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Le dossier Tax Shelter

Publié le 01/09/2002 / Catégorie: Dossier

Le monstre du Loch Ness du cinéma belge sort la tête de l'eau

Le mardi 2 juillet dernier, à l'initiative de l'ARRF (la jeune Association des Réalisateurs et Réalisatrices de Films), s'est tenue à l'ULB une rencontre d'information et de réflexion sur le thème: Le Tax Shelter en Belgique: quelles perspectives? quels enjeux? Un panel d'intervenants de qualité avait été réunis pour la circonstance, à savoir: le sénateur Philippe MONFILS, auteur du projet de loi; Patrick QUINET, producteur et président de l'UPFF; Ariane JOACHIMOWICZ, avocate spécialiste de l'audiovisuel; Olivier HEGER, assureur expert en audiovisuel; Gilles de HALLEUX, avocat et Thierry LITANNIE, avocat fiscaliste. L'initiative répondait visiblement à une attente car elle a rencontré un franc succès: plus de 120 personnes de la profession (réalisateurs, producteurs, auteurs, prestataires de services...) ont assisté à une série d'exposés fort instructifs et ont pu poser toutes les questions souhaitées.

 

Il est vrai que ce fameux Tax Shelter, on en parle depuis plus de 20 ans. Il est aujourd'hui sur le point de naître: voté par le Sénat en juin 2001 et après divers amendements, il vient d'être ratifié par la Chambre dans la cadre de la loi programme (art .128 et 129) et devrait être d'application pour l'impôt 2003 (revenus 2002). Une information claire et précise était donc ardemment souhaitée. La rencontre, coordonnée par Yvon THIEC, délégué général à Eurocinéma, a fait la clarté, dissipé les fausses rumeurs et enchanté l'ensemble des participants et assistants. Pour ceux qui le souhaitent, l'ARRF tient à disposition la retranscription intégrale des interventions et des questions-réponses (plus de 40 pages, à demander à arrf@brutele.be). Une brochure explicative devrait bientôt paraître, éditée par la Communauté française. En attendant, voici dans les grandes lignes en quoi consiste ce Tax Shelter.

 

L'incitant fiscal 

Le "Tax Shelter" (officiellement "Incitant Fiscal") est un système d'exonération fiscale dont le but est d'inciter des sociétés privées à investir dans la production cinématographique belge et de favoriser par là l'émergence chez nous d'une véritable industrie cinématographique. Comme on le sait, jusqu'ici notre cinéma national était presque uniquement financé par les fonds publics (Cté française, RTBF... et plus récemment Wallimage). Par cet apport de capitaux privés, la proportion d'argent belge dans les productions nationales augmenterait sensiblement, ce qui donnerait à nos projets et à nos producteurs un tout autre poids dans les négociations de coproduction avec les partenaires étrangers. Les tournages en Belgique devraient se faire plus nombreux et dans de meilleures conditions. En créant cette loi, la Belgique s'aligne sur le peloton des pays qui disposent déjà de mécanismes d'incitation fiscale, à savoir les Pays-Bas, le Luxembourg, l'Irlande, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France. Comme ces mécanismes s'exercent selon des modalités diverses, on peut penser que la future étape sera d'essayer d'harmoniser ces systèmes au niveau européen pour permettre une plus grande interconnexion et faciliter la production audiovisuelle en Europe.

 

Qui est concerné?

Ce système d'exonération fiscale concerne des sociétés privées belges (ou étrangères mais ayant un établissement stable en Belgique) dont le secteur d'activités n'est lié ni de près ni de loin à l'audiovisuel. Au départ, un contrat de coproduction (baptisé "convention-cadre") est signé entre une société de production belge et une société privée désireuse de bénéficier de la mesure d'exonération. Il doit porter sur une oeuvre belge déterminée qui ne peut être que: un long métrage de fiction, documentaire ou d'animation destiné à une exploitation cinématographique, ou un programme télévisé documentaire (52 min ou +) ou une collection télévisuelle d'animation (+ de 52 min). En outre, l'oeuvre doit être agréée comme européenne au sens de la directive Télévision sans frontières.

 

En clair, en chiffres et en pourcentages

1) Pour bénéficier de la mesure, la société privée pourra investir jusqu'à 50 % de son bénéfice imposable, avec un plafond de 750 000 Euros par exercice comptable.

2) Le montant investit devra donner lieu à des dépenses en Belgique ou au profit de Belges, au moins égales à 150% des sommes investies.

3) En contrepartie, la société pourra déduire de son bénéfice imposable un montant équivalant à 150% des sommes effectivement versées.

4) Une société pourra répartir son investissement Tax Shelter sur plusieurs oeuvres et/ou plusieurs sociétés de production. De même qu'une société de production pourra bénéficier de plusieurs investissements privés pour un même projet. Mais le montant de l'investissement Tax Shelter ne pourra être supérieur à 50 % du financement global de l'oeuvre audiovisuelle.

5) Notons que l'investissement Tax Shelter peut prendre aussi la forme d'un partage entre un prêt (max. 40 % du montant total investi) et d'un investissement en coproduction (min. 60 % du montant total).

 

Contrôle

Le contrôle du respect des conditions sera effectué directement par l'administration fiscale. Si les conditions précisées dans la Loi ne sont pas respectées, la sanction se portera sur l'investisseur qui verra sa déduction fiscale annulée et devra payer les intérêts de retard liés à l'impôt. En clair, si le producteur ne remplit pas sa part du contrat (notamment, en ce qui concerne les dépenses "belges"), c'est l'investisseur qui en paiera les conséquences...et cela se saura vite. Ceci oblige l'ensemble des producteurs à une grande rigueur, sous peine de voir le système s'autodétruire en très peu de temps.

 

L'intermédiation

Tout producteur pourra aller de façon individuelle solliciter tel investisseur potentiel sur tel ou tel projet. Mais
évidemment, pour tirer le maximum de profit du système, vont se mettre sur pied des structures d'intermédiation entre le monde du cinéma et celui de la finance. La Loi actuelle ne permet pas la création de structures du type « fond d'investissement », mais un tiers peut tout à fait jouer un rôle de prestataire de services, avec une rémunération par commissions. Loin de se limiter à la simple intermédiation, les services offerts pourraient s'étendre par exemple à l'analyse du sérieux des sociétés de production et des projets présentés, la gestion sécurisée de la partie prêt d'un investissement, la gestion comptable et fiscale spécialisée, la mise au point de convention-cadres types,... tous services qui rendraient le système fluide, confortable et performant, tant pour les producteurs que pour les investisseurs. Avec un effet de centralisation et de garantie, l'intermédiation devrait à la fois simplifier et crédibiliser le système. Avis aux amateurs! Plusieurs projets de société d'intermédiation sont dès à présent en développement.

 

Pas la panacée

On le voit, le Tax Shelter est une vraie révolution pour le modèle de production audiovisuel belge. Il promet une bouffée d'air salutaire, une aide économique substantielle qui intéressera tout le monde. Mais il n'est cependant pas la panacée, car il ne garantit en rien la qualité de la cinématographie produite dans notre pays. Nous manquons certes cruellement de fonds, mais nous pourrions aussi perdre notre âme dans le tout à l'économique. Tout en saluant vigoureusement l'initiative, la profession doit rester vigilante à ce que les pouvoirs publics tiennent leurs promesses et assument leur responsabilité. Les politiques nous répètent que le Tax Shelter ne remplace pas la Commission du Film. Mais à l'heure actuelle, ladite Commission, submergée par les projets de qualité, est littéralement exsangue et ne survivra pas sans perfusion jusqu'à l'échéance 2005 (le Grand Refinancement). Il est donc vital de rester mobilisés pour clamer que seul l'argent public peut permettre la survie d'un cinéma de qualité, original, différent...