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La croisette en noir & blanc

Publié le 04/06/2010 par / Catégorie: Événement

Guillaume Richard, notre gagnant du Prix des jeunes critiques a été le Richard cœur de lion des cinéphiles au Festival de Cannes 2010. Il a profité de son Prix pour rendre hommage au cinéma tel que nous l'aimons. Les élus, en dehors de l'armée du spectacle reçoivent : une double, triple quadruple ration de thé asiatique.  Le bon ton du don du bourdon. Un coup de cœur pour Joe (Apichatpong Weerasethakul), un autre pour Hong Sang-soo (et son film, Ha ha ha). Il nous file un malin patin plutôt que du baratin, en raclant hors du sillon. Des candidats comme cela, on en réclame pour l'an prochain.

André Bazin comparait le Festival de Cannes à un protocole religieux : le festivalier arrive dans La Mecque du cinéma où les plus beaux films de notre époque se bousculent. Cannes se transforme alors, pour quinze jours, en une ville-rêve, ultra stylisée, glamour. Le cinéphile, pour sa part, devient un moine qui doit planifier rigoureusement son quotidien pour voir les films qu’il désire. Il arpente les salles, en quête de sensations nouvelles, d’expériences révolutionnaires, d’émotions volées, tandis que dans les coulisses, le business et l’argent sont rois. Car Cannes marie ces deux voies, presque contradictoires. D’une part, le festival sert de rendez-vous au marché du film, là où se concluent les contrats, là où règne le monde des apparences et de la rentabilité. D’autre part, Cannes est un gouffre, le lieu dans lequel l’expérience de soi et du monde se réalise de manière la plus brute : tous les écrans nous offrent de la vie, de l’autre, de quoi penser et se constituer.

Parlons des films, puisque je suis d’abord venu pour ressourcer ma cinéphilie, pour vivre autrement à partir de l’écran et retrouver ainsi mon amour du cinéma à l’état d’enfance (la distribution belge, des grands et petits circuits, ne m’offre que de très rares enthousiasmes). J’y ai vu un chef-d’œuvre : Ha ha ha de Hong Sang-soo, prix « Un certain regard ». Mélangeant Rohmer, Cassavetes et La garçonnière de Wilder, le film réinvente le « cinéma du quotidien ». Chaque scène est drôle sans pour autant user du gag, et sans jamais forcer et souligner les traits. Chaque plan, chaque idée, chaque dialogue est à la fois mélancolique et léger. Il ne fait pas de doute qu’une telle simplicité s’acquiert au bout d’une longue maturation.

Mon deuxième coup de cœur va, inévitablement, à la Palme d’Or, Uncle Boonme who can recall his past lives de Weerasethakul, dont j’admirais déjà les films, et attendais le dernier-né avec impatience. Le cinéaste nous propose une expérience nouvelle, sensitive, spirituelle, il nous apprend à voir le monde et à le sentir, il nous permet de croire en lui, mais aussi au cinéma de demain…
D’autres très beaux films ont illuminé mon festival : Film socialisme de Godard, Boxing Jim de Wiseman, Un homme qui crie d’Haroun ou Copie conforme de Kiarostami. Mention spéciale à un « teen movie » français, largement supérieur au buzz de l’an passé sur la croisette (Les beaux gosses) : Simon Werner a disparu.
À côté de cela, j’ai vu également de mauvais films : La Nostra vita de Luchetti, film raciste de propagande berlusconienne, FairGame, le seul représentant américain de la sélection, ainsi que des films d’auteurs formatés à la Quinzaine des réalisateurs, ou des œuvres trop manichéennes à mon goût.
Mais voir autant de beaux films en cinq jours relève d’un miracle. Pour moi, le rêve était à l’écran, dans ce que les films offraient.

Et le folklore cannois dans l’histoire ? La montée des marches ne fût pas mon meilleur souvenir : je suis passé par les flancs, à côté des photographes et du « vrai » tapis rouge, me retrouvant directement au pied des escaliers. Je n’ai pu rester que 20 secondes en haut, avant de découvrir l’horrible palais et des conditions de projections pas vraiment idéales. Par contre, deux soirées, dont une qui se déroulait sur la plage du Martinez, m’ont offert tous les avantages que l’on sait (hum). J’ai également rencontré de nombreux professionnels. Pour eux, « la magie » de Cannes n’existe pas. Cannes, c’est le business, les contrats, l’argent, et cela à n’importe quel prix. Disons que cette manière de voir les choses m’est étrangère : un cinéphile se soucie-t-il de savoir « combien de fric peut rapporter un film ? ». Cela vaut pour tout le monde, petits et grands. Je ne dis pas que Cannes ne fait pas rêver. Le festival est avant tout réservé aux professionnels, et il faut de la confiance en soi et des projets pour s’y sentir vraiment à l’aise.

Cette contradiction résume parfaitement l’impression que m’a laissée mon inoubliable séjour cannois. L’écran m’a illuminé, et souvent bouleversé (Sang-soo, Weerasethakul, Haroun, Wiseman…), alors que, hors des salles, d’autres valeurs prennent le dessus. Cela m’a permis, en tout cas, d’être à la fois moine et « VIP », cinéphile ardu et hédoniste m’adonnant aux joies cannoises.

Merci à Louis Héliot, Wallonie-Bruxelles et les organisateurs du concours.

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