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L'art comme thérapie - Alexandre Sokourov

Publié le 09/10/2013 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Événement

Cinematek propose, en septembre et octobre, un cycle consacré à Alexandre Sokourov, un cinéaste qui tourne vite et avec peu d'argent des films brillants et insolites avec une liberté créatrice déroutante (autant pour l'image que pour le son), bien loin de la logique d'un cinéma de divertissement. À son actif, seize films de fiction, et près d'une trentaine de documentaires pour la télévision dont il a renouvelé le style et qu'il appelle désormais des « élégies ».

L'art comme thérapie - Alexandre Sokourov

Commençons par la fin du cycle de projections : l'Arche russe, programmé le 26 octobre. Le film a enthousiasmé la critique, davantage pour sa réalisation en un seul plan-séquence de 96 minutes, sans coupe, que la question que pose le réalisateur : à quoi l'art sert-il dans une société qui ne s'intéresse qu'au divertissement ? Une réflexion à travers le parcours d'un voyageur suivi par une caméra qui tournoie entre des personnages du passé et des peintures de plusieurs siècles conservées dans les salles de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg. Diplômé de la faculté d'histoire de l'université Gorki, Sokourov livre un conte qui raconte l'histoire de la Russie, tout en s'interrogeant sur l'apport thérapeutique de l'œuvre d'art. Le film propose aussi aux spectateurs de se demander pourquoi certains souvenirs du passé continuent à s'inscrire dans la mémoire du présent.

Flash-back sur le début du cycle de projections, le 13 septembre : Elégie de Moscou-Andreï Tarkovski. Le film démarre sur le tournage d'un film. Des dizaines de gens pris de panique s'enfuient, des bouts de papier volent. Travelling arrière sur la caméra qui filme la scène et qu'observe Andreï Tarkovski à côté de la caméra, sur une plateforme. Il s'agit d'une séquence onirique de son dernier film, Le Sacrifice. Le rêve devient réalité sous ses yeux. Les souvenirs se bousculent, Sokourov n'hésite pas à se servir de documents d'archives, en noir et blanc, dont les actualités sur l'enterrement de Léonide Brejnev pour montrer des officiels guindés comme les statues d'un cimetière. En contrepoint, Tarkovski, qui vit en Italie, prépare, avec Tonino Guerra, Nostalghia tout en pensant à une terre natale dont il a dû s'exiler pour continuer à réaliser des films. La thématique essentielle chez Sokourov de la mort et de la vie.

Le 17 septembre : Le jour de l'éclipse (1998), d'après le roman des frères Strougatski (Stalker est l'adaptation d'un autre roman de ces écrivains de science-fiction). En Asie centrale, dans une cité fantôme peuplée de migrants-mutants au milieu de déchets industriels, Molianov, un jeune Russe, écrit une thèse de médecine sur les maladies qui se développent en dehors du centre de l'Empire. Est-il en mission ou en exil ? Est-ce une sorte d'idéaliste qui cherche une autre voie que celle de l'hégémonie du commerce et de la consommation ? Sokourov travaille beaucoup sur le spectre de différentes couleurs, les ombres et la lumière, les nuances et les contrastes. Dans Le jour de l'éclipse, la couleur jaune domine l'image comme s'il s'agissait de vieilles images d'autrefois. Le titre du roman, Un milliard d'années avant la fin du monde dont il est issu, laisse supposer que les personnages sont morts depuis longtemps, et que nous voyons un vieux documentaire surgi dont ne sait quelle cave en ruine.

Sauve et protège est une libre improvisation (comme le Val Abraham de Manoel de Oliveira) sur Madame Bovary, le roman de Gustave Flaubert. Emma vit avec le docteur Bovary dans l'Ouzbékistan. Elle s'ennuie, s'endette sans trouver l'art, ce médicament qui sauve et protège. Dans ce film, le cinéaste s'intéresse à la transformation des sentiments qui vibrent chez la très sensuelle Emma Bovary. Comme d'habitude, Sokourov se sert d'acteurs non-professionnels dont la très surprenante Cécile Zervudacki. « Un film avec les stars n'est pas une œuvre d'art, précise-t-il. La star n'est pas une reproduction. Ce n'est pas un original. La star est à la personnalité ce que les photos glacées des magazines sont à un tableau de Dürer. »

Le 12 octobre, Mère et fils, (un fils accompagne sa mère malade dans une dernière promenade paisible avec la nature).

Le 21 octobre, Père et fils (un lien fusionnel entre un père et son fils, le non-Œdipe).

Faust, d'après l'œuvre de Goethe, conclut une tétralogie sur les hommes de pouvoir. Elle démarre avec Moloch (le 18 octobre). Au printemps 1942, Hitler passe un week-end dans son « nid d'aigle », sa résidence de Berchtesgaden avec Boorman, Goebbels et une Eva Braun, particulièrement délurée.

Le 20 octobre, Taurus, dont le fil conducteur est basé sur les derniers jours de Lénine, ses doutes, ses échecs et ses désillusions.

Le 29 octobre, Le soleil, qui reconstitue la vie quotidienne ritualisée de l'empereur Hirohito au moment où il renonce à son statut de divinité.

Faust (présenté à Flagey du 18 septembre au 30 octobre) bouscule les fils rouges des pièces de Christopher Marlowe et de Goethe en nous montrant un Docteur Faust entre deux âges (au théâtre, c'est un vieillard qui veut redevenir jeune). Certes, il signe un pacte au diable avec son sang, mais à la fin du film. La jeune Marguerite qu'il désire a un visage rond filmé dans une chromatique dorée comme une icône sur bois des églises orthodoxes. L'or y joue un rôle capital puisque Méphisto est l'usurier du petit village où vit le Docteur Faust.


 

(1) Cinematek ne montre pas tout. Espérons qu'on puisse en voir d’autres prochainement. Certes, Spirituel Voices (Voix spirituelles) est un documentaire de 342 minutes (5 épisodes pour la télévision), mais pourquoi pas Elégie de la traversée (47 minutes). Un voyageur parcourt un espace enneigé dantesque pour découvrir, à la fin, une peinture de Peter Saenredamdans un musée fantomatique (des tons gris du début à l'ocre de la fin du film). On reste à l'Ermitage de Saint-Pétersbourg avec Hubert Robert, une vie heureuse (26'), portrait d'un peintre français classique d'avant Napoléon avec la magnificence des couleurs chaudes de la peinture en Europe, au XVIIe siècle. Une illustration de cette phrase de Talleyrand : « Qui n'a pas vécu les années avant la révolution ne peut pas comprendre ce qu'est la douceur de vivre » (cité dans le carton du début de Prima della Rivoluzione de Bernardo Bertolucci). 

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