils vont partir directement à la corbeille. Quand tu téléphones, ça marche encore un peu, mais on est très souvent oublié en cours de route. Pour que le projet se mette en place, il faut aussi que le pouvoir organisateur le valide. On passe par pas mal d'étapes avant que tout ça ne démarre. Au final, là où ça marche le mieux pour nous, c'est par le bouche à oreille. C'est le prof qui généralement prend la responsabilité de tirer la direction et le pouvoir organisateur pour faire advenir le projet.
G. C. : Et ça n'a jamais été simple pour eux.

C. : Quelle place aimeriez-vous donner à votre travail dans un programme scolaire ?
F. F. : Beaucoup de place. Pas spécialement notre travail à nous, mais le travail de l'éducation à l'image en général, et de préférence de manière artistique. Ça peut permettre de donner un sens pratique à beaucoup de choses. Il faut que l'élève puisse accéder à ce plaisir de comprendre à quoi peut servir ce qu'il apprend. Il faut qu'on te montre en quoi les maths, c'est rigolo. Le français c'est pareil, quand tu commences à triturer les mots, cibler très précisément ce que tu souhaites dire ou au contraire pouvoir laisser planer un doute, ça prend tout son sens. Comment on reconnecte l'apprentissage théorique à une réalité ? Ça peut faire peur comme ça de sortir du cadre scolaire qui est connu et rassurant. Mais dès qu'on leur laisse un peu de liberté tout en définissant d'autres cadres, les gamins sont hyper concentrés et plein de créativité.
G. C. : Idéalement, le système éducatif devrait évoluer avec la société. Le rapport à l'image était très différent il y a trente ans. On n’était pas submergés. On a évolué vers un monde d'images. Même les panneaux publicitaires sont animés aujourd'hui, que l'on s'en rende compte ou pas, on est constamment captif de ça. L'éducation devrait le prendre en compte. On est très peu éduqué quant à l'image, et c'est ce qui fait que ça dérape très vite.
F. F. : D'autant que c'est construit de manière très efficace par ceux qui les font.

C. : Ça vous semble important que ce soit un animateur extérieur au cadre scolaire qui vienne apporter ça ?
F. F. : Je pense qu'il faut que ce soit quelqu'un de l'extérieur. L'avantage de ne pas être des profs permet un autre rapport aux élèves. C'est pour ça aussi que l'on préfère que ça ne se passe pas dans les écoles, mais dans un lieu dédié. Les sortir de leur environnement permet de les garder concentrés et de les empêcher de se réfugier dans leurs acquis.
G. C. : Ils sont trop en confiance quand ils sont à l'école. Pour des raisons pratiques, on est parfois obligés d'y rester, mais quand on peut faire ça en dehors, on en profite. L'idée, c'est qu'on est des professionnels de tout âge et que l'on va réaliser quelque chose dans le cadre d'un projet.
F. F. : Il est arrivé souvent après un atelier, que des professeurs nous disent à propos d'un élève : "Je me suis rendu compte que je ne le connaissais pas." Un exemple. Une première de classe qu'on a eu il n'y a pas longtemps, parfaite sur les devoirs, jamais un mot de travers, la petite fille modèle… Dans notre stage, elle s'est transformée en vrai punk, qui découpe son prof en saucisse. Elle avait un besoin de sortir ça, elle est restée première de classe tout le reste de l'année mais elle parlait beaucoup plus facilement. C'est un des avantages de l'animation, ce n'est pas eux devant la caméra, mais des petits personnages qu'ils créent et animent. Du coup, ils ont le droit de faire dire ce qu'ils ont envie à leurs personnages.
C. : Comment articuler le programme scolaire avec des activités extérieures ?
F. F. : En intégrant des projets au programme. Ça peut être la vidéo comme n'importe quelle forme de création, dès lors que ça donne du sens à ce qu'ils font.
G. C. : On pourrait rajouter des cours d'éducation à l'image, mais ne pas faire appel à un intervenant extérieur, pour moi, c'est un réel manque. C'est lui qui apporte l'ouverture à autre chose, c'est difficile à quantifier en termes d'acquis, mais d'expérience, c'est fondamental.

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