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Le Fidèle de Michaël R. Roskam

Publié le 01/10/2017 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Un Homme et une Femme, 50 ans après…

Lorsque Gino, dit « Gigi » (Matthias Schoenaerts) rencontre Bénédicte, dite « Bibi » (Adèle Exarchopoulos), c’est la passion immédiate. Totale. Incandescente. L’un ne peut vivre sans l’autre. Lui aime son côté maternel et rassurant. Elle aime ses cicatrices et sa part d’ombre. Car Gigi a un secret, de ceux qui mettent des vies en danger : il est braqueur de banques et de fourgons blindés. Et son gang est activement recherché par les autorités. Dès lors, Gigi et Bibi (qui accepte la situation) vont se battre envers et contre tous, contre la raison et contre leurs propres failles afin de rester fidèles à leur amour inconditionnel.

Le Fidèle« Le Fidèle » du titre c’est Gigi, qui se bat pour préserver son couple mais c’est surtout le réalisateur Michaël R. Roskam. Fidèle à ses thèmes de prédilection (la rage de vivre de jeunes gens instables et bouillonnants), à un acteur fétiche magnétique, à un style coup de poing fait d’images se situant entre les bleutés urbains de Michael Mann et la violence froide de William Friedkin, le tout dans un environnement mi-francophone, mi-flamand qui reflète la topographie sociale et linguistique du Bruxelles d’aujourd’hui. Fidèle encore à quelques obsessions personnelles : suite à un trauma d’enfance, Gigi a une peur panique des chiens, une phobie que l’on retrouvait dans les deux premiers films du réalisateur. Comme Jacky (anti-héros de Rundskop, déjà interprété par Schoenaerts) et Bob (Tom Hardy dans le mésestimé The Drop), Gigi est lui-même un chien sauvage qui doit être apprivoisé, dressé, qui doit apprendre à avoir foi en l’affection qu’il reçoit. La différence, c’est que Gigi se soumet totalement à l’affection de sa bien-aimée, le réalisateur insistant sur le fait que l’amour véritable n’est pas simplement quelque chose que l’on donne et que l’on reçoit, c’est aussi un acte de soumission. C’est là toute l’essence de la relation entre Gigi et Bibi. Mais malgré la solidité du couple, le gangster va peu à peu devenir la chose qu’il craint et qu’il déteste, n’en prenant conscience que bien trop tard.
Inspiré de l’univers fascinant et terrifiant des gangs belges des années 80/90, un milieu tantôt glamour, tantôt glauque et anxiogène, Le Fidèle calque son personnage principal sur le gangster belge n°1, Patrick Haemers. Loin du voyou stéréotypé ou de la bête meurtrie de Rundskop, Gigi, comme son modèle, est élégant et raffiné. Sa voix est calme et posée, sa fragilité aussi apparente que sa force. Il est également puéril et dynamique comme un adolescent, animé uniquement par l’amour et l’adrénaline, jamais méchant ni calculateur. La ressemblance physique évidente de Matthias Schoenaerts avec Haemers (grand blond baraqué au regard bleu perçant dont transpire une douceur et une certaine féminité) n’est pas un hasard ! Si Haemers sert d’inspiration première, l’acteur, plus intense que jamais, incarne Gigi comme une sorte de double « positif » du torturé Jacky de Rundskop. Bibi, elle, est une jeune femme solaire et naïve, perpétuellement en quête d’une dose d’adrénaline (elle est pilote de course), ignorant dans un premier temps les activités criminelles de son amant, puis lui pardonnant très vite ses offenses. Plus mature que son compagnon, Bibi est obligée de grandir pour deux, d’être la plus responsable quand les choses tournent mal. Alors que Gigi s’enfonce dans un cercle vicieux de violence et d’ennuis judiciaires, Bibi perd peu à peu le grain de folie qui l’animait au début de leur rencontre. La différence d’âge entre les deux acteurs (39 ans pour lui, 23 pour elle) fonctionne bien dans le cadre de cette relation.

Le FidèleLa meilleure manière d’apprécier Le Fidèle est de l’envisager comme un hommage vibrant à l’œuvre de Claude Lelouch, influence revendiquée par Roskam qui souhaitait créer « la rencontre entre Heat et Un Homme et une Femme », avec Gigi et Bibi en Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée des temps modernes. Ces amoureux tragiques chabadabadesques évoquent les couples formés par Lino Ventura et Françoise Fabian dans La Bonne AnnéeJean-Paul Belmondo et Annie Girardot dans Un Homme qui me plait, Jacques Dutronc et Marlène Jobert dans Le Bon et les Méchants Loin des modes, Le Fidèle n’est pas guidé par une intrigue mais par les sentiments, se situant au carrefour du film noir et d’action américain (une scène de braquage de convoi sur une autoroute, filmée en plan séquence, restera gravée dans les mémoires) et du polar à la française façon Lelouch, versant dans sa dernière partie dans le grand mélodrame larmoyant, avec ce que cela comporte de naïveté et d’étranges libertés narratives. Pourquoi Bibi pardonne-t-elle tant à Gigi ? Pourquoi ne tente-t-elle jamais de lui faire entendre raison, de le changer ? Seule réponse possible : par amour ! Parce que l’amour fou n’a, par définition, aucun sens ! Roskam ne juge pas ses personnages et nous demande - démarche risquée - d’en faire de même, de les aimer autant qu’ils s’aiment. Pas de doute sur la démarche : tout ça est naïf en diable, romantique à souhait, horripilant à petites doses… mais toujours beau comme du Lelouch !

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