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La Sirène de Sepideh Farsi

Publié le 19/02/2024 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Présentée à Annecy, puis à Gand, La Sirène est une de ces coproductions européennes qui frappent par leur justesse, tout en jouant avec ingéniosité de leurs contraintes et de leur forme. Une œuvre qui, à l'aune du siège de Gaza, sonne comme un triste rappel d'une Histoire qui ne cesse de se répéter. La Sirène sera présenté au festival Anima.

La Sirène de Sepideh Farsi

Sud de l’Iran, année 1980. L’Irak pilonne la ville d’Abadan, tandis que ses habitants résistent tant bien que mal à ce siège sanglant. Parmi eux, Omid, 14 ans, a choisi de rester plutôt que de fuir. La peur au ventre, mais la fougue de la jeunesse en lui, il attend chez son grand-père le retour de son frère du front. Comment résister, en temps de guerre, sans prendre les armes soi-même? Omid se joue de la ville pour contribuer comme il peut à la survie de celles et ceux qu’il rencontre au cours de ses voyages dans la ville, jusqu’à ce qu’il découvre un bateau abandonné dans le port d’Abadan, rescapé des bombardements. Ce bateau sera-t-il son salut, ainsi que celui des gens qu’il aime?

Exilée à Paris depuis 1984, Sepideh Farsi est une réalisatrice chevronnée qui n’a jamais cessé de dénoncer le régime des mollahs. Avec ce premier long-métrage d’animation, elle livre un pamphlet brûlant sur les différentes formes de résistance à l’oppression, dont la plupart se déroulent au-delà des tranchées et des lignes de front. Le tout, à hauteur d’enfant, comme elle aurait pu le vivre elle-même si elle avait résidé à Abadan durant ces événements. 

Car c’est bien le point de vue d’Omid qu’il nous est donné d’expérimenter dans ce film. Un prisme qui transforme la ville en gigantesque labyrinthe de feu et de sang, dont le jeune garçon devra apprendre les tours et détours pour survivre. Ce sentiment, transcendé par une animation simple, mais envoûtante, nous emporte dans des décors dantesques, sur fond de raffinerie en flammes qui gronde en permanence dans les oreilles des citoyens assiégés. Sous les missiles et les roquettes, Omid apprend petit à petit à trouver sa place dans ce chaos, envers et contre tout. Et là où l’on aurait pu le croire impuissant, le jeune homme incarne à travers ses actes et sa rébellion la volonté universelle de résister contre la tyrannie et le diktat de la guerre.

Une résistance qui passe aussi par l’art et la musique, très présente dans le film. La Sirène est emplie de sonorités iraniennes, de tambours fiers et de mélodies de târ puissantes qui emmènent les personnages hors d’Abadan et nous font voyager entre passé, présent et futur. Car le récit d’Omid se construit également entre le passé fantasmé des récits d’un Iran disparu, et celui d’un potentiel futur qui se trouve au bout du fleuve.

En moins de deux heures, La Sirène parvient à dresser le portrait universel d’une résistance où la violence n’est pas la seule réponse à la violence, loin de là. Par son tambour, par sa générosité et par son courage, Omid incarne un idéal qui résonnera d’autant plus de par son actualité brûlante. Une histoire d’un David pacifique coincé entre deux Goliaths, un simple jeune homme qui tente de dépasser ses peurs pour se construire, pour lui et pour ses proches rencontrés au hasard des détours de la vie, un avenir meilleur.

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