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La Belgique au Marché du film
1ère partie : À la rencontre des professionnels de l’ombre

Publié le 19/07/2016 par Edith Mahieux / Catégorie: Événement

La réputation du Festival de Cannes tient pour beaucoup dans l’incroyable salon professionnel qui s’y tient en parallèle. Chaque année, à deux pas du tapis rouge et ses paillettes, plus de 10.000 hommes et femmes d’affaire se rassemblent pour assurer l’avenir des films et enclencher de nouveaux projets. C’est le plus grand marché cinématographique du monde. La Belgique francophone ne manque pas à l’appel. Elle est épaulée par Wallonie-Bruxelles-Images (WBI), défendue par les agents de ventes internationales, et représentée aussi bien par ses producteurs et sociétés de service que par la jeune création cinématographique.

Voici un aperçu, en deux parties, de quelques acteurs clés d’« un milieu très irrationnel » selon les dires d’Eric Franssen, coordonateur du WBI. N’oubliez pas qu’il est important de se jeter dans la jungle et d’y nouer des contacts pour avoir plus de prises !

Géographie d’un lieu immense



Très grand espace, le Marché du Film occupe tout le sous-sol du Palais des Festivals de Cannes et s’étend à un grand bâtiment annexe, le Riviera. On y trouve des centaines de stands aux affiches de films plus accrocheuses les unes que les autres. Des compagnies du monde entier y vendent et défendent les films de leur catalogue. Parmi les alléesétroites, des milliers d’accrédités - 11 900 personnes inscrites en 2016 ! - se faufilent à la recherche de la pépite qui pourrait changer leur vie. Car, si beaucoup de films ne rentrent pas dans leurs frais, les agents de ventes, les programmateurs de festival, les producteurs et les distributeurs espèrent bien conclure à Cannes le ou les deals qui leur permettraient de continuer à vivre de leur passion.

Autour du Palais, de jolis pavillons blancs composent le Village International, antenne du Marché où les cinémas mondiaux sont représentés par pays. La Belgique n’y est pas, parce qu’elle a déjà une place de choix : le grand stand que Wallonie-Bruxelles-Images partage avec Flanders ne passe pas inaperçu. Les Belges sont côté mer, à l’entrée du bâtiment Riviera. Une belle banderole présente, haute en couleurs, les films francophones sélectionnés, avec, entre autres cette année, La Fille Inconnue des Frères Dardenne (Sélection Officielle), L’Economie du couple de Joachim Lafosse, (Quinzaine des Réalisateurs), ou Poubelle, le court-métrage d’Alexandre Gilmet (Cinéfondation).

Mais où les acheteurs et programmateurs de festival peuvent-ils voir les 985 films présentés au Marché ? Tous les cinémas de la ville de Cannes, déjà mobilisés pour montrer les films des diverses sélections, hébergent aussi des projections Marché. Mais c’est surtout au sein-même des différentes annexes, et dans les grands hôtels cannois, que sont organisées les projections par les distributeurs et les agents de vente. Dispersés un peu partout sur la Croisette, elles sont essentielles, car c’est dans une de ces salles noires que peut se décider l’avenir d’un film. Si un acheteur manque une projection, tout n’est pas perdu pour autant : il pourra toujours la récupérer sur la plateforme en ligne du Marché, Cinando, dont il dispose.

Tantas AlmasUn peu plus loin, en suivant la mer, on accède à la dernière annexe du Marché du film, qui se trouve le long du vieux port de Cannes. C’est le Village Pantiero, lieu cette fois où se déroulent des rencontres plus spécifiques. Cineuropa - le portail web de promotion du cinéma européen financé par le programme Media de l’Union Européenne - y a un stand, par exemple, ainsi que l’Atelier de la Cinéfondation, qui met en relation, sur sa grande terrasse, 16 duos auteurs/producteurs avec des financiers sur projets choisis avant festival. Le réalisateur belgo-colombien Nicolas Rincon Gille y a présenté son projet de premier long-métrage, Tantas Almas, dans l’espoir de trouver un distributeur assez intéressé par son film pour investir. Les Belges francophones sont aussi présents de ce côté ouest de la Croisette, au Pavillon Next, la plateforme d’exposition du cinéma de demain. Au milieu des présentations de réalité virtuelle et des tables rondes sur les possibilités innovantes en matière d’industrie cinématographique, Wallonie Creative, le fonds d’investissement en nouveaux medias de Wallimage, représente sa région accompagné de 5 starts-up, producteurs audiovisuels et créateurs digitaux. 3D Stereo Media, Sunday Pistols, Dog Studios, Clap ! et Big Bad Wolf, sont toutes les 5 des entreprises de pointe en matière de 3D, de réalité augmentée, de transformation digitale et de culture geek.

On sourit en se promenant dans ce pavillon du futur car on peut y croiser des sortes d’aliens aux grosses lunettes noires (visiocasque), qui sourient tous seuls et tournent sur eux-mêmes comme à la recherche de quelque chose. La réalité virtuelle nous transporte vraiment dans un monde qui n’appartient qu’à nous ! Si les Belges n’ont pas présentés de projets de VR cette année, gardez l’œil, elle risque d’arriver bientôt près de chez vous !

 

Promouvoir une image belge de marque

 

Dans une situation plus compliquée qu’il y a 10 ans, à l’heure où la cinématographie mondiale est de plus en plus large, les festivals réduisent le nombre de films présentés pour se concentrer sur la qualité : la Quinzaine des réalisateurs est passée de 25 films à 18 films cette année. Il est donc plus que jamais essentiel pour les films d’avoir une bonne visibilité.

Le Stand du WBI fait la promotion du cinéma belge francophone, côte à côte avec Flanders, ce qui permet aux partenaires potentiels de se renseigner sur toutes les possibilités de tournage et de collaboration qui existent en Belgique. En ce qui concerne le cru de cette année, les Dardenne ayant été pré-vendus, ils servent de vitrine pour attirer le regard sur les autres. Si l’année dernière avait été une année incroyablement riche en émotions car Le Tout Nouveau Testament avait fait un carton et avait mis la Belgique sous le feu des projecteurs, 2016 est plus l’année des co-productions. Les Films du Fleuve ont co-produit 4 films en sélection officielle, dont la Palme d’Or, I, Daniel Blake de Ken Loach. Frakas s’est allié à Petit Film et Rouge International pour produire Grave de Julia Ducournau entièrement tourné à Liège, et La Tortue Rouge de Michaël Dudok de Wit a été co-produit par le géant belge de l’animation, Belvision. 

Oui, le Tax Shelter attire toujours beaucoup de partenaires en recherche de fonds. Dom Lenoir, par exemple, jeune réalisateur et producteur anglais produisant un film sur la Seconde Guerre mondiale, était avide de connaître les possibilités qui existent en Belgique aussi bien en termes de tournage (logistique, services, etc.) qu’en termes de post-production afin de définir s’il était plus intéressant pour lui de tourner en Belgique ou en France. Le stand de Wallonie-Bruxelles-Images, en plus de se charger de la promotion des films francophones, héberge une dizaine de société de service et de boîtes de production, qui peuvent directement renseigner les partenaires sur place. Ils peuvent organiser leurs rendez-vous dans cet espace ou en association avec Wallimage au Pavillon Next. Ce sont aussi dans ces deux pôles que les professionnels belges francophones peuvent se rencontrer entre eux, si ce n’est pas à la soirée organisée par le WBI pour célébrer le cinéma belge francophone. Ces rencontres sont importantes, voire cruciales. Car comme nous l’a confié Léon Perahia, administrateur délégué de Belvision, le Marché du film sert aussi à « se rappeler à la profession dans son propre pays ».

 

Vendre avec passion des films de qualité : les agents de ventes internationales

 

Il n’a jamais suffi de faire des films pour qu’ils soient vus, il faut aussi les diffuser et les vendre. Sachant que les Majors américaines investissent quasiment la moitié du budget de leurs films dans le marketing, et à l’heure où l’on ne compte plus le nombre de films produits par an tellement il y en a, le rôle de ceux qui mettent les films en avant est primordial.

Les sociétés de ventes internationales ont une place très importante dans la chaîne de diffusion d’un film. Intermédiaires entre producteurs et distributeurs, elles choisissent des films auxquels elles croient et tentent de trouver des acheteurs. Une fois le marché conclu, elles prennent environ 20% sur les ventes. Si un agent de ventes peut s’engager à n’importe quel stade de la création du film, le plus tôt il est présent, le plus tôt la stratégie de commercialisation du film est mise en place. C’est lui qui peut choisir le nom du film en anglais par exemple, ou recommander l’affiche qui attirera l’œil des clients en festival. Car, au Marché du film, l’essentiel est de créer un effet d’urgence pour vendre au plus vite.

En 2014, par exemple, Brabançonne, le film de Vincent Bal, a eu un bon retentissement au festival de Cannes car les acheteurs, en particulier des acheteurs asiatiques, avaient été marqués par l’affiche jaune du film. Plus tard, le côté comédie musicale du film leur avait énormément plu en projection. Ensuite, c’est vers les agents de ventes du film qu’ils se sont tournés pour acheter les droits de diffusion dans leurs pays respectifs. 

Dans ce cas-là, il s’agissait de Be For Films, la seule société de ventes internationales belge qui existe à ce jour. Créée et dirigée par Pamela Leu après qu’elle ait fait ses armes à Films Distribution, Be For Films a été lancée par la jeune dirigeante à Cannes, il y a trois ans. Implantée à Bruxelles et à Paris, c’est les deux pieds dans le cinéma francophone que Pamela Leu vend des films belges (et français) d’art et d’essai choisis par ses soins. Elle nous explique qu’avant le Marché, il faut annoncer les films sélectionnés, que ce soit sur les plateformes du WBI ou sur Cinando ainsi qu’à ses contacts par newsletter. Une fois sur place, elle organise des projections privées pour des films bien ciblés, souvent en exclusivité, afin que les acheteurs viennent à sa rencontre pour conclure des deals, la plupart signés a posteriori.

Cette année, Be For Films présente en avant-première au Marché, Welcome Home. Nous avons eu la chance d’assister à la projection. Ce qu’on peut remarquer, c’est que les acheteurs, toujours sur le qui-vive, sont prêts à sortir de la salle à la moindre hésitation. Ils regardent le film entre deux sms, en ayant choisi tous les sièges près de la porte. Dans le cas du film de Philippe de Pierpont, il y a une dizaine de spectateurs, et, cela fait plaisir à voir, la plupart sont littéralement pris par le film. Même un homme d’affaire qui avait commencé à regarder le film debout, finit par s’asseoir, emporté par le suspens.

Je me tue à le direMais tout l’art des agents de vente est justement de tenir compte des exigences culturelles de chacun pour savoir comment vendre leurs produits et surtout à qui. Nathan Fischer, dirigeant de Stray Dogs, la société française chargée des ventes de Je me tue à le dire, a insisté, lors de notre rencontre, sur le fait que vendre le film de Xavier Seron était particulier. Etant donné que c’est un long-métrage en noir et blanc, il ne peut être vendu ni en Asie, ni en Amérique Latine car ce sont des continents qui n’aiment que les films en couleurs. Rien ne sert d’inviter les acheteurs de ces régions du monde à venir le voir. En revanche, l’humour décalé et la beauté de sa photographie sont tout à fait adaptés au marché européen.

En tant que réalisateur ou producteur, on tombe rarement par hasard sur un agent de ventes internationales. Dans le cas de Je me tue à le dire, c’est François Cognard, le coproducteur français du film qui l’a montré à Nathan Fischer, ami de longue date, en sachant que le film lui plairait.

D’où l’importance de nouer des relations de longues dates avec aussi bien les producteurs que les distributeurs pour connaître les stratégies et les goûts de chacun. L’important en affaires est que tout le monde y trouve son intérêt. Les jeunes réalisateurs ont du mal à prendre conscience du paramètre économique souvent essentiel à la bonne visibilité de leur film. Un deuxième article est consacré plus spécifiquement à ce sujet.

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